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Infos congo - Actualités Congo - 08 Mars 2024
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Religion

Bible, Coran, Torah : en quelles langues parle Dieu

2017-03-04
04.03.2017
2017-03-04
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Barbara Cassin, commissaire de l'exposition "Après Babel, traduire", travaille à un dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes.

Entretien.

« Babel », en hébreu, signifie « confusion ». Et l'on suppose assez volontiers que Dieu ne voulait pas grand bien aux hommes le jour où, constatant que leur entente leur avait permis de bâtir la tour du même nom, il les condamna à parler des langues multiples. L'exposition Après Babel, traduire (Mucem, jusqu'au 20 mars) prend cette idée à rebours : la « confusion » est une chance pour peu que l'on fasse l'effort de traduire, c'est-à-dire aussi de composer avec la culture que véhicule chaque langue.

Mais la commissaire de l'exposition, la philosophe et hélléniste Barbara Cassin, va plus loin. Elle s'attelle aujourd'hui à un dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes, sur le modèle du Vocabulaire européen des philosophies (Seuil) qu'elle a dirigé, et qui s'arrêtait sur les difficultés à passer d'une langue à l'autre pour traduire les grands concepts : Pravda, est-ce la « justice » ou la « vérité » ? L'« esprit » français équivaut-il au Geist allemand, au mind anglais ? Une tâche sans fin, évidemment, mais féconde et stimulante – a fortiori lorsqu'elle s'applique au champ (de bataille) religieux. Entretien.

Le Point.fr : Le projet d'un dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes prend la suite de l'exposition du Mucem : qu'avez-vous voulu montrer dans « Babel » ?

Barbara Cassin : Une section importante de l'exposition est consacrée à « traduire la parole de Dieu » : il s'agit, manuscrits en main, de regarder la façon dont la Torah, la Bible et le Coran envisagent la révélation, donc la traduction. Ce sont évidemment trois comportements très différents. Nous montrons par exemple une page de la Torah où l'hébreu est entouré d'un côté du targum, sa traduction en araméen, langue véhiculaire, de communication, et de l'autre d'un commentaire du texte. L'hébreu est premier, mais la Torah s'ouvre d'emblée sur une pluralité de langues et d'interprétations.

Le rabbin Delphine Horvilleur va même plus loin : elle explique, dans le catalogue, qu'il existe dans la tradition juive différentes versions de ce que les Hébreux ont entendu au mont Sinaï.

Oui. Dans certains midrashim, des légendes rabbiniques, les Hébreux auraient entendu au Sinaï l'intégralité de la Torah. Dans d'autres, les dix commandements. Pour d'autres encore, ils auraient entendu seulement la première parole : « Je suis l'Éternel ton Dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de l'esclavage. » D'autres resserrent encore l'interprétation autour du premier mot : anokhi, « je ». Et, pour une légende ésotérique, les Hébreux n'ont entendu que la première lettre de ce mot, l'aleph... qui est muette ! Ce qui se passe dans le monde chrétien est différent : même si la Bible existe dans une multitude de langues, c'est le latin de la Vulgate qui fait référence, et cette langue de traduction devient pour les chrétiens la seule, au fond, dans laquelle s'exprime la parole de Dieu.

Et pour le Coran ?

Il est donné par Gabriel en arabe : c'est l'arabe prononcé qui est ici la langue de la révélation et il est interdit de s'en écarter. On peut traduire le sens du Coran mais pas le Coran lui-même, qui continue d'être dit en arabe dans tous les usages liturgiques. Nous montrons ainsi un magnifique manuscrit où les mots persans, comme disjoints, viennent s'intercaler en petit entre les lignes arabes du texte.

L'exposition montre également l'importance des « équivoques » dans la traduction des textes religieux d'une langue à l'autre...

Oui, et nous en donnons quelques exemples frappants. Moïse en hébreu est dit karan. Or l'hébreu de la Torah est non vocalisé et karan, rayonner, s'écrit avec les mêmes consonnes que keren, cornes. Ce qui explique que certaines traductions puissent dire que le visage de Moïse « resplendit », et d'autres qu'il est « cornu ». La Bible imposera de même l'idée qu'Ève est créée « à partir de la côte » d'Adam, alors que le mot hébreu ainsi traduit, tzela, renvoie partout ailleurs au « côté » : Ève ne serait plus tirée d'Adam mais créée « à côté » de lui...

Vous montrez une page d'un Coran traduit en latin à la fin du XIe siècle avec, au bas de la page, une enluminure qui représente Mahomet en démon à queue de serpent : la première caricature du prophète, en somme. Il y a une défiance originelle ?

 Une haine, même... Mais je pense qu'aujourd'hui nous sommes à un moment où il faut mettre les religions en rapport. Pas avec des idées fumeuses mais en regardant précisément les textes sacrés. La première esquisse du dictionnaire des intraduisibles des trois monothéismes vient d'une proposition que m'avait faite il y a quelques années le prince de Jordanie, l'oncle du roi. Il avait entendu parler du dictionnaire des intraduisibles en philosophie et il souhaitait, pour les trois religions du Livre, créer une « table des valeurs » montrant leurs concordances. Le projet n'a pas abouti mais je lui avais dit, à ce moment-là, qu'il ne me semblait pas pertinent de faire une sorte de catéchisme qui aplanisse les différences pour dire que la charité chrétienne est analogue au devoir de faire l'aumône chez les musulmans. Un dictionnaire des intraduisibles est bien différent : il s'agit de réfléchir aux textes, aux mots sans lesquels la Bible ne serait pas la Bible, sans lesquels le Coran ne serait pas le Coran, et de comprendre comment ils fonctionnent.

Par exemple ?

Nous avons commencé à travailler avec des spécialistes de chacune des trois religions, en isolant de grandes questions. Comment est-ce qu'on désigne Dieu, le jour de fête, le pur et l'impur, l'autorisé et l'interdit, celui qui fait partie de la communauté et celui qui n'en est pas ? Comment est-ce que le Livre se désigne lui-même ? Certains mots devront être pris en réseaux. D'autres entrées seront des termes uniques, comme le Beruf protestant : le devoir, la tâche. Il faudra voir aussi comment les mots ont bougé : dans la Torah, erev rav désigne ceux qui accompagnent les Juifs à leur sortie d'Égypte et, dans l'hébreu moderne, l'ennemi de l'intérieur. Le même travail est fait sur chariah. Le but est d'arriver à une cartographie des différences qui permette de comprendre pourquoi ça ne fonctionne pas, comment la traduction ne marche pas. Un intraduisible n'est pas quelque chose que l'on ne traduit pas, mais quelque chose qu'on ne cesse pas de chercher à traduire : un symptôme de différence. Il faudra à chaque fois essayer de voir d'où le mot vient, comment est-ce qu'il fonctionne, sur quoi il ouvre.

Cet effort peut-il porter au-delà d'un cercle restreint de spécialistes ?

Je crois en tout cas que c'est la seule manière de ne pas se taper dessus. Certains avaient dit de Babel qu'elle serait une exposition élitiste, où les jeunes des quartiers Nord de Marseille ne viendraient pas. Ça s'est avéré faux. C'est à nous de nous débrouiller pour que les gens puissent venir et comprendre.

Dans l'exposition, vous abordez le problème des intraduisibles sous un autre angle : celui des « mots qui manquent »... De quoi s'agit-il ?

Nous avons travaillé avec des associations, pour demander à des étrangers arrivés depuis peu en France quel était le mot de leur langue qui leur manquait le plus. À partir de leurs réponses, nous avons fait des sortes de constellations : la famille, la parenté élargie, la communauté, la nostalgie, la spiritualité, etc. Et ces personnes expliquent pourquoi le français « ne marche pas ». Une femme dit par exemple qu'elle ne pourrait dire son amour qu'en arabe : « je veux mourir avant lui » est un seul mot, auquel elle ne trouve pas d'équivalent.

Vous travaillez également à la création d'une maison de la sagesse à Marseille. Qu'y trouverait-on ?

Pour moi, elle devrait avoir trois volets. Le dictionnaire en est un. Le deuxième se constituerait autour de la traduction au quotidien : qu'il y ait des traducteurs publics auprès desquels les immigrés puissent venir trouver de l'aide, pour remplir des papiers par exemple. Rien que la distinction entre nom et prénom est problématique dans beaucoup de langues. J'aimerais que cela aboutisse à un glossaire de la bureaucratie française, ce serait une œuvre de salut public !

Et le troisième volet ?

Ce serait une « banque-musée ». Les gens qui arrivent en France prêteraient un objet auquel ils tiennent, avec son histoire, et en échange d'un micro-crédit qui leur permettrait d'entamer une activité. Ces objets seraient montrés dans une sorte de Musée des arts et traditions populaires ouvert sur toutes les régions du monde. Ce type de musée a été monté ailleurs, au Mali par exemple. Nous commençons tout juste à y travailler, mais beaucoup d'institutions et d'associations se disent prêts à participer

Marion Cocquet
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