Afrique
Le président est poussé à la démission par une frange grandissante de son parti. L’étau se resserre mais l’intéressé s’accroche.
Jacob Zuma n’est jamais aussi redoutable que lorsqu’il est en danger. Le président sud-africain, en quarante-huit heures, vient de neutraliser une nouvelle tentative pour le pousser à démissionner, alors que son pouvoir s’évapore lentement et que de nombreux scandales menacent de le voir terminer devant les tribunaux. Ce combat, combien de temps va-t-il encore pouvoir le mener ?
L’Afrique du Sud a cru voir l’heure de sa chute approcher, avec la tenue d’une réunion d’urgence, mercredi 7 février, du NEC, le Comité national exécutif du Congrès national africain (ANC). Il devait y être discuté le « rappel » du président, l’équivalent d’un ordre de démissionner, vingt-quatre heures avant un discours potentiellement catastrophique au Parlement sur l’état de la nation, prévu jeudi. Ce discours a finalement été reporté sine die par crainte de voir des bagarres éclater entre parlementaires pendant la séance.
Mais cette réunion du NEC, l’organe le plus puissant de l’ANC, a été annulée. En réalité, torpillée. Ses membres ne sont pas alignés sur une décision claire concernant le sort de Jacob Zuma. Ce dernier a beau être discrédité, en raison des multiples scandales qui ont révélé, notamment, l’opération de « capture de l’Etat » menée par les Gupta, une famille d’origine indienne, il n’est pas encore un homme seul.
Guerre de factions
Le NEC peut « rappeler » tout cadre du parti, un mécanisme issu du centralisme démocratique de l’ANC. Ce n’est pas un processus judiciaire, mais un appel à la « discipline » des cadres. En cas de refus, l’ANC peut lancer une motion de censure au Parlement (où le parti majoritaire élit le président de la République). Encore faut-il une majorité. Des manœuvres en coulisses ont lieu en ce sens, menées par Cyril Ramaphosa, le vice-président.
Ce dernier a pris le pouvoir au sein de l’ANC lors de la conférence nationale de décembre 2017, mais doit composer, à la tête du parti, avec de farouches pro-Zuma. Depuis cette position délicate, il tente d’obtenir la démission du chef de l’Etat avant la fin de son mandat, en 2019. Dans l’intervalle, l’ANC est déchiré par une guerre de factions, entre les pro-Zuma et les pro-Ramaphosa.
Jacob Zuma tenait beaucoup à prononcer le discours sur l’état de la nation au Parlement. Non qu’il aime l’exercice en soi. Il s’acquitte habituellement de cette tâche avec désinvolture, lisant des notes truffées de lieux communs qu’il découvre de toute évidence en même temps que l’auditoire. Puis l’opposition sème le chaos. Mais toute l’Afrique du Sud suit l’exercice avec passion.
Cet étrange moment de communion nationale a la vertu de donner de la solennité à son acteur principal. Cyril Ramaphosa avait caressé l’idée d’être cet homme, en obtenant le départ en douceur du président et en se voyant confier l’intérim du pouvoir (en tant que vice-président). Jacob Zuma a préféré dynamiter tout le processus plutôt que d’y consentir.
Entre résistance et nuisance
Le chef de l’Etat est devenu un curieux objet politique. Il ne lui reste qu’une forme amoindrie de pouvoir, entre résistance et nuisance, et il en use de toutes ses forces. Une délégation émanant du groupe des six dirigeants de l’ANC est venue dimanche soir lui suggérer une formule de départ en souplesse. Elle s’est heurtée à un mur.
Cyril Ramaphosa espérait voir se conclure en beauté son approche calme, pondérée, afin de sauver les apparences. Mais Jacob Zuma n’entend pas ce langage-là. Il a assuré à ses visiteurs que le pays l’« adore » et formulé des craintes au sujet d’une menace « contre-révolutionnaire ». Les « impérialistes ne désarment pas », est-il gravement précisé dans un document de politique récent du parti. Pour Jacob Zuma, il ne fait aucun doute que leur agent se nomme Cyril Ramaphosa.
Le président Zuma fait semblant de le combattre. En réalité, il ne se bat que pour lui-même, avec la dague de ses poursuites judiciaires dans le dos. Le jour où il cessera d’être président, son immunité tombera. Il y a les 783 chefs d’accusation dans le cadre du scandale de vente d’armes des années 1990, où est impliquée la société française Thales, alors nommée Thomson-CSF. Il y a une procédure examinant le processus de « capture de l’Etat » qui a vu le pillage des sociétés publiques au profit des Gupta. Avant fin février, le premier de ces dossiers menace d’avancer et de rapprocher Jacob Zuma de poursuites.
Jusqu’ici, il a tenu bon grâce à ses alliés en nombre dans les instances du parti. Pour durer, il a aussi recours à une tactique du pire : diviser l’ANC, au risque de lui faire tout perdre, à commencer par les élections de 2019. Plus l’ANC est chaotique, belliqueuse, plus Jacob Zuma peut s’accrocher à sa fonction. Jusqu’à quand ? Chaque jour gagné est une victoire.
« On doit le pousser dehors »
Des échanges de coups ont eu lieu lundi entre des pro-Zuma et des pro-Ramaphosa devant le siège du parti, à Johannesburg, choquant profondément la nation sud-africaine. Un signe de plus qu’il faut en finir avec ce psychodrame. Mais dans le camp Ramaphosa, on se donne encore du temps : trois mois pour continuer, dans l’ombre, à retourner les alliés de leur ennemi et mettre la justice aux trousses des autres.
« Avant juin, on doit le pousser dehors », explique une source proche des dirigeants pro-Ramaphosa. Ensuite, assure la même source, « il sera trop tard pour remonter la cote de popularité de l’ANC avant les élections ». Des élections que, à mi-mot, les analystes du parti admettent désormais pouvoir perdre, si l’ANC continue sa descente vers les abysses, en même temps que Jacob Zuma.
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