Monde
L’attaque qui coupe partiellement la Russie de la péninsule ukrainienne annexée est un coup très dur porté à Vladimir Poutine. Beaucoup de questions sont encore en suspens
Un véhicule piégé a déclenché un vaste incendie sur le pont de Crimée, infrastructure clé et symbole de l’annexion de la péninsule ukrainienne éponyme, a annoncé samedi le Comité national antiterroriste russe, sans accuser dans l’immédiat l’Ukraine.
Des images circulant en ligne du pont montrent la voie ferrée en flammes sur des dizaines de mètres et un tronçon routier effondré. Ce pont, construit à grands frais sur ordre de Vladimir Poutine pour relier la péninsule annexée au territoire russe, sert notamment au transport d’équipements militaires de l’armée russe combattant en Ukraine.
Le pont de #Crimée, inauguré en grande pompe en 2018 par Vladimir #Poutine, en flamme ce matin.
— Antoine Llorca (@antoinellorca) October 8, 2022
Selon les agences russes, l’incendie a été provoqué par l’explosion d’une voiture piégée.#Ukraine #Crimea #UkraineRussiaWar #Putin pic.twitter.com/eZulkcjncu
Si l’Ukraine est à l’origine de l’incendie et de l’explosion sur le pont de Crimée, le fait qu’une infrastructure aussi cruciale et aussi loin du front puisse être endommagée par les forces ukrainiennes serait un camouflet pour Moscou.
Sur l’antenne de la chaîne française LCI, l’ancien officier Guillaume Ancel dit: «Xavier Tytelman (consultant en défense et aéronautique, ndlr.) me confirme que l’attaque vient du côté nord du pont, ce qui rend moins probable une attaque au missile, sans l’exclure totalement. D’après les premières analyses des images, c’est bien un camion piégé, camion piégé qui vient de Russie.» Il estime que l’origine ukrainienne de l’attaque ne fait toutefois pas de doute. «Le fait que le camion vienne de Russie ça montre simplement aux Russes qu’ils sont incapables de contrôler la sécurité chez eux.»
La Russie enchaîne les revers militaires depuis le début du mois de septembre, ses troupes étant forcées de reculer aussi bien au nord-est que dans le sud du pays, notamment la région de Kherson, frontalière de la Crimée, dont Vladimir Poutine revendique l’annexion.
«Aujourd’hui à 06h07 sur la partie routière du pont de Crimée (…) a eu lieu l’explosion d’une voiture piégée, qui a entraîné l’incendie de sept citernes ferroviaires qui allaient vers la Crimée», a indiqué le comité, cité par les agences russes.
Le porte-parole du Kremlin a indiqué à l’agence Ria Novosti que Vladimir Poutine avait ordonné la formation d’une commission gouvernementale pour établir les faits.Selon le Comité antiterroriste, deux voies routières sont endommagées, mais l’arche du pont n’est pas touchée. Les trafics ferroviaire et routier ont été arrêtés, et des ferries ont été mis en place pour permettre la traversée, selon les agences russes. Le Comité d’enquête de Russie, principal organe d’investigation du pays, a promis d’identifier «toutes les personnes liées à ce crime» et ouvert une enquête criminelle. L’organe en charge des principales investigations criminelles en Russie a également affirmé avoir «établi l’identité du camion et de son propriétaire» soupçonnés d’être à l’origine de l’explosion.
Il s’agirait d’un habitant de la région de Krasnodar, dans le sud de la Russie. «Une enquête a été ouverte sur son lieu de résidence. L’itinéraire du camion et les documents pertinents sont en cours d’étude.»
«Selon les données préliminaires, trois personnes ont été tuées à la suite de l’accident. Il s’agit probablement des passagers d’une voiture qui se trouvait près du camion quand il a explosé», a indiqué le Comité d’enquête dans un communiqué. Selon cette source, «les corps de deux victimes – un homme et une femme – ont déjà été sortis de l’eau».
Quelle réaction de Poutine?
Le chef de l’assemblée de Crimée, le parlement régional installé par la Russie, Vladimir Konstantinov a dénoncé un coup «des vandales ukrainiens».
Si l’Ukraine n’a fait aucun commentaire officiel, le chef du cabinet de la présidence ukrainienne Andriï Iermak a publié sur twitter un émoticone montrant un pont dans des nuages de fumée.
«Tout ce qui est illégal doit être détruit, tout ce qui a été volé doit être rendu à l’Ukraine», a commenté sur Twitter Mikhaïlo Podoliak, un autre conseiller du président Volodymyr Zelensky.
Ce pont sert essentiel au transport des personnes et des marchandises vers la péninsule, mais aussi aux troupes déployées en Ukraine.
Inauguré en 2018, le pont enjambe le détroit de Kertch, devenant le symbole de l’annexion de 2014. Un responsable de l’occupation russe dans la région ukrainienne de Kherson, voisine de la Crimée, Kirill Stremooussov a publié sur son compte Telegram une vidéosurveillance du pont montrant une violente explosion. Selon lui, les réparations pourraient prendre «deux mois».
La Russie a toujours affirmé que le pont ne risquait rien en dépit des combats en Ukraine, mais elle a menacé par le passé Kiev de représailles si les forces ukrainiennes devaient attaquer cette infrastructure ou d’autres en Crimée.
Tous les regards se tournent désormais vers Vladimir Poutine, dont l’ampleur de la réaction est imprévisible à l’heure actuelle. Le député russe Oleg Morozov, cité par l’agence Ria Novosti, a réclamé samedi une réplique «adéquate, sinon ce type d’attentats terroristes va se multiplier».
A noter que la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, quelques heures après l’explosion, a perdu sa dernière source d’alimentation électrique externe en raison de nouveaux bombardements. Elle s’appuie désormais sur des générateurs d’urgence, a déclaré samedi l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).
Plusieurs explosions ont eu lieu ces derniers mois sur des installations militaires russes dans la péninsule, résultat probablement d’opérations ukrainiennes, comme lorsque la base militaire de Djankoï a été ravagée en août par la déflagration d’un dépôt de munitions, provoquant un exode de touristes de la région.
Les autorités russes ont été toujours avares en explications concernant Djankoï et d’autres incidents similaires sur des dépôts d’armements ailleurs en Russie mais proches de la frontière ukrainienne. A Djankoï, Moscou avait admis finalement un «sabotage», et l’armée ukrainienne reconnu des semaines plus tard sa responsabilité.
Plusieurs revers depuis septembre
Depuis début septembre, les forces russes ont été obligées de reculer sur de nombreux points du front. Elles ont notamment été contraintes de fuir la région de Kharkiv (nord-est) et de reculer dans celle de Kherson.
Confronté à ces revers face à une armée ukrainienne galvanisée et forte des approvisionnements en armes occidentales, le président Poutine a décrété fin septembre la mobilisation de centaines de milliers de réservistes, des civils donc, pour inverser la tendance.
Il a aussi décrété l’annexion de quatre régions ukrainiennes, bien que Moscou ne les contrôle que partiellement. L’Ukraine a elle revendiqué la reprise de milliers de kilomètres carrés depuis début septembre et le lancement de sa contre-offensive en plusieurs points du front.
Le seul champ de bataille où Moscou a actuellement l’avantage est aux abords de la ville de Bakhmout, dans la région de Donetsk (est), que les forces russes essayent de prendre depuis le mois d’août.
Les échecs des dernières semaines sont tels que même dans les médias d’Etat, l’armée et de son commandement sont la cible des critiques de personnalités en vue.
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