Monde
L’armée russe a de nouveau attaqué samedi le port stratégique de Marioupol et avancé ailleurs en Ukraine, avec toujours de féroces combats autour de la capitale Kiev et des milliers de civils fuyant les bombardements, tandis que Vladimir Poutine lançait de nouveaux avertissements à l’OTAN.
« En raison de la réticence de la partie ukrainienne à influer sur les nationalistes ou à prolonger le +cessez-le-feu+, les opérations offensives ont repris depuis 18H00, heure de Moscou », soit 15H00 GMT, a déclaré le ministère russe de la Défense.
Les Ukrainiens avaient reporté quelques heures auparavant l’évacuation des civils de Marioupol, sur la mer Noire, ainsi que d’une autre ville assiégée, invoquant des violations du cessez-le-feu par les forces russes, que ces dernières ont démenties.
Conséquence, la crise humanitaire s’aggravait : 1,37 million de personnes se sont déjà réfugiées à l’étranger depuis l’invasion le 24 février, selon l’ONU, et on compte plus d’un million de déplacés dans le pays.
C’était la cohue dans les gares, même dans une ville épargnée par la violence comme Dnipro (centre), pour expédier femmes et enfants vers l’ouest après des adieux déchirants.
Activisme américain
Cet exode suscitait une forte mobilisation, notamment dans les États voisins comme la Pologne, où le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est rendu samedi à la frontière avec l’Ukraine, s’y entretenant avec son homologue ukrainien Dmytro Kouleba.
« Le message du peuple ukrainien héroïque est simple : les Russes, rentrez chez vous (...) Poutine, laisse l’Ukraine tranquille. Tu ne gagneras pas la guerre », a lancé M. Kouleba.
Il a demandé des avions et des systèmes de défense aérienne, qualifiant de « signe de faiblesse » le refus par l’OTAN de mettre en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de son pays.
Après un crochet en Lettonie, État balte frontalier de la Russie, le chef d’état-major américain, le général Mark Milley, a souligné que si une telle zone était créée, « il faudrait alors qu’on y aille et que l'oncombatte activement » les Russes, ce que l’Alliance atlantique ne veut pas faire.
Le président russe Vladimir Poutine a menacé de « conséquences colossales et catastrophiques non seulement pour l’Europe, mais pour le monde entier », si une telle zone était créée. La Russie considérerait comme cobelligérant tout pays tentant de l’imposer.
De plus en plus isolé sur la scène internationale, le maître du Kremlin a le même jour reçu à Moscou le chef du gouvernement israélien Naftali Bennett, premier dirigeant étranger en visite en Russie en lien avec l’invasion russe de l’Ukraine.
Entamant une véritable médiation, M. Bennett a ensuite parlé au président ukrainien Volodymyr Zelensky, avant des entretiens à Berlin avec le chancelier allemand Olaf Scholz.
Dans le même temps, à Washington, des élus du Congrès promettaient de débloquer 10 milliards de dollars d’aide pour l’Ukraine, au cours d’un échange virtuel avec le président Zelensky.
« Nous encourageons à des négociations directes entre la Russie et l’Ukraine », a de son côté dit le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi dans une conversation téléphonique avec Antony Blinken.
Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a d’ailleurs plaidé dans la presse espagnole pour que la Chine joue un rôle de médiateur.
Cette guerre et les sanctions imposées à la Russie « auront aussi un impact substantiel sur l’économie mondiale et les marchés financiers, avec des effets collatéraux pour d’autres pays », a averti le Fonds monétaire international, disant craindre des conséquences « dévastatrices ».
Dure bataille à Marioupol
Dans le sud-est de l’Ukraine, la chute de Marioupol, ville d’environ 450 000 habitants bombardée depuis plusieurs jours par les Russes et leurs alliés des deux territoires séparatistes du Donbass, serait un important tournant au dixième jour de l’invasion.
Elle permettrait la jonction entre les troupes en provenance de la Crimée annexée, qui ont déjà pris les autres ports clés de Berdiansk et de Kherson, et celles du Donbass, puis à ces forces consolidées de remonter vers le nord.
L’armée russe, qui a nettement progressé dans le territoire ukrainien en 10 jours de combats, pourrait dès lors accentuer la pression militaire sur le centre et la partie septentrionale, où les combats font rage, notamment à Kyïv et Kharkiv.
« À Marioupol, la situation est catastrophique et empire de jour en jour », a déclaré à l’AFP Laurent Ligozat, coordinateur d’urgence de l’ONG Médecins sans frontières (MSF), ajoutant que les habitants manquaient de tout : eau — au point de devoir ramasser et faire fondre de la neige pour en avoir —, électricité, chauffage et nourriture, de nombreux magasins ayant été détruits.
Le bilan du conflit est impossible à vérifier de manière indépendante. Kiev fait état d’au moins 350 civils et plus de 9 000 soldats russes tués, sans mentionner ses pertes militaires, et Moscou évoque 2 870 morts côté ukrainien et 498 dans ses rangs.
Pilonnages près de Kiev
Le siège de Marioupol, qui avait résisté en 2014 aux assauts des unités prorusses, intervient au moment où les soldats russes se rapprochent de Kiev, rencontrant une tenace résistance et bombardant parfois des immeubles d’habitation, notamment à Tcherniguiv, à 150 km au nord de la capitale, où des dizaines de civils ont été tués ces derniers jours.
Une équipe de l’AFP qui s’est rendue sur place samedi a constaté des scènes de dévastation dans cette ville de 300 000 habitants qui se vidait de sa population, faisant craindre un destin similaire pour Kiev une fois les batteries de missiles et l’artillerie russes aux portes de la capitale.
« Il y avait des corps partout sur le sol. Ils faisaient la queue pour la pharmacie là, ici, et ils sont tous morts », a témoigné Sergeï, un survivant.
De son côté, le président Zelensky assurait que les forces ukrainiennes avaient déclenché une contre-attaque autour de Kharkiv (nord-est), la deuxième agglomération du pays, théâtre de bombardements parmi les plus intenses depuis le début de l’invasion.
L’armée russe pilonnait quant à elle toujours les alentours de Kyïv, au nord-ouest et à l’est notamment. Là où, la veille encore, un supermarché et une station-service se dressaient au grand carrefour entre les villes ouvrières de Bucha et d’Irpin, proche de la capitale, il ne restait samedi que des ruines et des habitants en fuite.
Dans un hôpital du nord de Kyïv, des soldats ukrainiens blessés ont raconté à l’AFP leur lutte inégale sous un déluge de feu. « On était en reconnaissance » et « on est tombés sur une colonne ennemie », a expliqué Motyka, un soldat de 29 ans touché par un éclat sur le flanc droit, qui a dû battre en retraite avec ses camarades : « On les a combattus et on a tué leurs soldats à pied, mais ils nous ont arrosés avec des tirs de mortier ».
Troisième session de pourparlers
Selon les autorités ukrainiennes, une troisième session de négociations avec les Russes se déroulera lundi.
Mais les chances de parvenir à des progrès paraissent infimes, Vladimir Poutine ayant prévenu que le dialogue avec Kiev ne serait possible que si « toutes les exigences russes » étaient acceptées, notamment un statut « neutre et non nucléaire » pour l’Ukraine et sa « démilitarisation obligatoire ».
En Russie, le Kremlin a durci sa répression de toutes les voix dissidentes face au conflit.
Une loi prévoyant jusqu’à 15 ans de prison pour toute personne publiant des « informations mensongères » a été promulguée vendredi.
Résultat, de nombreux médias étrangers de premier plan ont annoncé samedi l’arrêt provisoire de leur couverture à partir de Moscou.
Dans le même temps, les manifestations contre la guerre se multipliaient en Europe : ils étaient plus de 40 000 personnes samedi à Zurich, la ville la plus peuplée de Suisse, plus de 40 000 en France dont 16 000 à Paris, des milliers également à Rome, quelques centaines dans le centre de Londres.
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