Guerre en Ukraine : Les combats « ville par ville »... Une tactique pour Moscou, un symbole pour Kiev

Une stratégie, deux objectifs. Depuis l’échec de la prise de Kiev, le Kremlin a entamé une seconde phase de combat visant l’est de l’Ukraine, afin de prendre le Donbass. Nouvelle zone géographique, mais aussi nouvelle tactique d’attaque. Michel Goya, ancien colonel des troupes de marine et aujourd’hui historien de la guerre, évoque dans l'une de ses analyses un passage de « combats de mouvement » à des « combats de position ». Les attaques se font désormais « ville par ville ».

D’abord parce que les forces armées de Vladimir Poutine n’ont pas vraiment le choix : « Des villes dans cette région, il y en a partout et c’est là que la défense ukrainienne s’est installée », explique à 20 Minutes le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française aux Nations unies.

Ensuite, parce que pour les Russes, la prise de ce chapelet de villes a un intérêt tactique. Michel Goya prend ainsi l’exemple de la ville Izium où une grande manœuvre russe a eu lieu dernièrement. Située à 100 km au sud-est de Kharkiv elle est « la base de départ nécessaire pour envelopper par l’ouest le Donbass ». Pour l’expert, il ne restera plus à l’armée russe qu’à « s’emparer des deux couples de villes Sloviansk-Kramatorsk et Severodonetsk-Lyssytchansk, ainsi que la petite ville de Pokrovsk, pour considérer que le Donbass est conquis ».

Une question psychologique plus que tactique

Mais il n’y a pas qu’aux Russes que cette stratégie de combat « ville par ville » profite. Si les troupes ukrainiennes y ont installé leur défense, ce n’est pas par hasard. Sur l’aspect tactique, la ville donne l’avantage aux défenseurs qui peuvent « s’appuyer sur des obstacles comme des bâtiments dans lesquels ils peuvent se barricader », analyse le général Dominique Trinquand. « Ce sont des zones où les champs de tir sont assez limités. Or le combat rapproché est favorable à ceux qui connaissent bien le terrain », poursuite l’expert.

Les troupes de Volodymyr Zelensky sont ainsi parvenues à freiner, voire imposer, le repli de l’armée russe, tout en limitant les pertes matérielles, qui incombent généralement à l’attaquant, observe Michel Goya. « A chaque fois que les Russes ont été ralentis dans une ville, ça les a empêchés d’avoir une manoeuvre dynamique, de prendre des avantages territoriaux ou de prendre de vitesse l’arme ukrainienne », constate encore l’officier français.

Au-delà de la tactique, la guerre des villes est une bataille psychologique pour les Ukrainiens. « Chaque ville devient un symbole à défendre, note le général Dominique Trinquand. Quand l’armée signale qu’elle défend Severodonetsk, les gens s’identifient. » Un message beaucoup plus fort que si Kiev parlait de combat dans des champs entre deux régions.

Les limites de la guerre des symboles

Si l’Ukraine l’emporte sur la communication et les symboles, c’est parfois au détriment d’une stratégie militaire qui aurait pu mieux la servir. « A Marioupol, on a vanté l’incroyable défense des héros d’un combat perdu d’avance, commente le général Dominique Trinquand. Mais pour finir, un millier d’hommes sont morts ou blessés et un autre millier ont été fait prisonnier alors qu’ils auraient pu renforcer les troupes ailleurs. »

Autre exemple plus récent : la bataille de Severodonetsk, particulièrement médiatisée elle aussi. Pour l’ancien chef de la mission militaire française aux Nations unies, la défense des Ukrainiens aurait été « bien plus simple s’ils n’étaient pas restés à l’intérieur, mais en dehors de la ville, de l’autre côté de la rivière du Donets ». Selon lui, Kiev devrait davantage mesurer sa capacité à défendre et limiter ainsi les pertes. Selon le président ukrainien, elles sont aujourd’hui de 50 à 100 morts par jour, rien que dans le Donbass.

Les Russes ralentis, usés et limités

Pour autant, la partie est loin d’être gagnée côté russe qui manque d’hommes. « Pour une "armée sans infanterie" une seule brigade ukrainienne solidement retranchée dans une ville de plus de 50.000 habitants (et il y en a 83 en Ukraine) est un problème », assure Michel Goya. Et d'estimer ainsi que les Russes ne mettent pas moins de trois semaines à prendre une ville de 45.000 habitants tenue par deux brigades ukrainiennes « à condition d’y engager une division d’infanterie motorisée fortement renforcée ».

Si les Russes sont parvenus à inverser l’avantage ukrainien en rasant les villes, l’armée commence aussi à s’user et voir son potentiel humain se réduire. « Cela va probablement limiter la profondeur de son agression, projette le général Dominique Trinquand. Je pense qu’elle pourra éventuellement conquérir le Donbass entièrement, mais aura du mal ensuite à aller plus loin. »