Monde
La dirigeante birmane déchue Aung San Suu Kyi écope d’une nouvelle peine pour «fraude électorale» assortie de travaux forcés, qui s'ajoute aux 17 années de prison auxquelles elle a déjà été condamnée lors de son procès fleuve, qui dure depuis plus d'un an
La junte birmane continue de charger Aung San Suu Kyi: l’ex-dirigeante a été condamnée vendredi à une peine de trois ans de prison supplémentaires pour fraude électorale, au cours d’un procès-fleuve, dénoncé comme politique par la communauté internationale.
Cette énième sentence est assortie de travaux forcés, a indiqué à l’AFP une source proche du dossier, selon laquelle la prix Nobel de la paix, âgée de 77 ans, est apparue en bonne santé au tribunal. Elle doit désormais purger 20 années de détention, mais elle risque en tout plus de 120 ans pour les multiples infractions dont la junte l’accuse. Ses avocats vont faire appel de la décision, a ajouté la source.
Procès à huis clos depuis plus d’un an
Le tribunal l’a reconnue coupable de fraude lors des législatives de novembre 2020 que son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND), a largement remportées. Ce scrutin a servi de justification pour les généraux lors du coup d’Etat du 1er février 2021, l’armée assurant avoir découvert plus de 11 millions d’irrégularités. De leur côté, les observateurs internationaux avaient qualifié le vote de «représentatif» de la volonté du peuple birman.
L’ancien président Win Myint, qui était jugé pour les mêmes chefs d’accusation, a également été condamné à une peine de trois ans de prison, a indiqué la source.
«Je ne vois pas Aung San Suu Kyi aller dans un camp de travail», a estimé auprès de l’AFP l’analyste politique David Mathieson. «Aucun acte de violence ou de torture n’est à exclure, et Aung San Suu Kyi est l’ennemie jurée que la junte veut humilier et éradiquer pour de bon», a-t-il toutefois assuré.
Arrêtée au moment du putsch, qui a mis fin à une décennie de transition démocratique en Birmanie, Aung San Suu Kyi a été placée à l’isolement dans une prison de Naypyidaw fin juin.
C’est dans cet établissement pénitentiaire de la capitale que se poursuit son procès, qui a débuté il y a plus d’un an, à huis clos, ses avocats ayant interdiction de parler à la presse et aux organisations internationales. «Ces audiences à huis clos ne permettent pas de savoir si les condamnations d’Aung San Suu Kyi sont crédibles», a déclaré à l’AFP Manny Maung, spécialiste de la Birmanie auprès d’Human Rights Watch. «Je m’attends à ce qu’elle soit reconnue coupable des autres chefs d’accusation qui la visent», a-t-elle poursuivi.
Reprise des exécutions capitales
Aung San Suu Kyi avait été auparavant reconnue coupable de faits de corruption, d’importation et possession illégale de talkies-walkies, violation des restrictions liées au coronavirus, et d’incitation aux troubles publics.
De nombreuses voix dénoncent un acharnement judiciaire qui serait motivé par des considérations politiques: mettre en touche de manière définitive la fille du héros de l’indépendance et grande gagnante des élections de 2015 et de 2020. Plusieurs de ses proches ont été condamnés à de lourdes peines. Un ancien député de son parti condamné à mort, Phyo Zeya Thaw, a été exécuté fin juillet.
La junte se défend de ces accusations, et promet même d’ouvrir des négociations avec Aung San Suu Kyi une fois son procès terminé. «Bien que nous aurions pu prendre des actions plus sévères, nous sommes indulgents avec elle», a déclaré le chef de la junte Min Aung Hlaing, lors d’un entretien en août avec l’émissaire des Nations unies, dans des propos relayés par un journal d’Etat.
Des élections en 2023?
Aung San Suu Kyi reste une figure populaire en Birmanie, même si son image internationale a été écornée par son incapacité à défendre la minorité musulmane des Rohingyas, victimes d’exactions de l’armée en 2016 et 2017 - un «génocide» selon Washington. Les envoyés spéciaux de l’ONU et de l’Asean n’ont pas été autorisés à la voir lors de leur dernière visite, comme un symbole de l’échec des efforts diplomatiques entrepris depuis plusieurs mois, qui n’ont pas sorti la Birmanie du chaos.
L’armée espère organiser des élections à l’été 2023, dès que le pays sera «en paix et stable», selon Min Aung Hlaing, qui a aussi annoncé une «réforme» du système électoral. Les Etats-Unis ont déjà appelé la communauté internationale à ne pas soutenir ce projet, un «simulacre» électoral, selon le secrétaire d’Etat Antony Blinken.
Le putsch a fait plonger le pays dans le chaos. Près de 2100 civils ont été tués par les forces de sécurité et plus de 15 000 arrêtés, d’après une ONG locale. Les autorités birmanes ont aussi condamné vendredi une ancienne ambassadrice du Royaume-Uni en Birmanie et son mari artiste à un an de prison pour avoir enfreint la loi d’immigration.
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