Chine : la mort de plusieurs personnalités renforce les soupçons sur le bilan réel du Covid-19

C'est sur les réseaux sociaux que les doutes ont d'abord essaimé. Ces dernières semaines, la Chine a perdu diverses célébrités (acteur, chanteur, footballeur...) et les raisons invoquées pour expliquer leur mort restent toujours très vagues.

Le décès de Chu Lanlan en décembre dernier a fini de semer le trouble chez certains internautes. La virtuose est morte à l'âge de 40 ans dans des circonstances inexpliquées par son entourage. Sa disparition a provoqué un vent de panique chez certains Chinois qui ont immédiatement fait un lien entre cet événement et la flambée épidémique qui sévit en Chine.

#Chine La chanteuse de l’opéra de #Pékin #ChuLanlan serait morte du #covid19 à l’áge de 40 ans le 19 Déc selon les reseaux sociaux chinois hommages des internautes @arnaudmiguet @GaelC21 @Charlie_Wang6 pic.twitter.com/ZNjCP5cX4k

— FranceTVChine (@francetvchine) December 20, 2022

Si la famille a bien confirmé le décès en confiant sa peine, elle n'a pas évoqué pour autant les circonstances de ce décès prématuré. La mort de cette figure de l'opéra de Pékin succède à d'autres disparitions : l'ancien footballeur Wang Ruoji est décédé quelques jours plus tôt à seulement 37 ans ; le réalisateur Wang Jingguang est mort alors qu'il n'avait qu'une cinquantaine d'années. Le célèbre acteur de série Gong Jintang, 84 ans, a lui aussi disparu, le jour de l'An cette fois-ci. Là encore, les internautes ont rapidement établi un lien avec la vague de mortalité qui touche les plus âgés, bien plus fragiles face au Covid 19. «S'il vous plaît, s'il vous plaît, traitez mieux les personnes âgées», a réagi Hu Yanfen, un de ses anciens collègues sur le réseau social Weibo, rapporte la BBC .

Et la liste ne s'arrête pas là. La Chine déplore ainsi la disparition du scénariste Ni Zhen, du professeur d'université Hu Fuming ou encore du patron et scientifique de renom Tang Weiguo, rapporte France Inter .

Signe d'une surmortalité

Les internautes ont-ils raison de s'inquiéter ? Ces décès s'inscrivent dans un contexte de flambée épidémique depuis la fin de la politique du «zéro covid». Et les Chinois, notamment des grandes villes, s'en rendent compte.

Ils saisissent l'ampleur de la situation à mesure que la maladie se rapproche d'eux : «c'est la proximité qui provoque l'inquiétude, quand c'est la cousine d'untel ou le voisin d'un autre qui est malade et qui meurt», abonde Antoine Bondaz, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique. Et les hospitalisations se multiplient, comme en témoigne la saturation des hôpitaux dont des images circulent largement sur les réseaux sociaux.

«En plus de l'engorgement que l'on peut constater dans les hôpitaux et les crematoriums, il y a aussi des signes de surmortalité qui sont des indices de cette flambée», poursuit-il. Le chercheur cite entre autres le cas de l'Académie de l'Ingénierie de Chine. La presse de Hongkong, reprise par différents médias britanniques, relate la mort de 20 membres de l'Académie en moins d'un mois (celui de décembre), contre un taux de mortalité annuel habituellement à 16. «Ce sont des indices très fiables qui indiquent qu'il se passe forcément quelque chose», analyse-t-il.

Des chiffres faussés

Au-delà des circonstances de ces disparitions, c'est donc surtout l'inquiétude qu'elles suscitent qui est révélatrice. «Les Chinois savent très bien qu'on leur ment, qu'on sous-estime», explique Antoine Bondaz. «On a évidemment une sous-déclaration des cas, souffle-t-il, les chiffres sont absolument ridicules». Mercredi 4 janvier, la Chine n'a par exemple rapporté que 15 décès liés au Covid-19, en raison d'un changement de méthodologie dans son décompte depuis le 7 décembre. Ce chiffre laisse songeur quand on sait que la France perd quotidiennement plus de 70 patients par jour dans ses hôpitaux à cause du Covid.

«Nous pensons que les chiffres actuels publiés par la Chine sous-représentent l'impact réel de la maladie en termes d'admissions hospitalières, d'admissions dans les soins intensifs et surtout en termes de décès», avait avancé le même jour Michael Ryan, responsable de l'OMS chargé de la gestion des situations d'urgence sanitaire. «L'État chinois ne veut pas créer de mouvement de panique au sein de la population», explique Antoine Bondaz.

Scénario pessimiste

Et pour lui, la détérioration sanitaire n'en est qu'à ses débuts. «Personne n'a conscience de l'ampleur des conséquences de la situation actuelle». Si ce sont les grandes métropoles qui sont aujourd'hui massivement touchées par le virus (le vice-président de l'un des principaux hôpitaux de Shanghai, Chen Erzhen, a estimé que «l'épidémie de Covid-19 pourrait avoir touché 70% de la population [de Shanghai]»), ce sont les villes moyennes et la campagne qui le seront dans quelque temps. Les populations y sont proportionnellement moins vaccinées et le système hospitalier bien moins performant… «La situation risque d'être extrêmement délicate car le virus ne s'arrête pas aux frontières des provinces», rappelle Antoine Bondaz.

Les spéculations vont donc bon train sur les réseaux. Ce regain de l'épidémie est d'autant plus difficile à gérer pour l'exécutif qu'il survient après de violentes vagues de contestation en novembre dernier. La politique sanitaire draconienne avait suscité une vive colère dans la population. Ces révoltes avaient notamment conduit l'exécutif à une levée brutale des restrictions. Le gouvernement se trouve désormais au défi de composer entre son discours officiel et la réalité sanitaire, de plus en plus difficile à masquer.