Afrique
Le cabinet d’avocat américain Cunningham Levy Muse, engagé par le gouvernement rwandais, publie un rapport préliminaire sur le « rôle des officiels français dans le génocide contre les Tutsis ». Il recommande à l’Etat rwandais de poursuivre une « investigation complète » sur la « connaissance, la conduite et la complicité des responsables français ».
C’est une nouvelle étape dans la longue controverse sur le rôle de la France au Rwanda entre 1990 et 1994. Le cabinet d’avocat américain Cunningham Levy Muse publie ce mercredi 13 décembre 2017 un rapport « sur le rôle des responsables français dans le génocide contre les Tutsis ». Il avait été commandé par le gouvernement rwandais dans le cadre de son enquête sur les responsabilités françaises dans le génocide commis au Rwanda d’avril à juillet 1994, qui a fait 800 000 morts selon l’ONU.
Le document de 52 pages, publié à l’issue de six mois de recherches, n’apporte pas véritablement d’éléments nouveaux dans ce dossier très sensible. Pour reconstituer le rôle de la France au Rwanda « avant, pendant et après » le génocide des Tutsis, il s’appuie sur des sources et documents déjà publics. Ceux-ci émanent notamment du rapport de la Mission d’information parlementaire conduite par le député français Paul Quilès en 1998 – bien que ses travaux n’aient été « ni complètement transparents ni complets », selon les avocats américains. Il cite également quelques-uns des innombrables articles de presse, livre, et rapports d’ONG publiés sur la question depuis 1994.
« Les responsables français étaient conscients »
« Sur la seule base des documents publics, on peut dire que de hauts responsables français étaient conscients et ont appuyé, dans leurs buts et dans leurs actes, à la fois le gouvernement Habyarimana et les génocidaires », écrivent les avocats dans leurs conclusions, qui ont également été transmises aux autorités françaises.
« Les archives françaises sont, sans aucun doute, pleines de documents et d’informations sans lesquels l’histoire complète de cette période ne sera pas connue », écrivent encore les avocats, qui estiment que « la France devrait coopérer pleinement avec l’investigation du gouvernement du Rwanda ».
« Nous partageons les recommandations du rapport selon lesquelles une investigation complète sur le rôle de responsables français dans le génocide est légitime », a par ailleurs déclaré la ministre rwandaise des Affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, dans un communiqué de presse.
Contacté par Jeune Afrique, Robert Muse, l’un des associés du cabinet, précise que « ce rapport est une analyse préliminaire sur le rôle de la France avant, pendant et après le génocide ». « Nous allons continuer notre enquête pour le compte du gouvernement rwandais, poursuit-il. Il prendra ensuite les décisions légales qui s’imposent, mais il serait prématuré d’en parler à ce stade. »
« Manipulation »
La publication de ce rapport survient dans un contexte de renouveau des tensions entre la France et le Rwanda. Au cœur de celles-ci, l’enquête française sur l’attentat du 6 avril 1994 contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, qui a marqué le début du génocide des Tutsis. En 2006, le juge Jean-Louis Bruguière, alors en charge de cette enquête, avait émis des mandats d’arrêts contre neuf responsables rwandais. En réponse, Kigali avait rompu ses relations diplomatiques avec Paris. La rupture avait duré trois ans, jusqu’à ce que sept des responsables rwandais concernés puissent être auditionnés. En conséquence, leur mandat d’arrêt avait été levé.
Mais en 2016, soit 18 ans après le début de l’instruction, Jean-Marc Herbaut, le nouveau magistrat en charge de l’enquête, a décidé de rouvrir le dossier. Cela a provoqué une première réaction côté rwandais : l’Organe national de poursuite judiciaire a lancé, en novembre 2016, une enquête sur la responsabilité de 20 militaires français dans le génocide des Tutsis. Kigali a alors sollicité l’aide de la justice française pour procéder à des auditions, ce qui ne lui a pas été accordé à ce jour.
Puis, en mars 2017, le juge français Herbaut a auditionné un nouveau témoin, James Munyandinda, qui accuse – après d’autres – le président rwandais Paul Kagame d’être le commanditaire de l’attentat. Sur la base de ce témoignage, sujet à caution, il avait ensuite ordonné une confrontation entre lui et deux responsables rwandais parmi lesquels l’actuel ministre rwandais de la Défense, James Kabarebe. Celle-ci était fixée aux 14 et 15 décembre 2017, à Paris. Mais Kigali, qui dénonce une « manipulation française », a exclu que les deux hommes y participent.
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