Politique
Alors que le dépôt des candidatures pour les élections présidentielle, législative et provinciale a débuté le 23 juin dernier en République démocratique du Congo (RDC), parfois un peu lentement, le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) Corneille Nangaa (photo) a accordé une interview exclusive à Cathobel. Il entend toujours bien que la date des élections, fixée au 23 décembre prochain, soit respectée.
Faut-il encore rappeler que les élections présidentielle, législatives nationales et provinciales en République Démocratique du Congo (RDC), devaient se tenir en 2016? Après une âpre discussion entre la majorité présidentielle, l’opposition et la société civile, sous l’égide des évêques congolais, un accord a été conclu le 31 décembre 2016, d’où son nom d’accords de la Saint-Sylvestre qui a fixé la date de la tenue des trois scrutins en décembre 2018. Même si une partie du suivi de cet accord n’a pas été appliquée à ce jour, il n’en reste pas moins vrai que la date butoir du 23 décembre reste pour l’instant d’actualité. Pour Corneille Nangaa, président de la CENI, elle sera respectée.
Compte tenu du travail que cela implique, pouvez-vous garantir que les trois scrutins auront bien lieu à cette date?
Cette date procède d’une décision de la CENI, portant publication du calendrier électoral fixant un certain nombre d’échéances, dont les plus importantes sont la convocation de l’électorat le 23 juin et la tenue des trois scrutins, conformément à l’ Accord de la Saint-Sylvestre, le 23 décembre. La CENI a travaillé et travaille encore sur cette base et nous sommes heureux de constater que jusqu’ici toutes les dates de ce calendrier sont respectées.
Je rappelle que, conformément à l’article 211 de la Constitution, la CENI est l’organe en charge de conduire tout processus électoral et référendaire en RDC. Partant de ce postulat, elle a d’abord comencé par régler le préalable à ces élections, dont le plus important était bien évidemment l’inscription des Congolais sur les listes, de façon à avoir un fichier électoral complet. Nous avons abattu un travail de titan depuis juillet 2016 jusqu’au 31 janvier 2018. Nous avons collecté toutes les données des électeurs sur le terrain et fin janvier 2018, nous avions inscrit près de 46 millions de votants. Un travail rigoureux de traitement des données a été effectué grâce à un logiciel spécifique, qui a permis à nos équipes de nettoyer le fichier en 37 jours. Je peux donc affirmer que nous avons aujourd’hui, un fichier fiable de 40,3 millions d’électeurs, qui sont prêts à aller aux urnes. Ce fichier est basé sur une cartographie opérationnelle bien stabilisée, basée sur le fait que le pays est subdivisé en 26 provinces. En milieu urbain, ces provinces sont réparties en 32 villes et 310 communes.
En milieu rural, les provinces sont subdivisées en 145 territoires, 734 chefferies de secteurs et 88.000 villages. Vous avez peu de pays africains qui disposent d’un atlas de ce genre. Sur le plan légal nous avons travaillé à la consolidation des textes organisant les élections. Sur le plan opérationnel, nous avons prévu, conformément au calendrier, un certain nombre d’activités qui se sont exécutées. Ceci étant, nous finalisons la convocation de l’électorat qui se fera conjointement avec l’appel au dépôt des candidatures. Cela se fait en deux phases: d’abord pour les provinciales, ensuite pour les scrutin présidentiel et législatif. Après avoir inscrit les candidats, nous procèderons au déploiement du matériel, au recrutement et à la formation des quelque 650.000 agents. La campagne électorale commencera le 20 novembre pour se terminer le 21 décembre. Je peux affirmer que les Congolais fêteront Noël en connaissant ceux qui ont gagné les élections. Nous y travaillons et nous allons y arriver.
Comment sont choisis ces agents?
En se basant d’abord sur le personnel de l’Education nationale. Là où les enseignants ne sont pas assez nombreux, nous nous appuyons sur les centres de santé, les fonctionnaires de l’Etat et la société civile locale pour identifier ceux qui sont susceptibles de remplir ce rôle.
Que dites-vous à ceux qui affirment que la machine à voter est une machine à tricher?
Ceux qui affirment cela donnent leur opinion. Je la respecte. Nous sommes en démocratie. Je suis un expert en élections et sais donc de quoi je parle. Ce que nous proposons, c’est ce que nous trouvons de mieux pour le pays. Bien sûr, il n’y a rien qui se fait dans ce processus sans que ce soit contesté par l’une ou l’autre partie. Mais là n’est pas le problème. Je peux vous dire que les élections de 2011 ont été chaotiques et certains rapports d’observateurs mentionnent qu’il y a eu des tricheries. Or, il n’y avait pas de machine à cette époque.
La décision d’utiliser cette machine a été prise par l’autorité compétente qu’est la CENI. Ceux qui ne veulent pas voter avec la machine n’ont qu’à organiser leurs propres élections. Nous avons un défi à relever. Depuis février, nous avons lancé un programme national d’éducation et de sensibilisation, pour apprendre au Congolais comment le vote va se passer. Nous pensons que c’est le seul moyen de gagner en temps, d’avoir des élections fiables et de garantir la réduction des coûts. Nous avons prévenu: s’il s’avérait qu’on ne veut pas de machines à voter, c’est sûr que l’organisation des élections n’aura pas lieu le 23 décembre et sera reportée encore de quelques mois. Je ne sais pas qui est prêt à assumer cette décision. En tous pas la CENI.
N’est-ce pas utopique de choisir le vote électronique dans un pays où l’électricité fait souvent défaut?
La machine ne vote pas, elle ne calcule pas pour définir qui sont les vainqueurs des scrutins. Ce n’est pas un vote électronique qui suppose une dématérialisation du bulletin de vote. Or, le vote se fait sur un bulletin papier. La machine n’est qu’un appareil pour imprimer in situ le bulletin par l’électeur lui-même, qu’il glissera ensuite dans l’urne. Ce n’est qu’une imprimante fonctionnant sur batteries au lithium, qui ont une capacité de 28 heures chacune. Elle sera mise à disposition pour permettre à l’électeur d’imprimer son bulletin, avec le nom et la photo du candidat ainsi que le logo et l’appellation de son parti. Le comptage se fait manuellement comme ça a toujours été le cas, avec l’avantage qu’après avoir compter manuellement, nous avons d’autres sources de vérification pour savoir par exemple, combien de bulletins ont été imprimés par la machine, à quelles heures le bureaux de vote a ouvert ses portes et clos le scrutin, qui étaient le président et les assesseurs.
Le magazine « Jeune Afrique » a écrit que l’électeur n’aurait qu’une minute environ pour voter. Ce qui lui fait croire que cela sera une autre source potentielle de manipulation. Est-ce vrai?
Vous avez testé la machine à voter. Vous avez constatez que le vote est rapide. « Jeune Afrique » ne l’a jamais vue mais il en parle quand même. C’est une campagne de sape pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les élections. Nous souhaitons que les journalises qui écrivent sur cette machine à voter l’expérimente d’abord. Alors, ils pourront écrire ce qu’ils ont constaté. Il y a hélas du mensonge. Nous apprenons par ces mêmes médias que la commission électorale sud-coréenne nous aurait écrit pour dire que la machine n’est pas fiable. Je n’ai jamais reçu ni vu un tel courrier. La vérité est que l’accord sur la machine à voter et une opération menée entre la CENI et une entreprise sud-coréenne, laquelle fournit le même matériel à la commission électorale de son pays. Elle a aussi fourni 75 kits de machines à l’Irak et dans d’autres pays. Mais quand il s’agit de la RDC cela pose problème. Nous savons ce qui est bon pour notre pays. C’est pourquoi notre choix s’est porté sur cette entreprise.
Mais, vous aviez d’abord choisi une firme française…
C’est exact. En 2016 (ndlr: année où auraient dû se tenir les élections) notre choix s’était d’abord porté sur l’entreprise française Gemalto. Mais je ne vois pas en quoi cela concerne le gouvernement français ou l’ambassade de France à Kinshasa. Il est regrettable que toute personne qui rate un marché au Congo se transforme en destructeur d’initiative.
On parle d’opacité du marché…
Qu’st-ce que vous entendez par opacité? Je n’en sais rien. L’acquisition de la machine à voter a suivi à la lettre la loi congolaise sur la passation des marchés. Nous avons reçu un avis de non-objection de la direction de la passation des marchés et l’approbation du Premier ministre. Le marché est transparent.
Les partenaires de la RDC ont été étonnés que votre pays dispose des moyens de financer seuls les élections. La RDC a–t-elle réellement ces moyens?
C’est une question à poser au gouvernement. Mais nous n’avons pas de raison de penser que ce n’est pas le cas. La question du financement extérieur doit être analysé dans son contexte. Depuis 2013, nous sommes habitués à cette chanson que la communauté internationale peut aider au financement des élections. Mais c’est toujours sous conditions. Si le gouvernement de la RDC s’engage à financer seul, ce n’est pas une mauvaise décision. Un financement de 125 millions de USD avait été prévu par les bailleurs. J’ai été surpris d’apprendre que ce financement était plutôt de 35 millions et qu’en même temps les bailleurs ont financés des ONG pour plus de 185 millions de dollars, au nom du processus électoral. C’est quand même curieux. Entre-temps, il faut reconnaître que l’appui international a été multiforme, notamment par le biais du financement de l’assistance technique. Nous bénéficions de l’apport de 52 experts internationaux qui travaillent avec nous. Ils viennent de la Monusco, du PNUD (Programme des Nations unies pour le développement) et de l’Union européenne. Nous saluons leur travail. Au-delà de cela, il y a aussi l’appui logistique. Ce que la Monsuco a toujours pris en charge fait. Ils nous ont ainsi été utile pour collecter sur le terrain les données destinées au fichier électoral.
En Belgique, certains affirment que la CENI est manipulée par le pouvoir. Que leur répondez-vous?
Que la CENI est une structure indépendante qui, conformément à la loi organique est appelée à collaborer avec toutes les institutions du pays. C’est ce que nous faisons. Sans collaboration avec les deux chambres du Parlement, nous n’aurons pas de loi nécessaire pour organiser les élections. Sans collaboration avec le gouvernement, nous n’aurons pas le financement nécessaire. Sans collaboration avec la société civile, les fournisseurs et l’opposition, nous n’aurons pas les moyens d’aller aux élections. On peut appeler cela de la manipulation, mais ce n’est pas vrai. La vérité est que le 23 décembre nous tiendrons ces élections grâce justement à ces collaborations.
Mais ma question est de savoir si les acteurs sont vraiment prêts à aller aux élections quand je vois le comportement des uns et des autres. Le peuple congolais attend ces élections et il les aura. Vous parlez de l’indépendance de la CENI. Cette notion est bien Bien entendu, il faut relativiser la notion d’indépendance, dans la mesure où tous les acteurs – pouvoir, opposition et partenaires internationaux surtout, demandent à la CENI d’être souveraine mais ils souhaitent chacun qu’elle fasse ce qu’ils voudraient qu’elle exécute. Quand les autorisées américaines, françaises ou belges disent qu’elles ne veulent pas l’utilisation dze la machine à voter, où est l’indépendance de la CENI? C’est la nature humaine: si je fais ce que vous demandez par rapport aux autres, je suis indépendant. Si c’est le contraire je ne le suis plus.
Votre mandat s’achève en juin 2019. Vous rêvez de partir mission accomplie?
Oui. C’est effectivement quitter ma fonction mission accomplie. Et cela nous allons le faire et organiser des élections crédibles dont les résultats seront acceptés. Mon rêve est de donner au peuple Congolais ces troisièmes élections en plus de 50 ns d’indépendance. Nous avons eu quatre présidents et aucun n’a pris le pouvoir après une « remise-reprise ». Si les élections sont bien organisées, le peuple congolais aura cette chance. Il ne faut lui faire rater cette opportunité. Nous pensons déjà à l’après-élection: il faut que le Congo reste un pays stabilisé. Comme le disait mon prédécesseur, l’abbé Malu-Malu, il faut que les élections soient une fête et pas un drame. C’est mon rêve.
Compte tenu de l’insécurité qui règne dans certaines régions du pays, au Kasaï et au Nord-Kivu notamment, pourrez-vous y organiser le scrutin?
Aujourd’hui, la situation est stabilisée au Kasaï. La preuve en est que nous avons pu y enrôler les électeurs. La situation est en phase de stabilisation en Ituri et l’agitation qu’il y a au Nord-Kivu peut effectivement engendrer des préoccupations. Nous demandons aux responsables de faire en sorte que tout soit sous contrôle. C’est l’occasion pour moi de féliciter les FARDC (ndlr: Forces armées de la RDC) qui font un travail important pour y arriver. En même temps, il faut relativiser. En 2006 et 2011, nous avons organisé des élections alors qu’il y a avait aussi des poches de rébellion très fortes. La stabilité se consolide sur le plan sécuritaire qui est une dimension importante. Nous demandons à nos compatriotes en colère de déposer les armes et à ceux qui ne sont pas Congolais de ne pas exporter chez nous des conflits qui ne nous concernent pas. Mon rêve est d’avoir un Congo démocratie avec des élections régulières. Et nous allons y arriver. Nous allons donner au peuple des élections et c’est cela le plus important.
Le code à 7 caractères (précédé de « @ ») à côté du Nom est le Code MediaCongo de l’utilisateur. Par exemple « Jeanne243 @AB25CDF ». Ce code est unique à chaque utilisateur. Il permet de différencier les utilisateurs.
Réagir
Réagir
Réagir
Réagir
Les plus commentés
Société Justice : l'ancien vice-ministre des Hydrocarbures condamné à 20 ans de prison
17.04.2024, 14 commentairesPolitique Spéculation autour du rôle de Maman Marthe : « Elle incarne la vision prophétique du parti, UDPS, devant guidé l’action politique du Président de la République. » ( Lisanga Bonganga)
19.04.2024, 14 commentairesPolitique Noël Tshiani Muadiamvita : ‘‘La Constitution actuelle empêche la RDC d’aller vite vers le développement’’
19.04.2024, 12 commentairesEconomie Acquisition de concession arable à Brazza par le Rwanda : une arme de destruction économique aux portes de Kinshasa (Analyse d'André-Alain Atundu)
18.04.2024, 11 commentairesOnt commenté cet article
Ils nous font confiance