Politique
Comme chacun le sait, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo a été déclaré élu Président de la République démocratique du Congo (RDC), lors de la proclamation des résultats provisoires de l’élection présidentielle du 30 décembre 2018, par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Sa victoire vient d’ailleurs d’être confirmée par la Cour constitutionnelle de son pays.
Au moment où, dans certaines radios internationales -dont RFI- on s’interroge sur les pouvoirs du Président élu de la RDC et sur sa marge de manœuvre, il m’a paru intéressant de connaitre les différents pouvoirs constitutionnels dudit président.
A la lecture de la Constitution de ce pays, ce sont :
Dans la branche exécutive, le Président élu de la RDC dispose de larges pouvoirs pour administrer les affaires nationales. C’est ainsi qu’il nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.
S’il n’existe pas une majorité parlementaire, le Président de la République peut confier une mission d’information à une personne en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelables une seule fois.
Le Président de la République nomme les autres membres du gouvernement et met fin à leurs fonctions sur proposition du Premier ministre (art. 78).
Le Président de la République préside le Conseil des ministres. En cas d’empêchement, il délègue ce pouvoir au Premier ministre (art. 79 al 1er).
Le Président de la République investit par ordonnance les Gouverneurs et les Vice-Gouverneurs de province élus dans un délai de quinze jours (art. 80).
Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibéré en Conseil des ministres, les hauts fonctionnaires de l’administration publique, les responsables des services et établissements publics ainsi que les mandataires de l’Etat dans les entreprises et organismes publics (art. 81 al 5, 6 et 7).
Certes le pouvoir exécutif est exercé par le Parlement qui est bicaméral (art.100). Mais le Président de la République ne joue pas moins un rôle non négligeable dans le processus législatif.
C’est ainsi qu’il promulgue les lois dans les six jours de leur adoption et statue par voie d’ordonnance (art.79 et 135).
En outre, dans les quinze jours de sa transmission, le Président de la République peut demander à l’Assemblée nationale ou au Sénat ou nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles. Cette nouvelle délibération ne peut être refusée (art. 135 al 1e).
Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque par ordonnance contresignée par le Premier ministre, les magistrats du siège et du parquet sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature (art.82).
Le Président de la République exerce le droit de grâce. Il peut remettre, commuer ou réduire les peines (art. 87).
Le Président de la République nomme, relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibéré en Conseil des ministres, les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires (art. 81 al 2).
Le Président de la République accrédite les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires auprès des Etats étrangers et des organisations internationales. Les ambassadeurs et les envoyés extraordinaires étrangers sont accrédités auprès de lui (art. 88).
Le Président de la République assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et des institutions ainsi que la continuité de l’Etat. Il est le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire, de la souveraineté nationale et du respect des traités et des accords internationaux (art. 69, alinéa 2).
C’est ainsi que lorsque les circonstances graves menacent d’une manière immédiate l’indépendance ou l’intégrité du territoire national ou qu’elles provoquent l’interruption du fonctionnement régulier des institutions, le Président de la République proclame l’état d’urgence ou l’état de siège après concertation avec le Premier ministre et les Présidents des deux Chambres du Parlement.
L’état d’urgence ou l’état de siège peut être proclamé sur tout ou partie du territoire de la République pour une durée de trente jours (art. 85 et 144).
Le Président de la République est le commandant suprême des Forces armées (art.83).
Il nomme ; relève de leurs fonctions et, le cas échéant, révoque, sur proposition du Gouvernement délibérée en Conseil des ministres les officiers supérieurs et généraux des Forces armées et de la police nationale, le d’état-major général, les chefs d’état-major et les commandants des grandes unités des Forces Armées le Conseil supérieur de la défense entendu (art.81 al 3 et 4).
Le Président de la République déclare la guerre par ordonnance délibérée en Conseil des ministres après avis du Conseil supérieur de la défense et autorisation de l’Assemblée nationale et du Sénat (art. 86).
Le Président élu de la RDC dispose, formellement, de larges attributions constitutionnelles lui permettant de traduire dans les faits son programme électoral. Ces pouvoirs sont quasiment les mêmes que ceux du Président de la République du Congo dans la Constitution du 25 octobre 2015.
Disposer des attributions constitutionnelles est une chose, mais pouvoir les exercer concrètement, sans entraves, en est une autre car, sur le terrain politique, la pratique va souvent à l’encontre des textes.
Quelle est la marge de manœuvre du Président élu de la République démocratique du Congo ?
L’article 78 de la constitution de la RDC dispose : « Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci ».
Comme chacun le sait, au sortir des élections législatives du 30 décembre 2018, le Front Commun pour le Congo (FCC), qui soutenait le candidat du pouvoir, a raflé la majorité à l’Assemblée nationale. Il dispose d’une majorité de 350 députés sur 500.
Par conséquent c’est dans la majorité parlementaire que le Président élu choisira le Premier ministre. Si on applique rigoureusement cette disposition constitutionnelle, le Premier ministre ne sortira que du Front Commun pour le Congo (FCC), qui a une écrasante majorité à la Chambre basse du Parlement. Le poste de Premier ministre chef du Gouvernement est d’autant plus important que c’est lui qui conduit la politique de la Nation. Pour cela, il dispose de l’administration publique, des Forces armées, de la Police nationale et des services de sécurité.
Quelle est la nature du Gouvernement qui sera formé après la nomination du Premier ministre ?
D’aucuns soutiennent que ce sera un Gouvernement de coalition. Je ne le crois pas. En effet, la coalition est définie, par le dictionnaire, comme « une alliance conclue momentanément entre des individus, des groupes d’individus ou des partis pour défendre des intérêts communs ». Qu’est-ce que Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi, issu de l’opposition politique et le FCC ont d’intérêts communs pour qu’ils forment un Gouvernement de coalition ?
Je réponds sans hésiter rien. Si on veut rester conforme à la Constitution de RDC, qui ne prévoit pas de Gouvernement d’union nationale, le Premier ministre et les membres du Gouvernement seront issus du FCC avec, éventuellement, une ouverture à la société civile.
Mais faire entrer les membres du groupement politique soutenant Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi au Gouvernement serait faire entorse à l’article 78 de la Constitution de la RDC.
Si le Président élu voudrait avoir des ministres dans le Gouvernement qui sera formé, il doit préalablement intégrer le FCC et quitter l’opposition politique. La même remarque est valable au niveau des Assemblées provinciales et des Gouvernements provinciaux.
Le corollaire de cette entrée au FCC sera la fusion des députés et des sénateurs du CASH avec ceux du FCC. Faisant dorénavant partie de la majorité parlementaire à l’Assemblée nationale, le Président de la République élu pourrait, si le FCC l’accepte toutefois, nommer un de ses fidèles au poste de Premier ministre et des ministres au Gouvernement.
Le Président élu prendra-t-il un tel risque politique, en faisant phagocyter son parti et son groupement politique par le FCC, juste pour avoir un proche à la Primature et des ministres au Gouvernement? Les jours à venir nous le diront.
Mais si Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi préfère rester dans l’opposition politique, il ne pourrait pas exiger d’avoir la Primature et des ministres au Gouvernement puisque l’UDPS et le groupement politique auquel il appartient ne font pas partie de la majorité parlementaire détenue exclusivement par le FCC.
Il va s’agir alors d’une cohabitation politique, définie comme le « partage du pouvoir entre un Président de la République et un Premier ministre à tendances opposées ». Le Président de la République élu, resté dans l’opposition politique, va cohabiter avec un Premier ministre issu de la majorité parlementaire. Ce cas de figure s’est d’ailleurs produit plusieurs fois en France entre la gauche et la droite. D’abord, de 1986 à 1988, entre François Mitterrand et Jacques Chirac.
Ensuite, de 1993 à 1995, entre François Mitterrand et Edouard Balladur. Enfin, entre 1997 et 2002, entre Jacques Chirac et Lionel Jospin. Toutes ces cohabitations se sont produites à la suite des élections législatives normales sauf en 1997 où les élections législatives avaient été organisées après la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Jacques Chirac.
Mais nous n’avions pas vu des socialistes et la gauche faire partie des Gouvernements de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur ni le RPR et l’UDF faire partie du Gouvernement dit de la gauche plurielle conduit alors par Lionel Jospin. Ce qui est parfaitement compréhensible et justifiable puisque le Gouvernement appartient au parti ou au groupement politique ayant gagné les élections législatives.
Il incombe donc au Président élu de RDC de clarifier rapidement sa position à ce sujet.
Donner la primature au CASH, sans intégration de ce groupement politique au FCC, serait une violation flagrante de l’article 78 de la Constitution de la RDC.
C’est, en effet, transgresser ce texte que de confier la Primature aux perdants des élections législatives au détriment de ceux qui les ont remportées largement. Le Gouvernement d’union nationale n’a pas une base constitutionnelle et ne peut se justifier dans un contexte où il y a une majorité parlementaire bien identifiée.
Ce qui rend inutile et injustifié le recours à l’alinéa 2 de l’article 78 de la Constitution de la RDC qui prévoit que : « Si cette majorité n’existe pas, le Président de la République peut confier une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition. La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois ».
Il n’est pas certain que le futur Premier ministre- qui sera constitutionnellement issu de la majorité parlementaire- et son Gouvernement mettront en œuvre le programme électoral du Président élu. Disposant de cette majorité, ce Gouvernement ne mettra en œuvre que le programme de celui qui était le candidat du FCC à l’élection présidentielle. Le Président de la République élu n’aura pas la possibilité constitutionnelle de s’y opposer ou de l’empêcher.
Certes, l’article 91, alinéa 3 de la Constitution de la RDC précise que « la défense, la sécurité et les affaires étrangères sont des domaines de collaboration entre le Président de la République et le Gouvernement ».
Mais, dans la pratique, vu la position de faiblesse du Président de la République élu, je ne vois pas le FCC accepter de perdre sa haute main sur les ministères régaliens de l’Etat et certains postes clés au profit du Président de la République élu. Le Président sortant avait bien pris soin de nommer, à des hautes fonctions et emplois civiles et militaires de l’Etat, ses proches et fidèles.
Bien que n’étant plus Président de la République, Joseph Kabila, sénateur à vie et probable Président du Sénat, restera particulièrement vigilant et sourcilleux sur les nominations auxquelles procédera le Président élu. Il aura toujours son mot à dire, même officieusement, soit pour approuver soit pour désapprouver certaines nominations. Il n’est pas certain que le clan de Kabila restera inerte et les bras croisés, si le Président élu s’avisait de remplacer tous les proches de Kabila aux postes clés par les siens. Il y aura, inéluctablement, plusieurs frictions en perspective concernant ces nominations. Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi sera très vite confronté à la difficulté de l’exercice quotidien du pouvoir, au sommet de l’Etat, lorsqu’on n’a pas de majorité parlementaire permettant d’avoir un Premier ministre et un Gouvernement dont la tâche principale sera de mettre en œuvre son programme électoral.
Avant de quitter le pouvoir, le Président sortant a mis en place un système qui lui permettra de continuer à jouer un rôle non négligeable dans la conduite des affaires de l’Etat et de peser, de tout son poids, pour influencer la prise de certaines décisions importantes dans le sens qu’il souhaite.
Les institutions provinciales sont : l’Assemblée provinciale et le Gouvernement provincial.
Ici également, le FCC ayant une majorité confortable dans les Assemblées provinciales, aura la majorité des Gouverneurs, des Vice-Gouverneurs et des Gouvernements provinciaux de la RDC. Ce qui n’est pas négligeable sur le plan politique.
Le Président de la République élu, sur plusieurs questions, aura du mal à décider seul. Il sera dans l’obligation de discuter et négocier en vue de trouver un compromis, quitte à se compromettre parfois afin d’obtenir de la « Kabilie » qu’elle lâche un peu du lest en sa faveur.
J’ai la conviction que le Président de la République élu de la RDC sera sous le contrôle étroit du FCC et de tout ce système mis en place par le Président de la République sortant.
A la question posée dans le titre de cet article, je peux dire, sans le moindre doute, que Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi sera un Président de la République qui se contentera d’inaugurer les chrysanthèmes et ne jouera qu’un rôle purement cérémonial. Sans plus. Sa marge de manœuvre, dans la conduite des affaires de l’Etat sera, sinon inexistante, du moins très étroite ou étriquée.
C’est à lui de nous prouver, dans la pratique, que nous nous sommes trompés, en prédisant une Présidence simplement cérémoniale ou décorative. La fonction pourrait peut-être révéler l’homme. Mais, je ne me fais guère d’illusions à ce sujet.
Il commencera son quinquennat avec deux handicaps de taille que sont sa légitimité contestée, par l’opposition politique, notamment par Martin Fayulu Madidi de la coalition Lamuka et par tous les congolais ayant voté pour lui et l’absence de majorité parlementaire.
Il s’agira donc d’un Président de la République sans un vrai Gouvernement acquis à la mise en œuvre de son programme électoral. Dans ces conditions, quel bilan fera-t-il, à la fin de son de son mandat, de l’application d’un programme électoral qui restera enfoui dans un tiroir ?
Ainsi va l’Afrique Centrale, où le criant déficit démocratique, l’absence d’Etat de droit, l’inféodation ou la subordination des institutions étatiques aux pouvoirs en place et le mépris du choix des populations, à travers des mascarades électorales, continuent d’entraver la marche en avant de cette sous-région, qui demeure très en retard et fait du sur place dans plusieurs domaines, par rapport à d’autres.
Ce qui est tout simplement consternant.
Par Roger Yenga, Juriste (droit privé),
Administrateur des cadres de la catégorie I.
Secrétaire national chargé des droits de l’homme et de la culture démocratique de la Convergence Républicaine pour le Développement.
République du Congo
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