Monde
L'écrivain haïtien Lyonel Trouillot analyse la situation de son pays où la rue réclame la démission du président Jovenel. Chronologie d'un désastre.
20 mars 2011. Élection au deuxième tour de Michel Martelly à la présidence d'Haïti. Contestée par les Haïtiens. Validée par la communauté internationale. Chronique d'un retour annoncé. Martelly n'a jamais caché son mépris des institutions, son goût pour l'opulence et son affection pour le régime des Duvalier. Il crée l'expression « bandit légal ». C'est avec eux qu'il dirige. L'écart se creuse encore plus entre riches et pauvres. Le désordre, la corruption, le népotisme, c'est l'impression générale que le pouvoir n'est que luxe et luxure. 25 octobre 2015, Jovenel Moïse, poulain de Michel Martelly et de la communauté internationale (les déclarations de l'ambassadeur d'Allemagne à l'époque sont trouvables et édifiantes) est proclamé vainqueur. Les Haïtiens contestent. Le deuxième tour est renvoyé. Le 7 février 2016, au terme de son mandat qu'il souhaite prolonger de quelques mois, Martelly est forcé de démissionner. Le 20 novembre 2016, avec une participation évaluée à 20 % de l'électorat, Jovenel Moïse est proclamé vainqueur, avec une majorité parlementaire écrasante. Des partis politiques contestent. Des membres du conseil électoral désapprouvent et démissionnent. La communauté internationale valide. C'est la continuité du PHTK ou tèt kale, parti et mouvement créés par Michel Martelly. Durant son mandat, Jovenel Moïse multiplie les dépenses et les promesses. Le budget national voté par le Parlement accorde des montants faramineux à la présidence et… aux parlementaires (logements, véhicules, frais…).
Juillet 2018. Décision gouvernementale d'augmenter de plus de 50 % les produits pétroliers. Émeutes. Le Premier ministre démissionne. Le président continue de multiplier les promesses. Des intellectuels, l'opposition, la rue dénoncent les écarts sociaux, appellent au changement. Sourde oreille. Éclate le scandale Petro Caribe. Quasiment aucune trace des fonds tirés de la vente du pétrole du Venezuela sur huit ans. Selon les chiffres les plus conservateurs, environ 2 milliards de dollars. Un rapport publié par la Cour supérieure des comptes fait état de nombreuses irrégularités et implique une entreprise dirigée par le président avant son élection. La nation demande des comptes. Un nouveau Premier ministre est nommé. Pour chercher l'apaisement, « le dialogue ». La rue crie qu'il est trop tard.
Engrenage
À la date symbolique du 7 février 2019 (chute de la dictature des Duvalier en 1986), des manifestations ont lieu dans le pays entier. La rue réclame le départ du président. Les gens ont faim, se disent volés, méprisés. Des voix d'abord timides de la société civile se radicalisent. La chambre de commerce appelle le président à se soumettre à la décision d'un pouvoir constitué de sages. La Conférence des pasteurs haïtiens (COPAH), un regroupement de partis politiques, un groupe de professeurs de l'université d'État – les notes, communiqués, pétitions arrivent en flots de tous les secteurs de la société – réclament la démission du président. Le communiqué du Core Group (composé de représentants des Nations unies, de l'Union européenne et de l'Organisation des États américains ainsi que des ambassades d'Allemagne, du Brésil, du Canada, de la France, des États-Unis et de l'Espagne) qui semble dire tout et son contraire n'arrange rien. Pour la rue, c'est l'international qui protège le pouvoir. Et le fait qu'un char de la mission des Nations unies (que faisait-il dans les rues ?) soit entré en collision avec un véhicule de transport public haïtien (bilan au moins 4 morts) vient ajouter à la colère et à la méfiance.
Répression
Mardi 12 février. Des déclarations des membres du PHTK inquiètent, elles menacent de livrer la guerre à la population. Les porte-parole du Pemier ministre et du président s'affrontent par radios interposées. Ni le Premier ministre ni le président n'ont déploré les morts au sein de la population. Un adolescent de 14 ans, non impliqué dans les manifestations, a été tué par un agent de police il y a quelques jours. La police réprime violemment dans certains lieux et tire à hauteur d'homme, dans d'autres elle laisse faire. Ni le président ni le Premier ministre ne semblent savoir comment faire face. La population maintient ses mots d'ordre : départ du président, procès des coupables du détournement des fonds Petro Caribe. Selon l'anglicisme à la mode en créole le pays est « lòk » (locked) bloqué et le restera jusqu'au départ du président. C'est la voix de la rue. Sans prétendre dire quelle est la solution, il est clair que le président Moïse ne pourra plus diriger dans la continuité. Ironiquement, le vote d'Haïti au sein de l'Organisation des États américains (OEA) proclamant l'élection de Maduro au Venezuela illégitime est pris en exemple pour penser une sortie. « Menteur », « voleur », et désormais « traître » sont les mots les plus usités pour désigner le président.
* Lyonel Trouillot est un romancier et poète haïtien, également journaliste et professeur de littératures française et créole à Port-au-Prince. Dernier livre paru : Ne m'appelle pas Capitaine, Actes Sud, 2018.
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