Style et Beauté
Quatre mois après la mort de Karl Lagerfeld, Raphaëlle Bacqué signe la première biographie du couturier.
À la mort de Karl, je n'ai lu aucune nécrologie de lui -celle de L'Express était prête depuis... un certain temps. J'ai préféré me contenter de l'image que je m'étais faite de lui, à force de visionnages de documentaires et de lectures de livres et d'interviews. Le personnage était trop corrosif pour supporter les hommages lénifiants. Je me doutais qu'une biographie du couturier finirait par sortir, m'en réjouissais d'avance, mais ne l'attendais pas si tôt.
De nombreux témoignages
Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde, a dégainé la première. Son livre, Kaiser Karl (éd. Albin Michel), est paru le 5 juin. Karl Lagerfeld ne l'aurait pas apprécié, lui qui, de son vivant, avait réussi à empêcher toute biographie sur son compte, et qui ne goûtait guère le surnom de kaiser, trop évocateur de son pays d'origine, dont il a longtemps cherché à se détacher. Mais Raphaëlle Bacqué n'en a cure : rodée aux enquêtes politiques, elle s'attaque sans ménagement à celui qui s'imposa comme le plus puissant des créateurs de mode. Les lecteurs du Monde retrouveront dans l'ouvrage la substantifique moelle de ce qu'elle avait déjà écrit durant l'été 2018, dans une série d'articles consacrée à la vie du couturier. Des fondations toutefois enrichies de ce que ses témoins ont accepté d'ajouter après sa mort, le 19 février dernier. Karl Lagerfeld disparu, les langues se sont déliées.
Le résultat ne contient pas de révélations fracassantes et n'a pas le souffle romanesque de L'irrégulière, l'imposante biographie de Gabrielle Chanel par Edmonde Charles-Roux. L'heure n'est pas encore à la littérature. Plus modeste mais très digeste, le livre de Raphaëlle Bacqué a en revanche le mérite de faire le tri dans les différentes versions de la vie d'un homme qui aimait brouiller les pistes. Riche d'une quarantaine de témoignages de personnes qui l'ont côtoyé -dont ceux d'Inès de la Fressange, Bernard Arnault, Sébastien Jondeau (son homme de confiance durant les dernières années de sa vie) ou encore Virginie Viard-, il jette une lumière crue sur la personnalité et le parcours du monstre sacré.
Une rivalité continue avec Yves Saint Laurent
Sa rivalité avec Yves Saint Laurent y est éclatante. Leur relation complexe avait déjà été largement explorée dans Beautiful People, d'Alicia Drake, dont Karl Lagerfeld avait cherché, sans succès, à bloquer la parution. Dans Kaiser Karl, on comprend que le besoin de dépasser son adversaire de toujours, amorcé en 1954 lors du fameux concours Woolmark auquel ils arrivèrent tous deux premiers ex aequo, ne l'a jamais quitté. Écrasé par le génie d'Yves Saint Laurent durant les années 1960-1970 -la rédactrice de mode Suzy Menkes les compare à Mozart et Salieri-, il prend sa revanche à partir de son arrivée chez Chanel, en 1983, ne manquant ensuite plus une occasion de creuser l'écart. "Il a vaincu Saint Laurent à l'endurance. Non pas qu'il l'ait doublé au panthéon des couturiers, où YSL reste inatteignable. Mais il lui a survécu", écrit la journaliste.
Elle lit cette compétition dans des épisodes qui, sous sa plume, apparaissent sous un nouveau jour, comme son fameux régime, au début des années 2000. Déterminé à entrer dans les premiers costumes Dior Homme d'Hedi Slimane, il perd 42 kilos en treize mois. Or Hedi Slimane est "le nouveau protégé du duo Bergé-Saint Laurent". Selon elle, porter ses créations au moment où le grand Yves décline, "c'est comme s'il avait digéré Saint Laurent".
Solitude, travail et discipline
Aucune facette de sa personnalité n'est oubliée, à commencer par son enfance, demeurée confortable en dépit de la guerre -il est né en 1933. On apprend que son père, riche industriel hambourgeois qui n'a jamais tenu un grand rôle dans ses récits, avait passé un accord avec le régime nazi pour pouvoir continuer à faire tourner son entreprise pendant le conflit. Karl, dans la France de l'après-guerre, a longtemps préféré s'inventer des origines suédoises plutôt que d'assumer le passé familial. Sa mère, fascinante et castratrice, apparaît moins caricaturale que ce que Karl laissait entendre dans ses interviews.
Mais c'est finalement sa profonde solitude que l'on retient. Même durant son histoire d'amour platonique avec Jacques de Bascher, oisif excessif et pervers, d'une beauté renversante, Karl dormait seul et ne faisait que travailler pendant que son amant s'amusait dans les bas-fonds de la capitale, lui détaillant à son retour l'air du temps nécessaire à sa compréhension de l'époque. S'il l'accompagna avec dévouement jusqu'au bout -il mourut du sida en 1989-, il eut avec lui le même rapport de domination qu'il eut avec l'ensemble de sa cour de fidèles, achetant chacun avec une générosité calculée.
Après quoi courait-il ?
Assurément la gloire et l'argent, mais aussi, peut-être, plus simplement, la nouveauté. "Je veux tout savoir, tout connaître, être au courant de tout", disait cet assoiffé de culture "connu partout, riche et parfaitement seul". Contrairement à son rival, il ne laisse derrière lui aucun style identifiable, mais quoi de plus logique pour quelqu'un qui ne voulut jamais se dévoiler ? Si l'on en doutait encore, Kaiser Karl nous démontre que ses masques successifs firent toujours diversion.
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