Provinces
Le Premier Président du Conseil d'Etat est indexé pour s'être arrogé le pouvoir d'annuler les scrutins dans ces deux provinces.
De 26 provinces de la République démocratique du Congo, le Sud-Ubangi et le Sankuru demeurent les seules à ne pas encore disposer de Gouverneur et Vice-gouverneur. Ceux qui ont été élus sont empêchés d'exercer, et les seuls candidats en lice dans la province où l'élection est maintes fois reportée, ne savent plus à quel saint se vouer. De l'avis de certains d'observateurs, cette confusion serait le fait du Conseil d'Etat.
Nous sommes en mars 2019. Dans les quatre coins du pays, les députés provinciaux se préparent à élire leurs gouverneurs et vice-gouverneurs. Ils passent au peigne fin les listes définitives des candidats, affichées par les différentes Cours d'appel réparties à travers le pays, avant de se rendre aux urnes.
"C'est justement en ce moment que le Conseil d'Etat surprend l'opinion, en s'arrogeant le pouvoir d'annuler ces élections dans les provinces du Sankuru et du Sud-Ubangi", protestent nombre d'électeurs lésés. L'institution dirigée par Vunduawe Te Pemako brandit une raison qu'elle estime valable : les candidats invalidés pour diverses raisons par les Cours d'appel de ces deux provinces s'étaient pourvus en appel devant elle.
De l'avis de plusieurs juristes, "cette décision a été prise en réalité sans titre ni qualité, parce que les dispositions de la Loi électorale ne reconnaissent aucune compétence à cette juridiction en matière de contentieux de listes, comme l'attestent la lettre, l'esprit et la jurisprudence constante et abondante en la matière".
LA VICTOIRE DU TANDEM MABENZE- ZABUSU
Face à cette irrégularité flagrante et, partant du principe constitutionnel selon lequel nul n'est tenu d'exécuter un ordre manifestement illégal (article 28 de la Constitution), la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a dû instruire ses représentants dans ces deux provinces de procéder au vote.
Supervisées par cette institution citoyenne, pouvoir organisateur de ce scrutin, ces élections, tenues dans le Sud-Ubangi, ont porté au pouvoir le tandem Jean-Claude Mabenze et Zéphirin Zabusu. Le premier a été élu Gouverneur et le second Vice-Gouverneur de cette province issue de l'ex-Equateur.
L'EQUATION DU SANKURU
Au Sankuru par contre, l'élection ne s'est plus tenue. Le Secrétaire exécutif provincial (SEP) de la CENI et une partie des députés provinciaux ont été empêchés d'accéder au siège de l'Assemblée provinciale, sur instruction de M. Benoît Olamba, président de cet organe. L'on ose croire que ce dernier serait manifestement circonvenu par le candidat invalidé, qu'il s'était érigé anarchiquement en pouvoir organisateur de l'élection en lieu et place de la Centrale électorale.
Ecarté, le postulant au poste de gouverneur du Sankuru estimait que cette élection serait un scrutin "non démocratique" (sic !), d'autant que la Cour d'appel du Sankuru n'avait retenu comme liste éligible que celle des candidats FCC Lambert Mende Omalanga et Patrick Bekanga a Sala.
Le quorum n'ayant pas été atteint, la CENI avait alors convoquéune séance électorale subséquente 48 heures plus tard, conformément à la réglementation en vigueur, en prenant le soin de délocaliser les opérations dans ses propres installations de Lusambo.
DES DEPUTES PROVINCIAUX ''SEQUESTRES'' A KINSHASA
A la date convenue pour ce deuxième tour, une injonction du Ministre a.i. de l'Intérieur est venue tout perturber. Invoquant "un ordre de la plus haute autorité de l'Etat", M. Basile Olongo a ordonné au SEP/CENI du Sankuru de surseoir à l'élection "pour cause d'insécurité ".
Le préposé de la Centrale électorale a aussitôt rétorqué qu'à sa connaissance, aucune insécurité ne régnait dans le chef-lieu de la province du Sankuru et que sa hiérarchie l'avait instruit de finaliser plutôt le processus électoral. Il sera carrément placé en résidence surveillée dans sa maison d'habitation, sur ordre du commandant de la police. Pendant ce temps, les forces de l'ordre ont brutalement dispersé les députés provinciaux, les observateurs et les journalistes présents devant le siège de la CENI.
Contre à toute attente, tous les députés provinciaux du Sankuru ont été, dès le lendemain, transportés par leurs ''parrains'' respectifs vers Kinshasa où ont démarré des "négociations", entrecoupées de déclarations véhémentes entre partisans des candidats invalidés et ceux des candidats déclarés éligibles par la Cour d'appel.
L'ARBITRAGE DU CHEF DE L'ETAT
Acheminés auprès du Président Félix Tshisekedi, certains des élus du peuple lui ont demandé de prendre une décision d'autorité pour "trancher" la controverse entre la Cour d'appel et le Conseil d'Etat. Demande contestée par d'autres qui considéraient que la première institution de la République ne pouvait, en sa qualité de garant du respect de la Constitution et des Lois de la République, que s'assurer du strict respect de celles-ci. Au finish, le Chef de l'Etat a promis à ses interlocuteurs de poursuivre ses consultations et pouvoir faire respecter la Constitution et les Lois en vigueur, tel que l'y oblige son serment.
Depuis lors, les députés provinciaux du Sankuru sont restés à Kinshasa dans l'attente de leur retour au chef-lieu de la province. Ils meublent leur temps comme ils peuvent. A leur grande surprise, ils ont appris que le Conseil d'Etat a annulé l'élection de Mabenze et Zabusu dans le Sud-Ubangi.
LES JURIDICTIONS HABILITEES A REGLER LE CONTENTIEUX ELECTORAL
Pourtant, la Loi électorale en vigueur (Loi n° 17/013 du 24 décembre 2017 modifiant et complétant la Loi n°06/006 du 09 mars 2006 portant organisation des élections présidentielle, législatives, provinciales, urbaines, municipales et locales, telle que modifiée à ce jour), en son article 27, est claire à ce propos.
Elle stipule que "les juridictions compétentes pour connaître du contentieux concernant une déclaration ou une liste de candidature sont la Cour constitutionnelle pour les élections présidentielle et législatives ; la Cour administrative d'appel pour les élections provinciales ; et le Tribunal administratif pour les élections urbaines, municipales et locales".
Il est, par ailleurs, mentionné que "les juridictions énumérées à l'alinéa précédent disposent de dix jours ouvrables pour rendre leurs décisions, à compter de la date de leur saisine. Passé ce délai, le recours est réputé fondé, sauf si la décision de la CENI est justifiée par les causes d'inéligibilité prévues par la loi".
En outre, "le dispositif de l'arrêt ou du jugement est notifié à la Commission électorale nationale indépendante et aux parties concernées et n'est susceptible d'aucun recours. Le cas échéant, la Centrale électorale modifie les listes. Mention en est faite au procès-verbal.La CENI arrête et publie sans délai la liste définitive".
Nulle part donc, il n'est mentionné l'éventualité d'un recours devant une autre juridiction non citée à l'alinéa 2 de cet article 27, fut-elle le Conseil d'Etat. Bien au contraire. Il en ressort qu'en s'évertuant à statuer sur des recours introduits auprès de lui contre les arrêts des Cours d'appel du Sankuru et du Sud-Ubangi, le Conseil d'Etat a purement et simplement foulé au pied cette disposition de la Loi électorale.
Pire, cette haute juridiction a fait peu de cas d'un principe général de droit consacré, non seulement en RDC, mais aussi dans tout Etat de droit démocratique, en vertu duquel les compétences sont d'attribution par le législateur et qu'aucune juridiction n'a le pouvoir de s'arroger des compétences. A moins d'opter pour le règne de l'arbitraire et de l'anarchie.
VUNDUAWE, SEUL CONTRE TOUS
Appelé à statuer à la demande du chef de l'Etat sur la confusion ainsi créée par le Conseil d'Etat, le Bureau du Conseil Supérieur de la Magistrature, a, à l'exception du seul 1er Président du Conseil d'Etat, décrété, dans un avis juridique, les arrêts querellés du Conseil d'Etat "inexistants", car "contraires à la Constitution et aux lois de la République".
Sur les huit plus hauts magistrats de la RDC qui composent ce bureau, sept ont également répondu sur le fond à l'argument brandi par leur collègue Vunduawe, qui s'était arcbouté sur l'article 21 de la Constitution. Disposition qui garantit à tous "le droit de former un recours contre un jugement", en dénonçant la lecture parcellaire et donc partiale de cette disposition par leur homologue et en rappelant avec beaucoup d'à-propos, afin que nul n'en ignore que, selon le même article 21 de la Constitution, ce droit garantit à tous de former un recours contre un jugement qui, selon cet article, est "exercé dans les conditions fixées par la loi".
"On peut noter, à cet égard, que les contentieux portant sur les résultats qui concernent l'élection présidentielle et les élections législatives nationales, qui relèvent exclusivement de la Cour constitutionnelle, ne sont pas, eux non plus, susceptibles de recours, sans que nul ne puisse invoquer une quelconque violation de l'article 21 sus-invoqué de la Constitution", fait remarquer un doctrinaire en droit positif congolais de l'Université protestante au Congo.
TEXTES LEGAUX PIETINES
Pour sa part, l'avocat Jérémie Kalala Mukena du barreau de Kinshasa-Gombe accuse le Conseil d'Etat d'avoir littéralement "piétiné" aussi bien la Constitution, la Loi électorale que la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif.
"S'agissant de la tierce opposition, affirme-t-il, le Conseil d'Etat dans ces affaires viole délibérément les articles 19 alinéa 3, 21 alinéa 2 de la Constitution et 258 de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif. A ce titre, il existe une jurisprudence abondante et constante de la Cour suprême de justice faisant office de Cour constitutionnelle en matière de contentieux électoral".
"Ces décisions sont, en outre, caractérisées par le dol prévu par l'article 388 de la Loi organique portant organisation, compétence et fonctionnement des juridictions de l'ordre administratif, dans la mesure où le Conseil d'Etat a violé volontairement le droit en débouchant sur des conclusions erronées, conférant un avantage indu à des parties en litige par la mauvaise foi et des astuces qui leur confèrent une valeur juridique apparente", a déclaré Jérémie Kalala sur Top Congo FM. Il s'exprimait ainsi à propos des arrêts rendus sous les REA 106 et 113/006 annulant l'élection de Jean-Claude Mabenze et Zéphirin Mabusu.
"Il est particulièrement inconcevable pour tout juriste que le Conseil d'Etat se soit arrogé dans ces arrêts la compétence d'examiner et de rejeter l'exception d'inconstitutionnalité, soulevée devant lui, alors que celle-ci relève en droit congolais de la seule compétence de la Cour constitutionnelle ou qu'il ait déclaré ''recevable et fondé'' l'appel de M. Taila Nage Joachim qui n'a jamais été candidat à cette élection !", a surenchéri Jérémie Kalala.
LES CRITIQUES D'UN CONSTITUTIONNALISTE
Un constitutionnaliste de l'Université de Kinshasa s'étonne de la tendance observée chez Félix Vunduawe, le n°1 du Conseil d'Etat, qui se donne des compétences que la loi ne reconnaît pas à la juridiction qu'il préside. "Même un étudiant moyen peut pourtant bien saisir qu'au nom du sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs, une juridiction de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif ne peut en aucune manière se permettre de créer des règles dérogatoires aux lois en vigueur dans le pays en lieu et place du législateur", note ce constitutionnaliste, fustigeant les aléas du professeur émérite de droit public.
"On a l'impression que le Professeur Vunduawe tient mordicus à contourner ce principe qu'il ne peut pas ne pas connaître, en créant ex-abrupto une sorte de jurisprudence contraire à celle pourtant abondante, constante et disponible dans les archives judiciaires nationales ", s'insurge cet universitaire qui se dit "scandalisé" par l'arbitraire d'un juriste, pourtant généralement bien respecté par ses pairs.
"C'est avec de tels raisonnements facétieux, tendant à faire croire que les textes des lois peuvent être assaisonnés à la tête de différentes coteries politiciennes et que les juges même au plus haut niveau sont au service non pas de la loi, mais des plus offrants en terme de corruption ou des plus forts du moment que le régime du défunt Maréchal-Président Mobutu a été inexorablement conduit à sa perte", ajoute-t-il.
Certains juristes n'arrivent à s'expliquer comment un si brillant professeur et chercheur en soit arrivé à faire l'unanimité contre lui au sein du gotha de la magistrature.
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