Monde
Le président de l'Assemblée nationale française, Richard Ferrand, a été mis en examen pour "prise illégale d'intérêts", dans la nuit du mercredi 11 au jeudi 12 septembre, dans le cadre de l'affaire immobilière des Mutuelles de Bretagne. Il venait d'être entendu lors d'un "interrogatoire de première comparution" de près de quinze heures à Lille (Nord de la France), où l'affaire a été dépaysée il y a un an. Le quatrième personnage de l'Etat a aussitôt annoncé, dans un communiqué transmis à l'AFP, être "déterminé à poursuivre [sa] mission" à la tête de l'Assemblée. Retour sur ce dossier aux multiples rebondissements.
L’enquête autour de l’affaire immobilière des Mutuelles de Bretagne, ou affaire Ferrand, du nom de l’éphémère ministre et actuel président La République en marche (LRM) de l’Assemblée nationale, poursuit son cours. Ce dernier, quatrième personnage de l’Etat, a été mis en examen pour prise illégale d’intérêts a annoncé dans la soirée du mercredi 11 septembre, le parquet. Il avait été auditionné dans la journée par la justice à Lille. Un rendez-vous attendu depuis des mois et dont ses proches s’étaient employés à minimiser la portée.
Après un premier classement sans suite en octobre 2017, « nous assistons à la suite logique de la procédure, avec une audition qui se déroule actuellement à Lille, où le dossier a été dépaysé », a fait savoir son entourage, en précisant que M. Ferrand « aborde très sereinement » ce rendez-vous.
La même source souligne que « la seconde plainte déposée par Anticor, avec constitution de partie civile devant une autre juridiction, puis dépaysée, porte sur le même fondement, pour les mêmes faits, sans éléments nouveaux et par le même plaignant. »
C'est quoi, cette affaire ?
L’audition libre du président de l’Assemblée nationale – que l’immunité parlementaire n’empêche pas – a débordé en soirée. Devant le tribunal de Lille, les médias étaient présents en nombre.
L’affaire des Mutuelles de Bretagne avait conduit ce fidèle de la première heure d’Emmanuel Macron à quitter le gouvernement en juin 2017. A peine nommé ministre de la cohésion des territoires, Le Canard enchaîné avait révélé qu’en 2011 les Mutuelles de Bretagne, qu’il dirigeait alors, avaient décidé de louer des locaux commerciaux appartenant à sa compagne. M. Ferrand conteste toute irrégularité.
Ce bien acquis pour 375 000 euros a été financé par les loyers versés par les Mutuelles de Bretagne. Selon Le Canard, la promesse de location avait permis à l'acheteuse d'obtenir un prêt bancaire équivalant à la totalité du prix de ces locaux "en mauvais état". Outre une rénovation complète des locaux par la mutuelle pour 184 000 euros, la valeur des parts de la SCI avait été multipliée par 3 000 en six ans, toujours selon Le Canard. Richard Ferrand conteste toute irrégularité et assure qu'il s'agissait de "la meilleure offre".
Le journal Le Monde ajoute que Richard Ferrand « a fait bénéficier de plusieurs contrats des proches, dont son ex-femme et sa compagne ». Alors que l'opposition estime que le nouveau ministre doit démissionner, le chef de l'Etat, Emmanuel Macron, appelle le gouvernement à la « solidarité » et la presse à ne « pas devenir juge ». Mais le dossier, qui s'alourdit au fil des révélations, plombe quand même Richard Ferrand. Le 1er juin, le procureur de la République de Brest annonce l'ouverture d'une enquête préliminaire. L'association de lutte contre la corruption Anticor adresse de son côté au parquet de Brest une plainte contre X pour abus de confiance.
L’enquête préliminaire classée sans suite ?
Le procureur de Brest avait ouvert une enquête préliminaire en juin 2017, classée sans suite en octobre. Il avait alors invoqué la prescription s’agissant d’un éventuel délit de prise illégale d’intérêts et jugé que les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie n’étaient « pas constituées ».
Mais le 9 novembre 2017, l’association anticorruption Anticor porte plainte à Paris pour prise illégale d'intérêts et recel, avec constitution de partie civile. Cette procédure permet de passer outre le refus du parquet d'entamer des poursuites pénales. En janvier 2018, une information judiciaire pour prise illégale d'intérêts est ouverte par le parquet national financier (PNF).
Le juge d'instruction Renaud Van Ruymbeke convoque Richard Ferrand en mars, mais l'audition est annulée, en raison d'un conflit d'intérêt judiciaire. Anticor a en effet envoyé chez le juge son vice-président, lui-même magistrat à Paris, et les avocats de Richard Ferrand estiment que la justice ne peut plus être impartiale. La Cour de cassation partage cet avis, ce qui entraîne le dépaysement du dossier à Lille, où trois juges ont été nommés.
D’abord président du groupe de députés LRM, Richard Ferrand a pris la succession de François de Rugy à la présidence de l’Assemblée en septembre 2018. Il avait alors averti à demi-mot qu’il ne démissionnerait pas en cas de mise en examen.
« Le Parlement a son indépendance. Par conséquent, les parlementaires n’ont pas à être dans la main de l’autorité judiciaire », avait-il déclaré en soulignant qu’un « certain nombre de parlementaires mis en examen » continuaient à « exercer leur mandat ».
« On souhaite qu’il s’explique »
Interrogée mercredi par la presse à l’issue du conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement Sibeth Ndiaye avait refusé tout « commentaire avant d’avoir connaissance de l’objet de cette convocation ».
« Ce rendez-vous aurait dû avoir lieu il y a un an, mais M. Ferrand avait réussi à gagner un peu de temps en faisant dépayser son dossier à Lille. On souhaite désormais qu’il s’explique sur les faits qui lui sont reprochés et qui ne sont pas prescrits », avait déclaré, pour sa part, le président d’Anticor, Jean-Christophe Picard.
Plusieurs députés de la majorité lui ont apporté leur soutien. Ainsi, Bruno Bonnell (LRM) « ne doute pas de son honnêteté » et, selon lui, « la vérité sortira sereinement ». « Evidemment, il peut rester à son poste », a-t-il assuré.
Une mise en examen n’aurait « aucune incidence », a renchéri Alain Tourret (LRM), avocat de profession. Selon lui, il n’existe, cependant, « aucun cas » de mise en examen d’un président de l’Assemblée. Une première donc.
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Le président de l'Assemblée nationale, Richard Ferrand, lors des questions au gouvernement, le 23 juillet 2019. (© Stephane de Sakutin/AFP)