Politique
Le compte à rebours pour les prochaines élections générales à commencé. Réformer la CENI et la Cour Constitutionnelle, trouver les financements, organiser un recensement des électeurs… le scrutin de 2023 doit s’anticiper et se préparer dès aujourd'hui.
2006, 2011, 2018… la plupart des crises politiques congolaises ont trouvé leur source dans le manque de transparence des élections et l’absence de légitimité des élus, du président de la République aux députés, en passant par les sénateurs et les élus provinciaux. Au coeur de ce manque de crédibilité électorale, on retrouve deux institutions, souvent contestées et jugée partiales : la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et la Cour constitutionnelle.
La CENI est accusée d’avoir tripatouillé les résultats de la présidentielle de 2011 et d’avoir refusé de publier les chiffres complets de celle de 2018. Quant à la Cour constitutionnelle, chargée de valider les candidatures et les résultats, elle a été fortement contestée pour avoir écarté du scrutin l’opposant Jean-Pierre Bemba, et avoir ensuite prononcé les résultats globaux de la présidentielle sans posséder la totalité des chiffres, bureaux de vote par bureaux de vote.
Réformer la CENI
L’église catholique, qui avait déployé 40.000 observateurs électoraux en 2018, demande « la dépolitisation » de l’institution. Les membres de la Commission électorale sont essentiellement désignés par les partis politiques. Le député d’opposition Christophe Lutundula a déposé une proposition de loi visant à réformer le fonctionnement de la CENI. Après trois élections contestées, ce député propose 15 mesures pour réformer l’institution. Il faut, selon lui, que les membres de la CENI ne soient pas redevables des partis politiques et que leur président soit « consensuel » et proposé par la société civile. Le député souhaite aussi la suppression de la Commission permanente de la CENI, jugée trop opaque.
Une Commission électorale indépendante
Mais déjà, la bataille s’annonce rude pour le nouveau président congolais Félix Tshisekedi. Son partenaire de cohabitation, le FCC de l’ancien président Joseph Kabila, tente de placer ses pions à la tête de la CENI. Pour remplacer le contesté Corneille Nangaa, le FCC souhaiterait y voir Adolphe Lumanu, un cacique du PPRD, le parti de Joseph Kabila. Pour plusieurs organisations des droits de l’homme, comme l’Asadho, l’IRDH et Justicia, la Commission électorale doit être dirigée par la société civile, seul gage de crédibilité.
Réformer la Cour constitutionnelle
Au banc des accusés, on trouve aussi la très controversée Cour constitutionnelle. « Une institution inféodée au pouvoir kabiliste » selon le politologue Alphonse Maindo. Avant le scrutin de 2018, Joseph Kabila avait remplacé deux juges de la Cour constitutionnelle en plein coeur de l’été. « On a vu la politisation de la Cour lors de l’épisode rocambolesque des invalidations, suivies de re-validations des députés provinciaux ou nationaux. Les arrêts de cette Cour sont censés être irrévocables, or ils ont été revus plusieurs fois ! On voit que cette institution n’est qu’un outil pour appuyer un régime. Pour changer cela, il faut une véritable indépendance de la justice, et pour l’instant c’est plutôt mal partie ».
Financer le scrutin
Pour organiser un scrutin dans de bonnes conditions, cela nécessite également de trouver un financement pour les élections. En 2018, la RDC avait souhaité financer seule le scrutin, estimé à 432 millions de dollars. La CENI avait contourné la difficulté pour trouver les ressources en utilisant les « machines à voter », qui ont été soupçonnées de faciliter la fraude électorale à grande échelle. Pour les élections de 2023, il faudra donc rapidement se positionner sur l’utilisation ou non de ces machines et le financement du scrutin alors que le programme du président Tshisekedi est extrêmement budgétivore.
Recensement, scrutin à deux tours…
Un autre point noir est soulevé par la Synergie des missions d’observation citoyenne des élections (Symocel) : le recensement de la population. Le dernier date de 1984. Félix Tshisekedi l’a promis pour 2020, mais là encore, il faudra trouver les finances pour le réaliser et le temps pour le faire avant le scrutin de 2023, sans faire glisser le calendrier électoral. Symocel pointe également la nécessité du retour d’une présidentielle à deux tours, afin de permettre une meilleure légitimité du vainqueur, ainsi qu’une révision du seuil de représentativité des partis politiques pour les législatives, celui-ci privilégiant essentiellement les grands partis proches du pouvoir en place.
Un retour de Joseph Kabila?
Moins d’un an après l’élection controversée de Félix Tshisekedi, le politologue Alphonse Maindo ne voit aucun signe encourageant. « Les élections locales prévues depuis 2006 n’ont pas eu lieu et ne sont toujours pas programmées ! La réforme de la justice se fait attendre et on se demande si les élections de 2023 ne seront pas pire que celle de 2018 ». Car en ligne de mire, il y a le possible retour au pouvoir de Joseph Kabila qui se profile, avec une probable modification de la Constitution. « On entend déjà dire que les élections coûtent trop chère pour le pays et que l’on pourrait organiser la présidentielle au scrutin indirect » , explique Alphonse Maindo.
Urgence des réformes
En procédant à cette modification de la loi fondamentale, le FCC, largement majoritaire à l’Assemblée et au Sénat, pourrait faire sauter tous les verrous en matière de limitation de mandats et permettre ainsi un retour de Joseph Kabila. Une éventualité qu’envisage déjà Sindika Dokolo, à la tête du mouvement Congolais Debout, et qui s’est récemment rapproché de Félix Tshisekedi : « Le retour au pouvoir de Joseph Kabila annoncé pour 2023 n’est possible qu’aux conditions suivantes : une Cour Constitutionnelle kabiliste, une CENI kabiliste, des élections à un seul tour, un échec de la réforme de la justice, et un peuple inattentif ». Un appel qui devrait servir d’avertissement au président Tshisekedi pour accélérer les réformes de la CENI et de la justice congolaise.
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