Société
Le directeur de cabinet de la présidence et principal allié du chef de l'Etat, Vital Kamerhe, a été placé en détention provisoire mercredi. Signe d'une justice qui gagne en indépendance ou calcul politique ?
Il était bien autre chose que le directeur de cabinet du chef de l’Etat, son titre officiel. Jusqu’à ce mercredi 8 avril, Vital Kamerhe était le «président bis» de la république démocratique du Congo. Mercredi soir, l’homme de 61 ans a pourtant passé la nuit dans une cellule collective de la prison de Makala, à Kinshasa, où il a été placé en détention provisoire après une audition de six heures par le parquet général, dans le cadre d’une affaire de corruption. Une déchéance vertigineuse pour l’un des politiciens les plus roués et les plus influents du pays, qui s’est fait beaucoup d’ennemis au cours de sa carrière politique. Personne ne sait exactement ce qu’on reproche à Vital Kamerhe, les investigations du parquet étant toujours en cours. Mais l’enquête porte sur le «programme des cent jours» de Félix Tshisekedi, lancé lors de son accession au pouvoir.
Retour en janvier 2019. Grâce à une alliance électorale avec Vital Kamerhe et son parti, l’UNC, et au terme d’un arrangement secret avec le président sortant, Joseph Kabila, le fils du défunt lion de l’opposition Etienne Tshisekedi vient d’être proclamé gagnant du scrutin. Peu importe que l’autre opposant, Martin Fayulu, revendique lui aussi la victoire, et que les observateurs de l’Eglise dénoncent une élection truquée : la RDC tient enfin son alternance pacifique, pour la première fois de son histoire heurtée.
Kamerhe a été l’un des artisans de la conquête. Cet ex-kabiliste surnommé «le Caméléon», président de l’Assemblée nationale entre 2006 et 2009 puis candidat à la présidentielle de 2011, a apporté son expérience et les voix du bassin du Kivu, très peuplé, à Tshisekedi. Le duo a sillonné toute la RDC sans jamais se séparer. Kamerhe, le cerveau de la campagne, est aussi le plus éloquent de deux hommes. Les termes de leur accord prévoient qu’en 2023, Tshisekedi devra lui rendre la pareille et lui céder son fauteuil.
Sauts-de-mouton
En attendant, Vital Kamerhe est l’un des seuls cadres de la coalition à être familier des rouages de l’administration congolaise. Il ne peut occuper le poste de Premier ministre, réservé au camp Kabila qui a raflé la majorité des sièges à l’Assemblée. Il occupe donc celui, stratégique, de directeur de cabinet de la présidence. Et, à ce titre, pilote le programme des cent jours, censé réaliser en urgence des grands travaux. «Il s’agissait en réalité d’un saupoudrage qui concernait quelques infrastructures emblématiques, comme les sauts-de-mouton de Kinshasa, ces autoponts censés réduire les bouchons de la capitale, explique Christophe Rigaud, fondateur du site spécialisé Afrikarabia. Or les marchés ont été réalisés de gré à gré, sans appel d’offres, et les coûts se sont envolés.» Kamerhe est soupçonné par la justice de s’être personnellement enrichi au passage.
«Les réalisations du programme des cent jours ne correspondaient pas aux montants décaissés à l’époque, complète Jean-Jacques Lumumba, lanceur d’alerte et président de l’association anticorruption Unis. La justice a remonté la chaîne pour comprendre ce qui s’était passé, jusqu’à arriver au nom de Vital Kamerhe.» Depuis son élection, le président Tshisekedi a martelé sur tous les tons que la lutte contre la corruption était sa priorité. Il pouvait difficilement brider les magistrats sur cette affaire emblématique. Le 20 février, le ministre de la Justice, Célestin Tunda Ya Kasende, n’a-t-il pas souhaité devant les micros qu’elle marque «le début du renouveau» de la justice en RDC?
«C’est une surprise totale, il faut saluer cette avancée significative pour l’Etat de droit, reconnaît Jean-Jacques Lumumba. Mais rappelons que Vital Kamerhe jouit de la présomption d’innocence : ce que nous voulons, c’est une justice équitable, pas une justice sélective.» Jeudi, le premier président de la Cour de cassation a renvoyé «toutes les affaires en instruction après la fin de l’état d’urgence sanitaire», pour cause de coronavirus. La détention provisoire de Vital Kamerhe risque donc de durer, à moins qu’une partie des prisons ne soient vidées pour éviter la propagation de l’épidémie.
Allié encombrant
Félix Tshisekedi ne s’est pas encore exprimé publiquement, mais il semble, aux yeux de tous, que le chef de l’Etat a lâché son binôme. Pour quelle raison ? L’indépendance de la justice et la lutte contre la corruption, comme il ne manquera pas de l’affirmer ? Ou bien par calcul politique, afin de se débarrasser d’un allié devenu trop encombrant ? «Karmerhe a toujours été perçu comme un intrus par les proches de Tshisekedi et sa base militante, rappelle Christophe Rigaud. De l’autre côté, chez les kabilistes, il reste le traître qui a changé de camp. Son arrestation arrange tout le monde.»
Que la mise à l’écart de Vital Kamerhe ait été téléguidée ou non, «elle constitue un tsunami politique en RDC», poursuit-il : «Elle vient crédibiliser une grande partie du discours de Tshisekedi sur la lutte anticorruption et envoie un message général: personne n’est intouchable.» Dans le bras de fer invisible qui se joue entre l’ancien régime, toujours puissant, et la nouvelle présidence, l’avertissement a du poids. En sacrifiant son précieux partenaire de coalition et en surfant sur une opinion publique favorable, la présidence Tshisekedi pourrait enfin gagner en autonomie. Ou se retrouver durement fragilisé. Un pari à quitte ou double.
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