Société
Prévus pour être construits sur des terrains gagnés sur le fleuve Congo, les maisons et les immeubles devaient devenir un petit « Dubaï » tropical.
Un rêve immobilier qui prend l’eau, des investisseurs congolais en guerre ouverte contre le gérant français d’une société établie aux Bermudes : dix ans après son lancement, la Cité du fleuve marque l’échec d’un projet d’urbanisme haut de gamme à Kinshasa, où la fièvre des résidences de standing bat son plein à côté des taudis.
Les promoteurs de la Cité du fleuve promettaient à son lancement il y a dix ans un « havre de paix » à l’écart du chaos urbain de la capitale de la République démocratique du Congo, la plus grande ville d’Afrique francophone avec une population estimée à quelque 17 millions d’habitants.
Prévus pour être construits sur 25 km2 sur des terrains gagnés sur le fleuve Congo, les maisons et petits immeubles desservis par des allées coquettes avec lampadaires devaient être une sorte de petit « Dubaï de Kinshasa », affirmait une vidéo promotionnelle de 2015, parlant de la « plus belle cité d’Afrique ». Stars de la rumba, banquiers, hommes d’affaires, politiciens affairistes : des nouveaux riches ont investi dans des appartements et des villas, à l’écart du quartier populaire de Kingabwa.
Mégapole en croissance constante, Kinshasa offre un paysage immobilier hypercontrasté, à la mesure des gigantesques écarts de revenus entre la majorité de la population et une poignée de nantis. Des millions de familles y survivent dans des logements exigus exposés aux inondations, aux coupures d’eau et d’électricité, mal desservis par des routes défoncées.
Herbes folles et crapauds
Mais, dans le même temps, des tours d’habitation de plus de vingt étages et des résidences de grand standing sortent de terre dans le quartier résidentiel de la Gombe, au bord du fleuve, avec des vues saisissantes sur Brazzaville.
La Cité du fleuve, qui a été à l’avant-garde de cette poussée de fièvre immobilière haut de gamme il y a dix ans, a été initiée par Mukwa Investments, une société domiciliée dans le paradis fiscal des Bermudes, ayant pour gérant le Français Robert Choudury. Au sens propre, le projet bâti a très vite pris l’eau, avec des inondations régulières en saison des pluies, comme en décembre 2020.
En ce début d’année 2021, une dizaine de constructions inachevées sont entourées d’herbes folles sur ce terrain marécageux et des crapauds barbotent dans des piscines remplies à l’eau de pluie, a constaté l’AFP. Sur le site, des poubelles débordent, pour le plus grand bonheur des mouettes. Dans certains appartements, les traces d’humidité sont visibles avec des moisissures sur les murs et plafonds.
Les complaintes des habitants sont à l’unisson : « Rien ne va ici, même l’eau qui coule dans les robinets est impropre à la consommation », « l’électricité coûte le double du tarif de la SNEL [Société nationale d’électricité] », « je n’en peux plus »…
Une eau impropre à la consommation
Le président du syndic des propriétaires, Serge Kasanda, déplore la dépréciation des biens : « Les loyers qui coûtaient 2 500 dollars sont aujourd’hui à 1 000 dollars et même moins. » L’homme d’affaires congolais de 56 ans dénonce des retards de livraison : « J’ai acheté un appartement à 185 000 dollars en novembre 2018 qui devrait m’être livré trois mois après. Mais jusqu’à à ce jour, cela ne m’a pas encore été livré. »
Le syndic a envoyé un « mémo » au président de la République en février pour dénoncer l’eau impropre à la consommation, les problèmes d’évacuation des ordures… en estimant qu’il fallait 50 millions de dollars pour rembourser les dettes, réhabiliter le site et les bâtiments et aménager de nouveaux espaces par remblaiement.
Les propriétaires ont demandé l’arrestation du gérant français Robert Choudury, qu’ils accusent de tous leurs maux. Joint par l’AFP en Afrique du Sud, Robert Choudury accuse en retour les Congolais d’être de mauvais payeurs.
Au bout de dix ans, sur un total de 450 appartements, « seuls 15 % des clients ont payé la totalité tout de suite dans les semaines qui ont suivi la signature du contrat. 65 % des gens ont payé en six ans au lieu de deux ans [comme convenu] et 20 % de gens n’ont jamais fini de payer », se défend M. Choudury. « J’ai perdu 4 millions de dollars en dix ans » pour couvrir la fourniture électrique, ajoute l’homme d’affaires français, accusant « des généraux et des ministres qui refusent de payer ». Il reconnaît qu’il existe « 30 appartements non livrés. Mais 18 sont en cours de finition ».
L’homme d’affaires affirme avoir « signé un accord avec des partenaires chinois » pour reprendre le projet de la Cité du fleuve sans plus de détails. Et annonce un projet similaire à la Cité du fleuve à Lubumbashi, capitale économique du pays dans le sud-est.
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