Culture
L’artiste, qui manie aussi bien la photo que la plume, forge un mémorial symbolique pour honorer les victimes de l’exploitation minière en RDC.
Le 8 octobre, lors de la cérémonie de clôture du sommet Afrique-France à Montpellier, Sinzo Aanza, 31 ans, s’est approché calmement du pupitre face à une salle qui, debout, l’ovationnait. Imperturbable, l’écrivain congolais a lu d’une voix posée un bref extrait de son texte sur les amours dans les Kivu en guerre, ces régions de l’est de la République démocratique du Congo (RDC) dont il est originaire. Plus tard dans la soirée, avec la même placidité, il a interpellé Emmanuel Macron sur l’impact des assassinats politiques sur la stabilité des pays africains. Le président français « a reconnu les meurtres que la France a toujours niés », rapporte le jeune homme, se réjouissant d’une « déclaration importante ».
Sinzo Aanza a la force tranquille de ceux qui n’ont pas reçu la rage en héritage. Depuis cinq ans pourtant, l’artiste, qui manie aussi bien la photo que la plume, forge un « Mémorial improbable », inspiré des cimetières numériques japonais, pour honorer les victimes de l’exploitation minière au Congo, tombées sous les coups des colons et, plus tard, d’un Etat kleptomane et d’autres pays prédateurs.
« Au Katanga, des populations ont été massivement délocalisées, sans négociation, sans discussion, sans dédommagement ou pas à la hauteur de la violence de la perte », explique Sinzo Aanza, qui s’intéresse aux mécanismes du déni aussi bien des anciennes puissances coloniales que des nouveaux dirigeants corrompus. Ce mémorial symbolique, aujourd’hui exposé à la galerie Imane Farès (Paris), a pris la forme d’une maquette d’architecture imaginaire, complétée d’une vidéo, d’une longue tenture et de textiles noués.
Dans son quartier, on l’appelle « le poète de la ville ». Un surnom dont on l’affublait déjà au lycée, où ses talents étaient réquisitionnés pour des oraisons en tout genre. Aujourd’hui encore, l’écrivain, qui sait trousser des histoires polyphoniques, a pris l’habitude de déclamer ses œuvres lors de trajets en bus. S’il lit ainsi ses textes à haute voix, c’est d’abord « pour les tester, vérifier qu’ils parlent à tout le monde ». Mais aussi « pour défier les évangélisateurs des pseudo-églises du réveil », ces charlatans qui promettent une prospérité illusoire, dit-il.
Un regard amoureux mais lucide sur Kinshasa
Sans perdre ses attaches avec le Nord-Kivu, le jeune Congolais a pris ses quartiers à Kinshasa, cité-Etat en surchauffe sur laquelle il porte un regard amoureux mais lucide. Cette mégapole chaotique où des montagnes de déchets cuisent au soleil, Sinzo Aanza la décrit comme « une bouche d’égout » où, chaque jour, des milliers de miséreux viennent tenter leur chance dans un mélange, dit-il, de « désespoir, frustration, détermination et ambition ». De ce foyer de désirs contradictoires, il a fait le décor de son livre Que ta volonté soit Kin, que le dramaturge burkinabé Aristide Tarnagda a mis en scène l’été dernier au Théâtre de l’Odéon, à Paris, dans le cadre de la saison « Africa2020 ».
Sinzo Aanza a parfois diffusé ses textes en pleine rue, par le biais d’amplificateurs, fragile tentative d’imposer sa bande-son au milieu du vacarme urbain. C’est d’ailleurs en plein air qu’il voulait présenter Que ta volonté soit Kin, qui fait se rencontrer trois personnages : Sophie, pleurant son amour perdu ; Lily, qui aimerait apaiser son amie ; et Pilate, un officier de police qui voudrait bien les faire décamper. Il avait aussi voulu donner une forme performative à son premier roman, Généalogie d’une banalité, l’histoire folle d’un quartier où tout le monde se met à creuser le sol dans l’espoir de trouver du cuivre.
« Ici, tout le monde se fiche de la poésie »
« La plupart du temps, je n’ai pas réussi à faire ces projets pour des questions de moyens », confie le jeune homme, regrettant que « tout le monde se fiche de la poésie car le seul pouvoir ici est celui de l’argent ». Sinzo Aanza ne vend d’ailleurs ses œuvres qu’à l’étranger, ses seuls revenus en RDC provenant du commerce qu’il mène en parallèle dans la quincaillerie, les matériaux de construction ou des projets agricoles. « J’aimerais que la création occupe au moins 70 % de mon temps, mais parfois on n’a pas d’autre choix. »
Pour autant, celui qui partage son temps entre Kinshasa et Zurich n’imagine pas se replier en Europe. « Au Congo, il n’y a pas d’espace défini, c’est à chacun de nous de le définir », estime l’artiste avant d’ajouter : « C’est ici que j’ai mes repères émotionnels et intellectuels. » Toutes ses œuvres y tirent d’ailleurs leur matière et leur décor, comme la pièce ubuesque Plaidoirie pour vendre le Congo, où des familles sont invitées à réfléchir à la valeur de leurs proches morts lors d’une bavure de l’armée. Mais Sinzo Aanza, qui tient le noir pour la couleur des mœurs humaines, sait tirer les fils de l’absurde jusqu’à les rendre tragiquement universels.
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