Société
"Nous sommes menacés de mort", explique Marie Mushengezi Uwase, 23 ans. "Le problème, c’est que je suis Banyamulenge et j’ai épousé un Bantou", raconte-t-elle d’une voix douce, presque inaudible et tremblante. Marie nous parle d’une union guidée par l’amour mais inconcevable pour deux communautés qui se font la guerre depuis plus de 25 ans au Sud Kivu, à l’Est de la République démocratique du Congo, sur les hauts plateaux paradisiaques d’Uvira, Fizi et Mwenga.
Régulièrement, des groupes armés attaquent le camp adverse, dans des cycles de vengeance sans fin, faisant des victimes parmi les civils. Banyamulenge contre Maï-Maï, terme générique qui désigne des miliciens originaires de trois communautés : Babembe, Banyindu et Bafuliru.
"Les menaces viennent des deux côtés", s’inquiète Marie. Depuis des mois, presque quotidiennement, la jeune femme et son époux Emile, 24 ans, reçoivent sur leur compte WhatsApp des messages haineux d’une violence inouïe, certains appelant ‘à l’extermination’. "On nous accuse de traitres", ajoute Emile Amini Bitenga. "Lorsqu’il y a un problème dans l’une ou l’autre communauté, ils m’accusent moi ou Marie d’avoir révélé une information cruciale, d’avoir joué un rôle d’espion en faveur de notre communauté".
Marie Mushengezi Uwase, Emile Amini Bitenga et leur fille Angela Merkel. © Tous droits réservés
Marie et Emile se sont déplacés jusqu’à Kamanyola, pour raconter leur histoire. C’est une petite ville à la frontière avec le Burundi et le Rwanda. Auparavant, le couple habitait à Uvira, à l’extrême Nord du Lac Tanganyika, tout près de la frontière avec le Burundi. Littéralement, les Banyamulenge sont "ceux qui viennent de Mulenge" au sud d’Uvira, une minorité de Tutsis congolais aux lointaines origines rwandaises.
"Nous avons abandonné notre maison à Uvira pour habiter à Luvungi", explique Emile. "Cela devenait trop dangereux de rester à Uvira. Tandis qu’à Luvungi, il y avait un chef coutumier, l’Honorable M’Babaro qui était acquis à notre cause, il comprenait qu’un mariage mixte pouvait conduire à une intégration sociale. Il nous a accueilli dans son village, mais ensuite il a été empoisonné. Sur le corps, on a laissé un message : ‘votre protecteur est mort, prochainement c’est vous’. Après ça, les messages ont redoublé d’intensité".
Selon le Haut-commissariat des Nations unis aux réfugiés (HCR) en raison des conflits armés, à elles seules, les deux provinces du Nord et Sud-Kivu, comptent environ 2,8 millions de déplacés internes sur les 5,2 millions qu’il y a actuellement sur l’ensemble du pays.
Omar Kalinga et Katunga Makwese Undiwawe, les parrains de mariage de Marie et Emile. © Tous droits réservés
Une petite fille prénommée Angela Merkel, 'en hommage à une Allemagne unifiée'
Aujourd’hui, le jeune couple vit caché dans un abri de fortune. C’est là que Marie a mis au monde une petite fille prénommée Angela Merkel. "Nous avons choisi ce nom pour deux raisons. D’une part, parce que nous voulions cacher ses origines communautaires. D’autre part, parce que Merkel incarne une Allemagne unifiée, l’unification de deux communautés".
Alors qu’il voulait chercher des vêtements pour sa fille après la naissance, Emile a été enlevé par un groupe armé. "On m’a emmené dans la brousse", raconte-t-il. "J’y suis resté quatre jours, les mains ligotées et les yeux bandés. Je ne saurais dire si c’étaient des Bantous ou des Banyamulenge… Je sais seulement qu’ils étaient armés".
L’enlèvement d’Emile a certainement eu un lien avec la situation maritale de son jeune couple. "Avec toi on aura tout le monde, me disait-on", explique-t-il encore avant de terminer, " J’ai eu la vie sauve par miracle ! Lorsqu’il y a eu des échanges de tirs avec un autre groupe armé, j’en ai profité pour me sauver".
Marie et Emile sont venus accompagnés de leurs parrains de mariage. Un couple mixte aussi. Plus âgé, la quarantaine. Même configuration : Omar Kalinga est Bantou, tandis que Katunga Makwese Undiwawe est Banyamulenge.
Katunga vient de Mutarule, comme Marie. Un village tristement célèbre pour avoir connu un terrible massacre en 2014. En une nuit, 37 personnes ont été tuées par balles ou brûlées vives. Selon la population locale, ni l’armée congolaise, ni la Mission des Nations unies en RDC ne sont intervenues, malgré des appels à l’aide répétés. C’est là que Marie a perdu sa mère et deux de ses petits frères.
"Notre couple subit les mêmes menaces", explique Katunga. "Quand nous nous sommes mariés, j’espérais que les problèmes intercommunautaires allaient s’arrêter, mais ici à Luvungi, nous recevons encore des messages de mort. On ne sort quasiment pas de la maison".
"La situation a empiré ces dernières années", estime Emile. "Depuis qu’il existe les réseaux sociaux, on voit des groupes se former notamment sur WhatsApp qui ne diffusent que des messages de haine et des appels à l’extermination. Avant l’apparition des réseaux sociaux, il n’y avait pas autant de liberté de parole".
Dans la région, ces deux couples sont les seuls à avoir osé la mixité. "Je connais un jeune Bantou qui voulait épouser une jeune fille Banyamulenge", raconte Omar Kalinga, "mais son père a refusé catégoriquement. Le jeune a alors abandonné la fille".
"Comment arrêter ces massacres ?", déplore Omar Kalinga d’une voix douce, un peu résigné mais déterminé. "Nous allons nous entretuer jusqu’à quand ?".
Des femmes déplacées se rassemblent pour discuter des récents enlèvements et agressions sexuelles commis par des hommes armés autour du camp de personnes déplacées de Bijombo, dans la province du Sud-Kivu, à l’est de la RDC, le 9 octobre 2020. © AFP
Les deux couples croient en leur solution, en apparence utopique mais tout compte fait, parfaitement logique. "Pour lutter contre les massacres, il faut une intégration sociale", commence Emile. "C’est-à-dire qu’il faut encourager les couples mixtes".
Et de poursuivre son raisonnement, "S’il y avait 50 ou 100 mariages, on aurait la paix. Il y aurait des nièces et des neveux de la même famille dans chaque camp. Il y aurait des réticences à tuer des membres de sa propre famille. La paix deviendrait alors durable".
"C’est parce que nos différentes tribus Bantou se mélangent, qu’elles ne s’entretuent pas", explique encore Emile. "En revanche, les Banyamulenge ne se mélangent pas. Nos épouses sont tenues pour responsables. Pour finir, elles ne sont acceptées nulle part. Elles ne peuvent plus avancer, ni reculer".
Aucune lettre d’Emile, ni de Marie n’a réussi à convaincre leur communauté respective de les accepter.
"Malheureusement, les politiciens n’encouragent pas les mariages mixtes", déplore Emile. "Ça ne les arrange pas. Ils divisent pour régner. Pour rester populaire, ils vont tenir des discours de haine à l’encontre d’une communauté. Certains d’entre eux sont même dangereux parce qu’ils contrôlent des groupes armés. Et dès qu’il y a un massacre, ils appellent au dialogue. Mais le dialogue n’aboutit jamais à la paix".
Angela Merkel est donc le fruit d’une paix durable, espère le jeune couple.
Omar Kalinga et Katunga Makwese Undiwawe ont deux enfants, âgés de 18 et 20 ans. "Ils ne se promènent jamais seuls", expliquent les parents. "Ils vont à l’école mais on reste très vigilants, parce qu’ils peuvent être une cible de l’une ou l’autre communauté".
Quel avenir marital ces enfants issus d’un couple mixte, auront-ils ? "En tout cas, nous leur inculquons nos valeurs", terminent les deux parrains.
Pierre Boisselet, coordinateur du Baromètre sécuritaire du Kivu (Kivu security tracker – KST) qui documente et analyse les violences dans l’Est de la RDC.
G.K. : Les Banyamulenge sont présents seulement au Sud-Kivu, qui sont-ils ?
Pierre Boisselet : Les Banyamulenge sont un peuple qui vit – vous l’avez dit- essentiellement au Sud-Kivu. Ils étaient là bien avant le temps de la colonie. Ce sont des Congolais Tutsis rwandophone. Ils parlent une langue apparentée au Kinyarwanda, la langue parlée au Rwanda. Il y a des petites différences entre les langues parlées au Rwanda et au Burundi mais ce sont des langues très proches et les locuteurs de ces différentes langues se comprennent très bien.
Traditionnellement, c’est un peuple qui vit d’élevages dans la région spécifique du sud Kivu, qu’on appelle les hauts plateaux. ‘Traditionnellement’, parce qu’aujourd’hui les Banyamulenge sont présents dans divers secteurs de l’économie, dans diverses villes du Congo et même au-delà, parce que c’est une communauté qui a diaspora importante.
Sur le plan démographique, il est difficile d’en estimer le nombre. Au début des années 2000, les chiffres parlaient d’une fourchette assez large de 50.000 à 400.000 personnes. Mais on peut dire qu’il s’agit d’une petite minorité à l’échelle du Sud-Kivu.
Certains Congolais soupçonnent les Banyamulenge d’être au service du Rwanda notamment, pour " balkaniser " l’Est de la RDC au profit de son voisin. Que sait-on de leurs connexions avec le Rwanda voisin ?
Il est important de ne pas généraliser. Un certain nombre de Banyamulenge ont eu des liens avec le Rwanda, d’autres se sont opposés au Rwanda. Mais pour comprendre l’Histoire, certains jeunes Banyamulenge ont rejoint le Front patriotique Rwandais (FPR) au début des années 90. A l’époque c’était une rébellion qui se battait contre le régime hutu de Juvénal Habyarimana au Rwanda (président hutu assassiné le 6 avril 1994, dans un attentat contre son avion. Un événement qui va déclencher le génocide contre les Tutsis, ndlr). Après la prise du pouvoir par le FPR au Rwanda, on a encore retrouvé des jeunes Banyamulenge dans les différentes rébellions qui ont été soutenues par le Rwanda et qui ont occupé l’Est du Congo, pendant la première (1996-1997) et la deuxième guerre du Congo (1998-2003).
Il est important de souligner qu’aujourd’hui, la communauté Banyamulenge est divisée sur son rapport au Rwanda. Une partie importante estime qu’elle a été instrumentalisée par le Rwanda, que cela a amené beaucoup de malheurs et contribué à dégrader les relations avec les autres communautés du Sud-Kivu. D’ailleurs en 2012 et 2013, très peu de Banyamulenge ont rejoint la rébellion du M23 à l’Est du Congo, qui était pourtant soutenue par le Rwanda. Certains Banyamulenge ont même joué un rôle dans l’armée congolaise pour défaire cette rébellion.
Dernière chose importante, une grande partie des Banyamulenge estime que le Rwanda est derrière les groupes armés qui les traquent. Que le Rwanda est responsable de l’hostilité à laquelle ils font face.
Depuis 2019, la région a connu un regain de violence entre communautés du Sud-Kivu. Qui sont les différents acteurs de ce conflit ? Quelles sont les causes du conflit ?
Les Banyamulenge font face essentiellement à des groupes armés Maï Maï. Les racines de ces conflits sont multiples. Il y a le poids de l’Histoire dont on vient de parler. Mais il y a aussi des conflits autour des pouvoirs locaux, des pouvoirs coutumiers. Historiquement, les Banyamulenge ont été exclus de ce pouvoir et certains d’entre eux veulent obtenir des entités territoriales sur lesquelles ils pourraient exercer leur pouvoir. Et ça, cela rencontre une très forte résistance de la part des communautés voisines.
Il y a aussi des problèmes autour des transhumances, l’élevage nécessite de se déplacer en fonction des saisons et cela oblige les Banyamulenge à traverser des zones qui sont habitées par d’autres communautés. Là où il faut payer des taxes.
Et enfin, il y a des causes régionales. Les pays voisins, en particulier le Rwanda et le Burundi, sont rivaux entre eux. Ils ont tendance à mener des guerres par procuration, par des groupes armés interposés. Les Banyamulenge sont pris dans cette dynamique régionale infernale.
En allant sur place, j’ai senti la haine que leur vouaient les autres communautés ? Comment expliquer ce sentiment encore si violent ?
La haine à l’égard d’un groupe de personnes n’est jamais justifiée. Assimiler toute une communauté, c’est faire un raccourci dangereux et c’est toujours condamnable. Mais il y a des raisons historiques. L’Est du Congo a subi des occupations d’Etats voisins (Ouganda, Rwanda, Burundi, ndlr) et de groupes armés soutenus par ces pays voisins, extrêmement violentes, extrêmement traumatisantes pour les communautés locales. Il y a donc une rancœur très forte à l’égard du Rwanda, jusqu’à aujourd’hui. Et malgré eux, les Banyamulenge sont très fréquemment assimilés au Rwanda. Cela explique la haine que vous avez ressentie et qui est réelle.
En plus de cela, des théories complotistes ont été renforcées et manipulées par des acteurs politiques qui affirment- par exemple – que les Banyamulenge seraient une création du Rwanda, que ce peuple n’existerait pas.
Il y a aussi une grande peur à propos d’un supposé projet de balkanisation, dans lequel certaines parties de l’Est du Congo seraient retirées du contrôle de Kinshasa, voire rattachées au pays voisin. Tous ces discours attisent cette haine.
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