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Chroniques & Analyses

Croissance économique en RDC : la Congophorie est-elle justifiée ? (Analyse d'Oasis Kodila Tedika)

2023-01-23
23.01.2023
Economie
2023-01-23
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Le gouvernement est content. Il y a même eu de la jubilation de certains quand les dernières prévisions macroéconomiques du FMI sont tombées : 6,7% pour l’année 2023. La RDC est citée parmi les meilleures croissances de l'Afrique, après le Sénégal (8,1%) et le Niger (7,3%). Quoique moins enthousiaste, la Banque mondiale prévoit un taux de croissance proche de celui du FMI, soit 6,4% en 2023. Jusqu'à maintenant, il y a cependant aucune raison de tomber dans une euphorie béate. Pourquoi ? Plusieurs raisons en cause. En voici quelques-unes.

Premièrement, faut-il rappeler que le fait que la RDC soit parmi les meilleures performances ne relève pas tant d'elle que de la faiblesse de la croissance relative de ses concurrents africains ? Les meilleures performances africaines de ces deux dernières années (pour éviter la crise de la Covid-19) sont les Seychelles (9,4%), le Rwanda (8,4%) et le Botswana (7,7%). La RDC n’est-elle pas loin de ces performances ? Si on prolonge la période pour couvrir jusqu’à 2015 (2015-2022), les leaders en termes de croissance moyenne deviennent l’Ethiopie (7,5%), la Somalie (6,8%), le Rwanda (6,3%), la Guinée (6,3%) et la Côte d’Ivoire (6,2%). En revanche, en 2023, ces pays vont connaître de faibles performances tirant le continent vers le bas. Par exemple, le Rwanda va connaître un taux de croissance de 6,7%, la Côte d’Ivoire 6,3%, les Seychelles 5,2%, l’Ethiopie 4,7%, la Guinée 4,3%, le Botswana 4% et la Somalie 2%. Ceci nous rappelle une vérité incontestée en économie : le propre de la croissance est d'être très volatile, c’est-à-dire instable dans le temps. Les économistes le savent depuis au moins les travaux du prix Nobel d’économie 2019 Michael Kremer et ses co-auteurs très respectés dans la discipline (William Easterly , Lant Pritchett et Lawrence H. Summers) : d’une décennie à une autre, la corrélation entre les taux de croissance est très faible.

Deuxièmement, un taux de croissance de 6,7% n'est pas une grande nouveauté si l'on a une perspective longue, c’est-à-dire depuis la résurrection de la croissance du PIB. En effet, depuis 2002 l'année de ladite résurrection, la RDC a connu des taux de croissance supérieurs à 6,7% au plus sept fois, avec un pic de 9,5% en 2014. Donc aucune nouveauté ! Le relativisme s’impose en l’occurrence.

Troisièmement, la prévision de la performance congolaise de cette année demeure inférieure à la cible de 7% l'an si on considère le fait que le pays s'est fixé comme objectif d'atteindre au moins le taux de croissance minimum exigé pour les pays les moins avancés signataires de l'Agenda 2030, dans l’ODD 8, cible 1 (Maintenir un taux de croissance économique par habitant adapté au contexte national et, en particulier, un taux de croissance annuelle du produit intérieur brut d’au moins 7 % dans les pays les moins avancés). Encore que ce chiffre n'est qu'un minimum avec un soubassement, à savoir un taux de croissance compatible avec une réduction de la pauvreté. Pour comprendre l'enjeu, regardons les études disponibles. Nous en avons produit une sur la période entre 2005-2012 avec Akhenaton Izu-Makongo. Et les autres chercheurs économistes ont également considéré la même période, pour la simple et bonne raison que, pour ladite période, les données de l'enquête 123 sont disponibles. Selon ces différentes recherches, le pays avait réalisé un taux de croissance moyen de près de 6%, avec des effets faibles ou quasiment nuls sur la pauvreté dans le pire de cas. Or, le taux de croissance d'aujourd'hui n'est pas tant différent de celui de cette période-là en termes de composition. En outre, les estimations optimistes et récentes de la Banque mondiale (MPO – Octobre 2022) tablent sur une réduction du taux de pauvreté de 4 points de pourcentage entre 2019-2024, alors que pour cette période le taux de croissance moyen est supposé être de 5,2%. En somme, il faut à la RDC des taux de croissance soutenables et vigoureux pour réduire nettement la pauvreté. On en est loin pour l’instant.

Ce qui nous amène à relativiser encore cette euphorie avec un quatrième argument. Entre 2002 et 2022, le taux de croissance moyenne du PIB a été de l’ordre de 5,6%. Mais la contribution du secteur minier, fortement volatile, a été de l'ordre 2,04 points de pourcentage. Dit autrement, le taux de croissance du PIB hors mines n’a été que de 3,6% pour toute la période. Et rien n'a changé dans l'entre-temps. La transformation structurelle n'étant pas au rendez-vous, l’effet de cette croissance demeure donc faible structurellement. Ceci est d’autant plus inquiétant que les fondamentaux n'ont pas changé.

Cinquièmement, depuis la reprise de la croissance en Afrique au milieu de la décennie 90, trois écoles s'affrontent, si nous devons nous permettre de cataloguer : les optimistes (The Economist, Alwyn Young, Steve Radelet, Laura N. Beny, Lisa D. Cook, Xavier Sala-i-Martin, Maxim Pinkovskiy, Thomas Barnebeck Andersen, Peter Sandholt Jensen, etc.), les pessimistes/sceptiques (Dani Rodrik, Kenneth Harttgen, Stephan Klasen, Sebastian Vollmer, John Page, Joao Amador, Antonio R. dos Santos et Abebe Shimeles, etc.) et les « neutres » (entre autres Margaret McMillan, Morten Jerven, Shanta Devarajan, Rumman Khan, Oliver Morrissey, Paul Mosley). Classons-nous du côté des optimistes un instant. T.B. Andersen et P. S. Jensen d’une part et L. N. Beny et L. D. Cook d’autre part ont écrit des articles scientifiques avec des questions importantes : est-ce que cette croissance africaine est-elle soutenable ? Comment l’expliquer ? Avec des équations dignes des scientifiques, ils montrent que la croissance en Afrique peut être soutenable dans la mesure où cette croissance observée récemment est liée notamment à l'amélioration de la gouvernance ou des institutions. Les fondamentaux ont commencé à s’améliorer dans ce continent. En des termes différents, si on veut soutenir la croissance on a également besoin de consolider une meilleure gouvernance lato sensu et la mise en place de meilleures institutions. Alors qu'est-ce qui s'est passé au niveau de la RDC en ce qui concerne ce fondement ? Le Worldwide Governance Indicators peut rapidement aider à répondre à cette question avec ces différents indicateurs, évoluant dans la fourchette de -2,5 (pire situation) et 2,5 (situation idéale). En ce qui concerne la qualité de la réglementation, la RDC est passée de -1,76 en 1996, à -1,71 en 2002 pour finir avec une note de -1,42 en 2021. S’agissant du contrôle de la corruption, la note a évolué respectivement de -1,65, -1,45 et -1,55. Concernant l’Etat de droit, le score du pays a été de -1,88 en 1996, -1,77 en 2002 et -1,7 en 2021. Le tableau institutionnel n’est pas encore très bon. Le chemin reste encore long.

Comme disait le prix Nobel d’économie, Paul Samuelson : « si j’ai deux yeux, c’est pour regarder au moins deux indicateurs ». Cette perspective montre clairement que les raisons sont nombreuses pour nuancer la Congophorie, en regardant d’autres indicateurs ou aspects. Ces différentes raisons appellent par ailleurs à plus de lucidité économique dans le chef du gouvernement pour porter des réformes susceptibles de sous-tendre une croissance de qualité. Parce que c’est une année électorale, l’offre politique de différents candidats doit rencontrer la demande qui émane de ces différentes raisons. Sinon, elle ne vaudra rien.

*Oasis KodilaTedika est un économiste et auteur récemment du livre Financement du développement en RDC : diagnostic, opportunités et perspectives.


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