La Saint-Valentin n’est pas congolaise ! (Analyse d’Oasis Kodila Tedika)

Cette fois-ci apparemment, Kinshasa n’abhorre pas suffisamment de panneaux publicitaires pour vendre des fleurs à la veille de la saint Valentin. Encore moins d’affiches pour les concerts « amoureux ». Pourtant, c’est la saison de l’ « amour», le mois de la Saint-Valentin. Est-ce le déclin de cette fête en République Démocratique du Congo (RDC) ?

Le prisme économique peut rapidement nous aider à comprendre. En effet, cette fête semble de moins en moins attirée l’attention. Le jour « J », la présence de rouge et noir n’est plus vraiment au rendez-vous sur les routes congolaises. Peut-être dissimilée par d’autres couleurs afin d’éviter la stigmatisation ou simplement se cacher de l’autorité « parentale », qui se nourrit d’une autre culture totalement différente de l’époque actuelle. Evidemment, il s’agit là d’une mesure pas assez objective. D’ailleurs, elle n’existe vraiment pas en RDC. Pour tenter d’apprécier l’ampleur du phénomène en RDC, Paul Samuelson, premier prix Nobel américain d’économie, a développé la théorie de la préférence révélée : pour déduire les préférences des consommateurs, il suffit de regarder leur choix. En dépit de la limite théorique, cette conceptualisation vaut son pesant d’or. Le choix des mots sur Internet s’avère utile en vue de se faire une idée sur l’ampleur de ladite fête. La figure 1 illustre parfaitement une tendance à la baisse de cette fête, quoiqu’ à la veille de celle-ci, il y a toujours un pic, traduisant la présence des valentins et valentines.

Figure 1. Tendance de la Saint-Valentin en RDC sur Internet

Derrière cette fête, il y a ce que l’on appelle l’amour romantique, entendu comme la passion, l’intimité et l’engagement pour reprendre la théorie triangulaire de l’amour de Robert J. Sternberg. Cet amour n’est pas une génération spontanée. Il est plutôt une évolution culture qui n’est pas typiquement occidentale comme le montrent Nicolas Baumard et ses co-auteurs. Cette évolution se nourrit du développement économique (niveau de vie), de la modernisation (éducation, innovation, urbanisation et industrialisation) et de la transmission culturelle. La figure 2 montre la concentration géolocalisée (Kasumbalesa, Kolwezi, Bukavu, Lubumbashi, Kinshasa, Goma, Kisangani- selon l’ordre d’importance) du volume de recherche sur le sujet de la Saint-Valentin auquel on associe des sujets comme le cadeau, la fête, le SMS, le poème, la fleur, la carte de vœux, les idées, etc. Il est clair que la concentration de la recherche sur cette fête est constatée dans les milieux urbains à forte densité économique de manière générale. Ceci rejoint quasiment les conclusions de l’hypothèse du développement économique et de la modernisation. Quant à la culture, les grandes agglomérations sont le centre de brassage culturel et de fois des confrontations culturelles. Ce qui explique la non-adhésion totale à cette fête. Et peut-être même la baisse de la tendance sus-évoquée.

Figure 2. Recherche géolocalisée du mot Saint-Valentin par les congolais

Cette conclusion de la géolocalisation de la Saint-Valentin insinue également une autre chose. En effet, l’amour non romantique demeure fortement présent dans le Congo profond. Le mariage précoce en est la preuve : selon les données de l’enquête MICS-Palu 2018, la proportion des femmes mariées avant l’âge de 15 ans est de 9,5% dans tout le pays. Cette proportion tombe à 7,3% dans le milieu urbain, alors qu’elle est plus importante dans le milieu rural (11,6%). Lorsque l’on considère les femmes mariées avant l’âge de 18 ans, les proportions augmentent sensiblement, soit 31,3% pour tout le pays, 24,8% dans le milieu urbain et 37,3% dans le milieu rural.

On sait que l'exposition aux médias augmente considérablement la disponibilité d'informations sur le monde extérieur et l'exposition à différents modes de vie. Ce qui est possible dès lors que le développement économique est présent. En des termes différents, il existe une corrélation entre l’exposition aux médias et le progrès économique. Or, le milieu rural ou le Congo profond n’a pas accès à l’Internet ni vraiment à la télévision : selon les données de l’enquête nationale EGI-ODD 2020, 0,7% seulement de la population rurale utilise l’Internet contre 16,7% dans le milieu urbain. S’agissant de la télévision, à peine 30% de la population urbaine en ont contre 21,4% dans le milieu rural. A cette exposition médiatique, il faut y insérer la limite énergétique : 60% de la population urbaine ont accès à l’électricité contre 11,3% dans le milieu rural. Ainsi, la force à l’œuvre est la culture locale. Il n’existe pas une autre offre culturelle pour faire un arbitrage entre quel type d’amour choisir (traditionnel ou romantique). Dans ce contexte, importer une autre culture présente un coût d’opportunité importante. La rationalité de l’amoureux lui oblige en conséquence de se rabattre au leg historique.

En définitive, dans un pays où la population est essentiellement rurale, on peut affirmer sans risque d’être contredit que la Saint-Valentin n’est pas congolaise, ou du moins n’est pas encore (entendue comme une appropriation par la majorité). Cette nuance est de taille dans la mesure où la force de la modernisation ou du développement économique peut, à elle seule, soulever ou balayer les contraintes, notamment culturelles pour imposer l’amour romantique. Peut-être la tendance à la célébration de la Saint-Valentin a diminué, mais elle est loin de disparaître. Qui vivum verum.

*Oasis KodilaTedika est un économiste et auteur récemment du livre Financement du développement en RDC : diagnostic, opportunités et perspectives.