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Infos congo - Actualités Congo - Premier-BET - 08 avril 2024
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Denis Mukwege : "Nos autorités doivent revoir notre stratégie de défense, arrêter avec l’externalisation de la sécurité mais dotons notre pays d’un véritable appareil de défense et de sécurité"

2023-03-07
07.03.2023
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Denis Mukwege

Placé dans l’obligation de gagner l’élection présidentielle de 2023, le prix Nobel de la paix 2018 répond à cœur ouvert à 16 questions pointues d’Ouragan. Ses atouts de candidature, les soucis sécuritaires de la RDC, ses rapports avec les autres candidats présidents de la République, les ambiguïtés de la communauté internationale, ses relations avec le régime Tshisekedi jusqu’au processus électoral avec tout son lot d’échecs opérationnels.

“L’homme qui répare les femmes” s’offre au peuple et appelle à une “révolution démocratique” mais aussi à un “sursaut patriotique” qui fera triompher des valeurs. Le toubib de Panzi s’oblige donc à une nouvelle trajectoire de lutte pour le salut du peuple. Longtemps actif dans la prise en charge des victimes des guerres multiformes qui terrifient l’est congolais, Denis Mukwege est voulu par les intellectuels congolais au sommet pour redresser chirurgicalement le Congo-Kinshasa.

En 2021, le gynécologue congolais a publié en 2021, “La Force des femmes”, un livre fort où se mêlent son combat personnel et celui des femmes à travers le monde. Ci-contre, exclusivement l’entretien historique avec Ouragan CD.

Professeur Denis Mukwege, comment jugez-vous la situation sécuritaire en ce début d’année électorale ?

Dr Denis Mukwege : La situation sécuritaire de notre pays est très préoccupante. Elle a empiré, accroissant le risque de balkanisation du pays. Nos autorités doivent revoir notre stratégie de défense, arrêter avec l’externalisation de la sécurité. Ce n’est pas la multiplication des troupes étrangères sur notre territoire qui va nous ramener la paix durable. Nous devons réformer profondément notre secteur de sécurité pour donner à nos vaillants combattants et agents de renseignements les moyens nécessaires appropriés pour contrer les menaces sécuritaires.

Tout récemment, vous avez déploré l’insensibilité de la communauté internationale sur le dossier Congo malgré les massacres à répétition et actuellement l’occupation d’une partie du territoire national par le M23. Comment envisagez-vous la sortie de crise avec le Rwanda ?

La crise avec le Rwanda et les autres pays agresseurs ne peut se régler durablement que si nous dotons notre pays d’un véritable appareil de défense et de sécurité qui impose le respect. Un État sans armée efficace, c’est comme un corps sans immunité. N’importe quelle bactérie peut lui être fatale. Donc, il faut réformer notre secteur de sécurité. Par ailleurs, il faut œuvrer à créer une culture de la paix dans la région par des activités sociales, religieuses, économiques, culturelles, etc. qui favorisent la tolérance. Les dirigeants doivent apprendre à créer la solidarité entre les peuples et renoncer à l’impérialisme, quel qu’il soit.

Biselele Fortunat, l’ex-collaborateur du chef de l’État a parlé du carnet d’adresses que détiendrait le président rwandais. Vous êtes une personnalité de très haute dignité internationale. Croyez-vous que les Occidentaux et les grandes puissances soient prêts à aider la RDC à se stabiliser et à se développer ?

C’est à nous Congolais de prendre notre destin en main. La stabilisation et le développement de la RDC sont une affaire des Congolais. Les autres puissances ne peuvent venir qu’en appui à nos propres efforts. Le président américain ou français a été élu pour défendre les intérêts stratégiques et vitaux de son pays et non du Congo. Nous devons nous organiser et nous mobiliser autour d’un leadership clair et visionnaire pour bâtir un pays plus prospère, plus fort, uni et plus beau. Nous en avons les moyens et les atouts : les hommes, les ressources naturelles, les forêts, etc. Ce qui nous fait défaut, c’est l’organisation et le leadership pour une gouvernance efficace. C’est une honte pour notre grand pays avec toutes ses intelligences tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays que de prétendre quémander un carnet d’adresses au président rwandais pour attirer les investisseurs alors même que nous savons ce que son régime fait dans ce pays, contre nos femmes et sœurs, nos populations, nos ressources naturelles, etc.

Est-ce que la voix de la RDC est aujourd’hui entendue dans cette bataille diplomatique contre le Rwanda ?

Quelle que soit la longueur de la nuit, le jour finit toujours par se lever. Pendant longtemps, nous avions l’impression de ne pas être entendus, mais les lignes bougent. Je m’en réjouis énormément, même si le chemin reste encore long pour faire cesser les crimes graves qui se poursuivent impunément dans notre pays. Nous devons intensifier des plaidoyers, chacun partout où il se trouve, pour faire entendre plus fortement la voix du Congo. Tenez ! L’Union européenne a suspendu son aide à l’armée pour son intervention au Mozambique après les dénonciations.

Vous refusez la venue des armées étrangères en RDC, principalement celles de l’EAC pour soutenir l’armée congolaise, quelle est l’alternative que vous préconisez, au moment où le pays fait face à la coalition rwando-ougandaise ?

La seule solution durable pour la pacification de notre pays, c’est la réforme profonde de notre secteur de sécurité. Nous devons faire l’économie d’en appeler à des troupes étrangères. Nous avons la capacité de défendre notre intégrité territoriale, et nous l’avons, maintes fois, démontré dans le passé, depuis la force publique jusqu’aux FARDC. Nous avons des vaillants combattants qui sont déterminés, dévoués et prêts à mourir pour la patrie. Il faut les encadrer, les entretenir, les motiver, les entraîner, les équiper, leur payer une bonne solde, etc. Ils feront alors la différence pour la nième fois en attendant de réformer profondément le secteur de sécurité.

Le rapport Mapping va-t-il clouer la bouche de Kagame et les autres despotes de la région ?

Le rapport Mapping documente les crimes graves commis en RDC entre 1993 et 2003, mais il faut continuer à documenter aussi les autres crimes qui sont perpétrés depuis 2003. C’est un produit de la communauté internationale qui répertorie les crimes les plus graves dont certains pourraient être qualifiés de crimes de génocide. C’est un important outil de plaidoyer pour obtenir la fin de l’impunité et la garantie de la non-répétition à condition qu’un tribunal pénal international soit institué pour juger les auteurs présumés des crimes graves. C’est le combat que nous menons depuis des années. Si les auteurs présumés rendent compte de leurs faits, cela découragera les autres auteurs des crimes. Le rapport Mapping n’est pas dirigé ni écrit contre un individu, il a été diligenté par les Nations unies pour contribuer à lutter contre l’impunité des crimes graves commis en RDC. Il documente les violations les plus graves des droits humains. Dès lors, on apprend que certains s’agitent contre ce rapport.

Venons-en aux échéances électorales, vous avez été plébiscité candidat à la présidentielle de décembre de cette année par plusieurs élites congolaises. Jusqu’à présent, vous vous entourez d’un flou dans vos réponses. Acceptez-vous l’offre populaire de votre candidature ? Et si vous êtes candidat, allez-vous vous coaliser avec Fayulu, Matata et Katumbi pour avoir la garantie d’une victoire certaine ?

J’entends les appels des Congolais de tous bords. Je les remercie de la marque de confiance et de l’estime à ma modeste personne. Je connais le problème de notre pays, nous ne pouvons le résoudre qu’ensemble, en unissant nos forces, en rassemblant toutes les forces vives et sociales et politiques, en nous organisant efficacement. Il faut provoquer une révolution démocratique, en nous enrôlant et en votant massivement, mais surtout en s’organisant pour faire respecter la vérité qui sortira des urnes. Si le peuple s’organise, si des femmes et des hommes compétents de valeur se présentent aux différents niveaux des élections (législatives, sénatoriales, provinciales, locales, etc.) pour créer une force de changement, alors, nous pourrons travailler sérieusement ensemble pour prendre notre destin en main et reconstruire notre pays, redonner la dignité à notre peuple, la grandeur à notre nation, la fierté à nos concitoyens.

Quelles relations entretenez-vous avec Fayulu, Katumbi, Matata et le cardinal Ambongo ?

Je suis un fils de pasteur et pasteur moi-même. Mon père a été le premier pasteur protestant à initier des cultes œcuméniques avec des prêtres catholiques à Bukavu. Pour moi, les différences confessionnelles n’ont que peu d’importance pour avoir baigné dans l’œcuménisme dès ma petite enfance. Je respecte tous les hommes. Pour moi, les bonnes relations humaines sont fondamentales. C’est pourquoi je me fais toujours le devoir d’entretenir de bonnes relations avec tout le monde, autant que cela dépend de moi, malgré nos différences fondées sur divers points. Les personnalités que vous citez sont mes compatriotes avec lesquels j’entretiens des relations plus ou moins étroites. J’apprécie bien certains d’entre eux-mêmes si je ne peux pas avoir des relations plus soutenues pour plusieurs raisons et contraintes liées à nos agendas, à la résidence, à la mobilité des uns et des autres. Il est évident que nous devons davantage travailler à consolider nos relations.

Que répondez-vous à ceux qui, tout en reconnaissant votre notoriété internationale, disent qu’il vous manque une expérience politique ?

Je préfère ne pas répondre à toutes les critiques. Voyez la situation actuelle de notre pays, notre nation est en péril. Tous les indicateurs socioéconomiques et sécuritaires sont au rouge. Quand la nation est en danger, on a besoin de toutes les forces, il est temps de rassembler et de fédérer tout le monde, les plus expérimentés et les autres. L’expérience n’est pas l’unique source de compétence, la connaissance aussi surtout lorsqu’elle s’accompagne d’une vision et d’une éthique. Napoléon est devenu empereur à quel âge ? Il est aujourd’hui impératif de renouveler la classe politique pour apporter du sang nouveau, autrement, notre système politique va se scléroser avec les mêmes personnes, les mêmes maux et mêmes méthodes qui ont montré d’ailleurs leurs limites dans la transformation positive du pays.

Qu’est-ce qui fonde votre conviction qu’il faut à tout prix un changement radical en 2023 ?

Il faut un changement profond qui passera forcément par une révolution démocratique en 2023. Nous avons un pays merveilleux : un scandale géologique, le poumon de la planète face au dérèglement climatique, une très riche diversité biologique, une population fabuleuse et studieuse. Malgré tout cela, nous sommes l’un des plus pauvres au monde avec un État défaillant et instable. Nous sommes devenus la risée du monde entier. Nous ne méritons pas cela. Nous méritons mieux. Avec notre capacité de résilience individuelle et collective, je suis convaincu qu’il nous suffit d’un leadership fort pour remettre le peuple au travail, reconstruire l’État, redonner la dignité et la fierté à la nation. Le peuple congolais semble mûr pour prendre son destin en main. C’est pourquoi je suis convaincu qu’il se lèvera et marchera pour se choisir les dirigeants qu’il faut.

L’opération d’enrôlement des électeurs a été prolongée de 25 jours à Kinshasa et dans le reste de la première aire opérationnelle. Êtes-vous rassuré du travail abattu par la commission électorale ?

J’ai suivi comme bien d’autres compatriotes les rapports préliminaires sur les opérations d’enrôlement qui rencontrent beaucoup de problèmes logistiques et autres. Le mal est congénital. La désignation des animateurs de la CENI et le vote de la loi électorale ont été faits de manière unilatérale. Les institutions étatiques comme la CENI, la justice et les impôts, sont instrumentalisées au service d’un homme et son régime, au détriment de la nation. Il est encore temps de réajuster les choses pour organiser des élections apaisées, inclusives, transparentes et libres.

D’autres langues crient déjà à la fraude et à la réduction des centres d’inscription dans le grand Katanga et dans l’est du pays, est-ce que leur inquiétude est fondée ?

J’exhorte nos dirigeants à mettre l’intérêt général national au-dessus de tout. Tout semble organisé pour conserver le pouvoir, quel qu’en soit le prix. On ne gouverne pas son peuple par défi.

Le choix des pays où la diaspora doit s’enrôler et voter a-t-il été objectif ?

D’abord, notons que la diaspora joue un rôle majeur, notamment en termes de rentrée des devises et d’assistance aux familles. Selon les estimations de nombreux experts, les flux financiers en provenance de la diaspora représentent trois voire quatre fois les aides au développement de la communauté internationale. Et puis, le processus électoral doit être inclusif, libre, transparent et démocratique pour être crédible et garantir la légitimité des institutions et des animateurs. Les citoyens sont égaux en droits et en dignité, aucune discrimination, notamment fondée sur le lieu de résidence en l’occurrence ici, ne peut être acceptée conformément à la Constitution. La cartographie électorale ne doit pas se faire en fonction des pays et des régions qui sont favorables à telle ou telle autre personne. Nul, à part la CENI, ne sait sur quels critères ont été choisis les pays où la diaspora va voter. La CENI aurait dû prendre tous les pays ou, à défaut, les regrouper en région au nom de l’égalité des citoyens. Il aurait fallu des préalables et des critères objectifs clairs des choix des pays pour faire participer la diaspora au processus en s’assurant que seuls les Congolais y prennent part. Le choix, par exemple, de sélectionner cinq pays européens où les Congolais peuvent voter illustre plutôt l’impréparation du pouvoir et je le regrette.

Que pensez-vous de la lutte actuelle contre la corruption que mène le président Félix Tshisekedi, et de la libération malheureusement de la plupart de ceux qui ont été arrêtés pour détournement de deniers publics après leurs condamnations judiciaires ?

La justice élève une nation. Nul ne peut se soustraire à la justice, mais la justice doit être équitable, indépendante et impartiale. Nous sommes tous égaux devant la loi. La corruption est un fléau qui gangrène notre pays et en compromet le développement. La lutte contre ce mal doit être sans faille et sans pitié pour espérer des résultats.

Pourquoi on accuse votre hôpital de refuser de payer les impôts et taxes pourtant la DGI pense que pour certains produits, vous êtes assujetti ?

L’hôpital de Panzi n’est pas mon bien privé même si c’est mon œuvre. C’est un établissement qui assure une mission de service public et qui relève des œuvres médicales de la 8e CEPAC. Il a toujours payé ses impôts et taxes comme tout le monde, mieux que nombre d’autres institutions. Les institutions publiques comme le fisc ne devraient pas être instrumentalisées pour museler les libres penseurs, les objecteurs de conscience et adversaires politiques réels ou imaginaires. L’hôpital de Panzi est situé dans un quartier populaire, sans facilités de restauration pour le nombreux personnel qui y travaille. Alors, il offre un repas collectif du pauvre aux agents (riz aux haricots) à l’heure du déjeuner. Comment peut-on taxer ce repas ? Dans ces conditions, on devrait taxer les stéthoscopes, blouses, thermomètres, tables et chaises mis à disposition du personnel pour mieux travailler au service des malades. Il en est de même des crédits de communication donnés aux médecins pour leur permettre de suivre leurs patients même quand ils ne sont pas de service ou les jours fériés. Depuis quand fait-on payer les impôts sur cela ? Je ne connais aucune institution, publique ou privée, astreinte à ce prélèvement obligatoire.

Docteur Mukwege, qu’est-ce que vous allez dire aux Congolais d’exceptionnel pour cette année que vous n’avez pas encore fait ?

Je leur dis seulement. Le temps est venu de nous mettre debout et de marcher pour la révolution démocratique, à la suite de nos pères fondateurs. Le temps est venu de prendre notre destin en main. Nous n’avons qu’un seul pays. Prenons-en bien soin.

Docteur Mukwege, je vous remercie

Merci

 

Jeanric Umande
Ouragan FM / MCP, via mediacongo.net
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