Interviews
La drépanocytose, communément nommée " anémie
SS ", en RDCongo, est une pathologie génétique souvent héritée
des deux parents qui en sont porteurs mais pas malades. La drépanocytose
ne peut qu'être héritée de ces deux parents, elle n'est
donc pas contagieuse : elle ne peut pas s'attraper au cours de la vie. La drépanocytose
affecte les globules rouges ou plutôt l'hémoglobine contenue dans
les globules rouges. L'hémoglobine permet le transport de l'oxygène
de nos poumons jusqu'aux tissus de tout notre corps, c'est elle qui donne la
couleur rouge à notre sang. Cette hémoglobine normale s'appelle
A. Dans la drépanocytose, l'hémoglobine est différente
(elle s'appelle S): elle est capable de transporter l'oxygène mais a
tendance à devenir rigide et ainsi bloquer la circulation du sang dans
les petits vaisseaux. Ce qui donne une crise douloureuse et toute sortes de
complications.
Les manifestations de la drépanocytose sont essentiellement : la douleur,
l'anémie, l'infection et l'ictère. A l'heure actuelle, il existe
plusieurs formes de traitements qui permettent de soulager les malades (essentiellement
médicamenteux) mais seule une transplantation de la moelle permet la
guérison définitive. Cependant, il est très difficile de
trouver un donneur potentiel et les coûts sont élevés.
La drépanocytose est encore méconnue du grand public. Bien souvent,
elle est considérée comme tabou dans les familles. Les conditions
de vie ont une grande influence sur la maladie. Voilà pourquoi l'accent
doit être mis sur la prévention. C'est dans cette optique que le
Docteur Didier N'Gay, médecin généraliste à Bruxelles,
a accepté de répondre à nos questions.
mediacongo.net : Quelles sont les populations concernées ?
Docteur Didier N'Gay : Les populations les plus concernées sont
celles d'Afrique, d'Inde, d'Asie, d'Amérique du Sud, du bassin méditerranéen
et des Caraïbes, ainsi que les afro-américains.
Notons que la migration de ces populations vers l'Europe a modifié les
données épidémiologiques de ce continent. Il y a aussi
un nombre important de couples mixtes (25 %) et des enfants issus de l'immigration
; la génération actuelle a oublié l'existence de la maladie.
Le fait qu'elle porte plusieurs noms (maladie des os, SS, anémie falciforme,
) complique encore les choses.
mediacongo.net : Depuis quand êtes-vous sensibilisé à
cette affection génétique ?
Docteur Didier N'Gay : Un peu comme tous les étudiants en médecine, j'en entendais parler depuis longtemps. Mais mon regard a changé lorsqu'un ami, proche, drépanocytaire est venu habiter chez moi quelques mois. Je le connaissais depuis de nombreuses années. Du fait de notre cohabitation, j'ai vu les crises provoquées par la maladie de très près. J'ai donc été témoin direct de ces douleurs atroces ressenties par mon ami. Toutefois, je n'étais pas son médecin traitant mais à partir de ce moment, la maladie est devenue quelque chose de plus subjectif. Cet ami avait crée l'association Action Drépanocytose en 1998. Je l'ai rejoint en 2001. C'est la première fois que j'entrais dans une organisation humanitaire ; avant j'étais plus actif dans des associations culturelles. En 2002, mon ami est décédé et avant son décès, il avait exprimé le souhait de me voir continuer l'asbl. J'ai longtemps hésité avant d'accepter. Mais en 2003, j'ai repris les rennes de l'association Action Drépanocytose.
mediacongo.net : Que recommandez-vous lorsque deux personnes porteuses de l'affection (AS) décident de s'unir ?
Docteur Didier N'Gay : Je ne recommande rien quant à leur union.
Il y a des pays où il est fortement déconseillé à
deux personnes porteuses de la maladie de s'unir. Ici, en Belgique, le dépistage
peut être fait en cours de grossesse ou dès la naissance. L'idéal
est d'éviter toute surprise au moment de la naissance. Certains parents
sont paniqués lorsqu'ils découvrent qu'ils ont un enfant drépanocytaire.
D'où la nécessité d'informer les parents sans forcer leur
décision : interrompre ou non la grossesse ? Les personnes devraient
toujours avoir la liberté de choix, en toute connaissance de cause. Les
professionnels de la santé doivent informer sur toutes les possibilités
qui existent y compris l'IVG. Il y a des drépanocytaires heureux et d'autres
qui en veulent à leurs parents. Qui suis-je pour trancher ?
mediacongo.net : Depuis que vous êtes actif dans la lutte contre la drépanocytose,
observez-vous une tendance à la hausse où à la baisse du
nombre de personnes atteintes ?
Docteur Didier N'Gay : Il s'agit d'une pathologie très fréquente
parmi celles dépistées à la naissance (environ un enfant
sur 1650 à Bruxelles, soit la première maladie génétique)
mais peu fréquente en terme de nombre de malades (à peu près
500 pour la Belgique).
mediacongo.net : Que faites-vous au sein de votre association pour sensibiliser
la population ?
Docteur Didier N'Gay : Une de nos premières missions est l'information,
au sens large. Nous informons le grand public à savoir, les cercles des
jeunes, des mamans, le réseau associatif,.. Cette mission d'information
comprend également les séminaires destinés aux professionnels
de la santé, des articles de vulgarisation, l'intervention dans les groupes
de prières, lors de conflits familiaux ou dans les écoles. Nous
essayons toujours d'allier une information humaine et scientifique.
Notre activité mensuelle est le MAKUTANO (mot swahili qui signifie "
rencontre ", " discussion ", " intersection "). Chaque
participant a la possibilité de partager son expérience et ses
compétences : le patient, le médecin, l'artiste, les élus
locaux,
le travail associatif se trouve ainsi renforcé. A long
terme le but est de créer un réseau proactif qui inclut toute
personne se sentant concernée par la douleur, la maladie chronique, l'enfance,
la génétique et les droits de l'homme
d'où la composition
très hétérogène de l'asbl qui compte des sympathisants
de toute origine.
Nous collaborons régulièrement avec un partenaire congolais, Bana
Membre, l'association des drépanocytaires à Kinshasa. Ils sont
une source d'inspiration permanente pour nous et nous espérons un jour
avoir des moyens pour renforcer leurs capacités.
L'orientation constitue un autre axe important de notre travail. Ici, nous renseignons
et nous guidons les patients et leur famille vers les spécialistes et
les centres médicaux adéquats.
mediacongo.net : Quel est votre mot de la fin ?
Docteur Didier N'Gay : Je pense que s'il y a une réelle mobilisation, la situation peut changer. La volonté politique devra également être au rendez-vous. Action Drépanocytose est partisan d'actions multiples car la drépanocytose n'est pas une maladie isolée qui concerne uniquement la communauté africaine. Avec le développement de la génétique, la société sera de plus en plus confrontée à des choix que les drépanocytaires doivent faire aujourd'hui. Les maladies génétiques concernent toute la population. Prises ensemble, elles constituent un véritable problème de santé publique !
Enfin, comme le disait, en 2003, Léon Tshilolo : " Nous disposons
de moyens pour offrir dans un avenir proche une qualité et une espérance
de vie meilleure aux drépanocytaires. Cela peut se résumer au
dépistage précoce, l'information, la formation, une prise en charge
raisonnée, une volonté politique et un élan de solidarité
nationale et internationale ".
Contact :
actiondrepanocytose@yahoo.fr
(bientôt)www.actiondrepa.org
Docteur Didier N'Gay : dngay@hotmail.com
Docteur Didier N'Gay
pendant un makutano, activité mensuelle d'Action Drépanocytose,
Maison africaine, Bruxelles
Congrès "New Horizons in Anaemia Treatment and Care" Milan,
septembre 2006.
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