Interviews
Le Barreau congolais venait de fêter ses 40 ans d'existence le 10 juillet dernier. Plusieurs personnalités juridiques, politiques et diplomatiques étaient présentes pour célébrer l'évènement. Les festivités avaient été marquées par des discours à portée juridique. Ainsi, le bâtonnier national, Me MBUY-MBIYE TANAYI, a appelé la communauté internationale et l'ONU a dédié une journée internationale à la justice en tant que garante de la sécurité et de la paix dans le monde. Dans son plaidoyer, il avait rappelé son combat pour un appareil judiciaire efficace, cohérent et au service de tous.
Au-delà de cet événement, Me MBUY-MBIYE a dans l'l'interview qu'il nous a accordée, dressé entre autres, l'état des lieux de la justice au Congo. Un tableau nuancé, certes, mais fidèle reflet de la situation actuelle.
Le Barreau congolais vient de fêter ses 40 ans d'existence. Quelle
leçon principale tirez-vous de cet anniversaire ?
Pour moi, la leçon à est que l'ordre des Avocats a atteint enfin sa maturité avec tout ce que cela implique. Certes, 40 ans peut sembler assez tard comme âge de la maturité, mais n'oublions pas que la construction du Barreau congolais n'a été achevée qu'en 1987, avec l'installation des organes de l'Ordre National des Avocats, et notamment l'élection du premier Bâtonnier National. Cela dit, le Barreau qui a connu depuis lors plusieurs crises de jeunesse est entré tout récemment à pas mesuré dans sa maturité.
Dans votre discours de circonstance vous avez dressé un tableau assez sombre du fonctionnement de la justice au Congo. Dès lors, que préconisez-vous en tant qu'acteur, pour mettre fin à certaines pratiques obsolètes.
Tout d'abord, je propose que l'autorité politique cesse à jamais
de recourir à des renvois massifs des magistrats qui n'ont pour effet
que d'affaiblir l'édifice de la justice.
Ensuite, j'invite l'Etat à cesser de désigner dans la hiérarchie
judiciaire des magistrats ne remplissant pas les conditions de promotions, ces
dernières devant également ne plus se faire que sur la base objective
des concours.
De plus, j'appelle également l'Etat ou la hiérarchie judiciaire
à remettre en mouvement la fonction disciplinaire qui ne s'est plus exercée
depuis 1997 et à tirer les conséquences des condamnations de certains
magistrats en prise à partie, du point de vue disciplinaire.
Enfin, je propose d'une part à l'autorité politique congolaise
l'instauration d'une journée nationale de la justice, et d'autre part
à l'ONU et à la communauté internationale la consécration
d'une journée dédiée à la justice, en tant que garante
de la paix et de la sécurité dans le monde, avant de rêver
au jour où s'érigerait dans notre pays, un mémorial dédié
à la paix et à la justice.
En matière de justice, nous n'avons pas grand chose à faire sinon
qu'à en appeler à la conscience des uns et des autres, et si cela
ne suffit pas, à sanctionner dans la mesure où les textes et les
circonstances l'autorisent. Je me dois de vous rappeler que l'uvre de
la justice se doit d'être un travail de longue haleine.
Votre discours semblait viser uniquement les magistrats et l'exécutif.
Pourtant, il semblerait que les avocats aient également une part de responsabilité
dans le dysfonctionnement de la justice.
Il est vrai que les avocats ne sont pas des saints au regard du dysfonctionnement
de la justice mais je crois qu'entre plusieurs délinquants de différents
niveaux, il est plus utile de stigmatiser ceux qui ont une emprise directe et
réelle sur les choses plutôt que ceux qui ne jouent qu'un rôle
de comparse.
Il en est ainsi des magistrats, qui non seulement constituent l'épine
dorsale de l'ordre judiciaire, mais aussi rendent effectivement les décisions
de justice qui concernent l'honneur, la liberté ou les biens des personnes.
Quoiqu'il en soit, vous devez savoir que les organes du barreau sanctionnent
les avocats, parfois même à des peines très sévères
pouvant aller jusqu'à la radiation lorsqu'il est établi qu'ils
ont contribué à l'obstruction des mécanismes de la justice.
La RDC compte actuellement plus de 5000(cinq mille) avocats. Ne trouvez-vous pas que cette situation provoque une explosion de l'offre.
Les conflits et litiges se multiplient dans notre pays, rendant ainsi nécessaire
l'intervention des avocats de plus en plus nombreux. Il en découle que
loin d'étouffer la profession, l'inadéquation entre le nombre
d'avocats et le pouvoir économique des populations aura pour conséquence
de faire fuir plusieurs qui ne sauront pas tirer leur épingle du jeu.
Mais cela n'est pas l'apanage des pays pauvres, dans la mesure où l'on
trouve même dans les pays riches, des avocats qui ne réussissent
pas à vivre de la profession et qui sont obligés de s'orienter
vers d'autres activités.
Mais, malgré le nombre en apparence excessif des avocats congolais, celui-ci
n'arrive pas encore à couvrir intégralement l'ensemble du pays
où l'on trouve encore des juridictions qui fonctionnent sans l'assistance
des avocats. Et le problème risque de s'aggraver encore avec la réforme
judiciaire qui verra la multiplication des ressorts judiciaires dans le futur.
Justement en parlant de la profession d'avocat, 40 ans après, il semble qu'elle soit restée généraliste alors que dans d'autres pays, les avocats se spécialisent davantage. Qu'est ce qui explique cette différence ?
La spécialisation ne s'improvise pas. Elle suppose d'une part qu'au-delà
de son diplôme de base, l'avocat acquière de nouvelles connaissances
dûment certifiées par un titre académique, et d'autre part
que la spécialisation sache nourrir celui qui cantonnerait ses prestations
à un seul domaine du droit, ce dont l'on peut douter, en RD Congo où
l'avocat n'est généralement consulté qu'après naissance
du litige, et que son choix est généralement déterminé
par des considérations de proximité. Je dis donc oui à
la spécialisation mais à pas mesuré et sans précipitation,
étant donné qu'il ne suffit pas la décréter pour
que ça se réalise automatiquement sur le terrain. La spécialisation
ira donc de soi quand la nécessité se fera sentir.
Précédemment à la commémoration du 40e anniversaire, vous aviez convoqué la conférence des Bâtonniers, cependant certains avocats soutiennent que cette conférence n'était ni légale, ni règlementaire. Pouvez-vous nous à ce sujet?
J'ai eu effectivement à convoquer la première conférence
des Bâtonniers de la République Démocratique du Congo qui
s'est tenue les 8 et 9 juillet 2008.
Vous devez savoir à ce sujet, qu'au terme des articles 120 et 123 de
la loi sur le Barreau, le Conseil National de l'Ordre peut prendre des règlements
et des décisions obligatoires pour tous les avocats. C'est ce que le
Conseil National de l'Ordre a fait en prenant une décision organisant
la conférence des Bâtonniers, en exécution d'une résolution
prise le 29 mars 2008, par l'assemblée générale de l'Ordre
National des Avocats qui a préséance sur lui. C'est donc une erreur
de dire que la conférence des Bâtonniers n'est ni légale
ni réglementaire.
Quelles sont les résolutions issues de la conférence des Bâtonniers et de quelle manière celles-ci s'appliqueront-elles dans les différents barreaux ?
Lorsque la conférence des bâtonniers aura à prendre des résolutions dans l'avenir, elles seront obligatoires pour les barreaux et par ricochet pour les avocats. Celles-ci seront soumises à l'appréciation du Conseil National de l'Ordre qui s'il les trouve pertinentes, pourra les rendre obligatoires pour les avocats. Mais pour ce qui est de la première conférence des bâtonniers, celle-ci n'a fait que discuter de grandes lignes de son règlement intérieur, avant d'examiner le projet de modification de la loi sur le barreau qui on l'espère, pourrait être soumis au Parlement dans la foulée des autres textes relatifs à la réforme judiciaire.
Notre enquête en marge de 40e anniversaire révèle que les deux barreaux de Kinshasa/Gombe et Matete sont asphyxiés par la présence des Avocats des autres Barreaux voisins (Mbandaka, Bas-Congo, Bandundu et voire Mbuji-Mayi et Kananga). Avez-vous une solution face à cette situation ?
La question de la présence à Kinshasa des avocats d'autres barreaux
n'ayant pas sollicité une inscription complémentaire reste cruciale.
Il faut reconnaître que si la loi permet aux avocats de plaider de manière
ponctuelle devant toutes les juridictions du pays, par contre seuls les avocats
ayant obtenu une inscription complémentaire sont autorisés à
ouvrir un cabinet ou à s'installer dans le ressort d'une cour d'appel
différent de celui de leur barreau d'origine.
J'entends ainsi amener les avocats au respect de la loi avec le concours du
Conseil National de l'Ordre et de la conférence des bâtonniers,
notamment dans l'intérêt de la défense des indigents des
ressorts de leurs barreaux d'inscription.
Du reste, les conseils de l'ordre des barreaux de Kinshasa/Gombe et Kinshasa/Matete
et même celui de Goma, ont plusieurs fois donné l'exemple en interpellant
les avocats en situation irrégulière. Par conséquent, l'apport
de la conférence des bâtonniers sera appréciable dans la
mesure où ce problème ne concerne pas que Kinshasa mais également
plusieurs provinces..
40 ans oui et après ?
40 ans oui et après ça sera 41 ans et plus tard 50 ans et 100 ans. Je ne peux que formuler le vu que le Barreau reste constant pour le combat de la quête de la justice dans notre pays.
Autre(s) chose(s) à ajouter ?
Rien de spécifique, sauf peut-être à faire en appel à tous les citoyennes et citoyens congolais ainsi qu'à tous ceux qui ont choisi notre pays comme leur seconde patrie pour qu'ils uvrent au redressement de la justice qui est notre bien commun.
Contact
E- mail : mbuymbiye@yahoo.fr
Tél :243 998134185
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