Sport, un moyen de construire des Etats africains ? (Analyse d’Oasis Kodila Tedika*)

Un peu partout en Afrique, on retrouve des gens en liesse. On est là le 10 décembre dernier. En cause : la qualification du Royaume du Maroc en demi-finale de la Coupe du monde, édition 2022. Une première pour lui, mieux pour toute l’Afrique. Il y a des lustres que tout le Continent attendait d’arriver au dernier carré. Cette victoire est d’autant plus délicieuse qu’elle était totalement imprévisible. Personne ne l’avait envisagée, alors que cette fois-ci même des articles scientifiques prédictifs et l’intelligence artificielle ont été mis à contribution. Qui pouvait y croire pour ce 22ème au classement FIFA au début du mondial ?

Le football n’est pas que les 11 joueurs en train de courir derrière un ballon. Ce n’est pas non plus seulement la passion ni l’économie qui s’y cache derrière. Il est un outil puissant que l’Afrique peut exploiter. Pour le comprendre, il est important de rappeler que ce Continent, avec son histoire atypique est constitué d’Etats, dessinés par les colonisateurs. Ces dessins, en créant des Etats artificiels, ont en partie compromis le développement de l’Afrique. Plusieurs études en économie le montrent, notamment celle des économistes Alberto Alesina, William Easterly et Janina Matuszeski.

A ce titre, certains considèrent que les pays africains ne sont pas des nations, mais plutôt des nations qui sont des ensembles de nations. En des termes différents, la RDC ne serait pas une nation, mais plutôt un ensemble des nations dès lors que l’on considère les entités tribales ou ethniques. Ainsi, il n’est pas étonnant que les questions des pays africains sont perçues d’abord sous cet angle ou que les jugements de certains sont orientés d’abord dans ce sens. La grande question que l’on pose souvent pour arriver à dégager la centralisation nécessaire au développement est le moyen d’y parvenir. Pour faire simple, comment construire des Etats ?

La littérature académique est riche d’instructions et de solutions. Le vivre en ensemble n’est pas facile en Afrique. Les confits récents entre les Yaka et les Teke ou à Yumbi ou encore le génocide rwandais, qui opposait deux ethnies (les Hutus et les Tutsis) sont autant d’exemples que l’on trouve. 

Récemment, trois brillants économistes (Emilio Depetris-Chauvin, Rubén Durante et Philippe Campante) sont venus notamment mettre sur le menu de solutions le partage des expériences, comme moyen de vivre paisiblement ensemble et de construire les Etats. Ils ont publié dans l’une de meilleures revues scientifiques en science économique un article très intéressant, en regardant l’impact du football. Comme résultat, les personnes interrogées dans les jours qui ont suivi une victoire importante de l'équipe nationale de leur pays sont 37 % moins susceptibles de s'identifier principalement à leur groupe ethnique et 30 % plus susceptibles de faire confiance à d'autres ethnies que celles interrogées juste avant. 

Fondamentalement, les réalisations de l'équipe nationale réduisent également la violence : les pays qui se sont (à peine) qualifiés pour la Coupe d'Afrique des Nations connaissent moins de conflits civils (9 % d'épisodes en moins) dans les mois suivants que les pays qui ne l'ont pas (à peine) fait. Ces résultats ne portent que sur la Coupe d’Afrique, qu’en est-il s’il s’agit de la Coupe du Monde ? Les auteurs n’ont pas répondu à cette question, mais fort de ces résultats, l’imagination de chacun peut fournir les estimations. Voilà pourquoi on s’est senti tous marocains, même ceux qui ne savent peut-être pas situer ce pays sur la carte. L’essentiel, c’est l’expérience vécue ensemble.

Le sport, particulièrement le football, n’est pas seulement un jeu. Il est bien plus, car capable d’opérer des miracles. Il est peut-être temps pour l’Afrique de mettre un peu plus de moyens et de sérieux pour avoir plus de Maroc, c’est-à-dire des succès de cette ampleur. C’est une des voies royales pour nous conduire vers la construction de nos Etats, avec évidemment de l’intelligence.

*Oasis KodilaTedika est un économiste et auteur récemment du livre Financement du développement en RDC : diagnostic, opportunités et perspectives.