Recherche
  Home Actualités Petites annonces Offres d’emploi Appels d’offres Publireportages C'est vous qui le dites Medias & tendances Immobilier Recherche Contact



Infos congo - Actualités Congo - Premier-BET - 08 avril 2024
mediacongo
Retour

Culture

Un "Tribunal sur le Congo" examine la mondialisation à la congolaise

2015-06-18
18.06.2015 , Bukavu
Culture
2015-06-18
Ajouter aux favoris
Tout était faux, cette semaine là à Bukavu. Le grand amphithéâtre du collège Alfajiri n’était qu’un décor. Les témoignages avaient été soigneusement préparés, sept cameras tournaient en permanence. Tout était faux, soigneusement mis en scène par le réalisateur suisse Milo Rau, qui travaille sur le projet « Tribunal sur le Congo » depuis plus d’un an. Tout était faux mais en même temps, tout était vrai. Les intervenants, plusieurs dizaines de Congolais venus des profondeurs du Sud-Kivu étaient bien réels et ils décrivaient des situations très concrètes, des lieux où la mort frappait voici quelques jours encore.

Le président du Tribunal, l’avocat belge Jean-Louis Gillissen, spécialiste de la procédure, est un habitué de la justice internationale. Ayant plaidé à Arusha autant qu’à Timor ou à la Cour pénale internationale de La Haye, il veillait au respect scrupuleux des règles, temps de parole, courtoisie à l’égard des intervenants, calme dans le public, menaçant à plusieurs reprises de faire évacuer une salle turbulente ou indignée. Les interrogatoires menés par les six membres du jury étaient précis, rigoureux et les arguments de la défense étaient écoutés avec la même attention que ceux de l’accusation.

Mais surtout les trois cas présentés au Tribunal présentaient un résumé criant des problèmes actuels de l’Est du Congo, cette vaste région du Sud et du Nord-Kivu. Depuis novembre 2013, officiellement, la guerre a pris fin, les rebelles tutsis du M23 ayant été mis en déroute. Mais en réalité, de nombreuses bandes armées rodent toujours et les sociétés minières, exhibant des permis qui leur ont été accordés par Kinshasa, s’emparent des terres et chassent impitoyablement les creuseurs artisanaux et les habitants des collines.

Milo Rau, s’il avait voulu faire œuvre d’historien, aurait pu évoquer les racines de la violence, l’afflux des réfugiés hutus, les deux guerres du Congo, le développement de mouvements rebelles soutenus par le Rwanda, l’apparition des groupes armés Mai Mai, défendant leur territoire et adoptant souvent les méthodes criminelles de leurs adversaires. Mais pour ce metteur en scène de 38 ans, qui a travaillé un an sur le sujet, la roue tourne vite. L’histoire d’aujourd’hui, c’est celle de ce Congo désormais qualifié de « post conflit », où l’Etat, désireux d’asseoir son autorité sur l’ensemble du pays, a concédé d’immenses territoires à des sociétés minières qui contribuent bien peu au budget de l’Etat. Quant aux populations, hier otages des guerres, victimes des bandes armées, décimées par le viol massif et l’enrôlement d’enfants-soldats, ne sont-elles pas aujourd’hui prises dans un piège plus subtil encore, celui d’une mondialisation jugée irréversible ?

A la barre de ce Tribunal hors du commun, le premier du genre jamais organisé en territoire congolais, des dizaines de témoins ont défilé, illustrant jusque dans les moindres détails trois cas précis et emblématiques. Le premier est celui de la mine de Bisie, dans le territoire de Walikale : en 2002, Sylvain Ikandi et d’autres creuseurs découvrent en pleine forêt un gisement de cassitérite d’une teneur exceptionnelle. «Dans cette région dépourvue de routes, nous pratiquions le troc, échangeant nos minerais contre de la nourriture et des produits manufacturés. Certes, les groupes armés comme les forces gouvernementales étaient présents, et tous ces hommes en armes prenaient leur part…Mais on vivait… Tellement bien qu’à la fin, nous étions plus de 10.000 creuseurs artisanaux sur le site, les gens venaient de partout… En 2004, MPC, le comptoir qui jusque là se contentait de nous acheter les minerais, se transformé en société d’exploitation. Dès ce moment, nous les creuseurs nous sommes devenus des intrus : quatre mille d’entre nous furent chassés manu militari. Privés de leur gagne-pain, d’anciens soldats démobilisés, reprirent les armes et formèrent un nouveau groupe armé, sous la direction d’un ancien creuseur de Bisié, Cheka… »

Cagoulé, recouvert d’une sorte de burqa brune, un « témoin protégé » entre alors en scène. Ce combattant, sous les ordres de Cheka, proclame « les groupes armés, ce sont les paysans en colère, qui protègent leur territoire. »

Les auditions font peu à peu apparaître toute la réalité humaine de ce territoire perdu : des creuseurs dépossédés et relégués dans des endroits « non rentables », une société qui a négocié à Kinshasa ses droits d’exploitation mais ne rétrocède aucune richesse aux habitants de la région devenus des parias sur leur propre territoire, des minerais emportés à l’état brut et raffinés dans une fonderie installée à Gisenyi, du côté rwandais de la frontière…

L’audience suivante examine un cas plus emblématique encore, celui du site de Twangiza, une réserve d’or exploitée par la société américano canadienne Banro. A la suite d’un accord conclu à Kinshasa et validé par l’autorité coutumière, Banro, une start up des années 90 a réussi à mettre la main sur l’ancien domaine du baron Empain et de la Sominki (société minière du Kivu), un territoire presque aussi vaste que la Belgique.

Des photos qui circulent parmi les jurés montrent des cratères de montagnes rongés par des excavatrices géantes, mais surtout on y distingue des maisons minuscules, plantées à 2800 mètres d’altitude, « tellement petites qu’on ne peut même pas s’y gratter le dos » se plaint un témoin…C’est là, à Chingira, que les 3500 habitants de Twangiza ont été déportés, dépossédés de leurs champs, interdits d’accès à leurs cimetières, aux sépultures de leurs ancêtres… «Nous n’avons pas été consultés » assure Raymond Mwafika, président d’une mutualité de Luwindja, « et de toutes façons le code minier prévoit que les terres sont propriété de l’Etat… »Terrorisée, une vieille dame drapée de son plus beau châle vert reconnaît qu’elle a bien reçu une maison en guise de dédommagement, mais que sur cette terre d’altitude rien ne pousse, que les vaches meurent et que, construits à la hâte, les bâtiments s’effondrent les uns après les autres… « Tous les jeunes s’en vont, je n’ai pas de maison à donner à mes enfants… »

Mondialisation à la congolaise

Au fil des audiences, au cours desquelles, durant des heures, comparaissent des témoins effrayés de leur audace, des activistes qui refusent de se résigner, des intellectuels, des « témoins protégés », impressionnants derrière leur cagoule brune, se dessine le visage de cette « mondialisation à la congolaise ». Implacable, elle dépossède les plus pauvres, bénéficie aux sociétés étrangères qui rapatrient leurs bénéfices et partagent quelques miettes bien grasses avec leurs interlocuteurs haut placés à Kinshasa. Mélange de mauvaise gouvernance, de corruption locale et nationale, cette modernité là témoigne d’un mépris immense pour les droits des plus faibles.

Ouvrant les travaux du Tribunal, le gouverneur du Sud-Kivu, Marcellin Cishambo, avait asséné une leçon de réalisme politique à ses compatriotes : « croyez-vous que les règles du capitalisme ont changé ?Alors que nous étions encore en guerre, nous avons été obligés de signer un code minier rédigé en anglais par la Banque mondiale… Lorsque nous avons voulu le réviser afin d’élargir la part de l’Etat congolais dans la répartition des profits, on nous a asséné qu’il ne fallait pas perturber le « climat des affaires ». On nous somme de rapatrier les FDLR, ces combattants armés hutus qui menaceraient le Rwanda et la Monusco refuse de nous assister dans ces opérations militaires. Mais lorsqu’on les ramène à la frontière, ils reviennent quelques jours plus tard… Savez vous que 75 % des minerais qui arrivent à Kigali (où s’est créée une Bourse des matières premières) sont fournis par ces mêmes FDLR ? » Et le gouverneur, porte parole politique, de poser la question : « sommes nous assez forts pour affronter les géants de l’industrie minière, pour les obliger à construire chez nous des usines de raffinage ? Croyez vous que les plans de dépeçage, de balkanisation du Congo soient définitivement abandonnés ? »

Mutarule, un massacre à huis clos, entre Congolais

A sa manière, la troisième audience du Tribunal répondit à ceux qui font reposer sur le monde entier les causes du malheur congolais en occultant les responsabilités locales. Car à Mutarule, le massacre de juin 2014 s’est déroulé à huis clos, entre Congolais, sans qu’intervienne l’armée congolaise qui fut peut-être complice des agresseurs. Autre drame, même scenario : un Tribunal, factice, mais plus sérieux qu’une institution véritable, des témoins qui racontent une histoire de vengeance et de terreur où 35 civils, hommes, femmes et enfants appartenant à l’ethnie Bafulero, (originaire de la plaine de la Ruzizi) furent massacrés sans pitié par des Barundi ou des Banyamulenge (Tutsis congolais). Des éleveurs qui entendaient se venger du vol de leurs vaches, de l’assassinat de l’un de leurs chefs coutumiers et de razzias à répétition…

En cause ici, les conflits fonciers, les rivalités ethniques, la passivité ou la complicité de l’armée nationale… Mais aussi la formidable impuissance de la Mission des Nations unies présente au Congo depuis quinze ans. Malgré un mandat qui oblige les soldats de la paix à protéger les civils, le contingent pakistanais cantonné à quelques kilomètres des lieux du carnage fit la sourde oreille, renvoyant ceux qui venaient l’avertir du drame …Ici aussi, des survivants ont défilé à la barre, d’autres ont accepté de parler masqués, de s’exprimer par le truchement d’une vidéo : « je tenais mon bébé contre mon ventre, il a été arraché à l’arme blanche", explique une femme, «j’ai été poignardée sur mon lit d’hôpital » dit une autre, « le colonel O. a interdit à ses hommes d’intervenir car les vaches appartenaient à des militaires haut gradés… »assène un activiste.

Autant les deux premières audiences démontraient combien faute d’une gouvernance efficace les intérêts du peuple congolais étaient sacrifiés au dernier avatar de la mondialisation, autant le massacre de Mutarule suscita dans l’assistance une émotion que même le « président Gillissen » frappant comme un sourd avec son marteau, s’avéra impuissant à contenir. Lorsque Luc Henkinbrant, ancien chargé des droits de l’homme à la Monusco, évoqua le « rapport mapping », cette synthèse onusienne portant sur plus de 600 massacres commis au Congo durant les guerres successives et s’exclama : « du Nord au Sud-Kivu, je pourrais vous montrer une succession de charniers qui n’ont jamais été ouverts car l’impunité est la loi » il déclencha une immense ovation qui dépassa de loin les limites fixées au film de Milo Rau.

Ce « Tribunal sur le Congo » qui se terminera sur un dernier tournage à Berlin, lieu du partage de l’Afrique en 1885, sera projeté en 2016 au grand stade de Kinshasa et dans toutes les salles européennes. Ce film devrait porter à travers le monde l’immense exigence de justice qui hante le peuple congolais. Pour qu’enfin la vérité soit dite, pour que les millions de morts anonymes ne soient pas oubliés et puissent enfin trouver le repos…


C’est vous qui le dites :
8571 suivent la conversation

Faites connaissance avec votre « Code MediaCongo »

Le code à 7 caractères (précédé de « @ ») à côté du Nom est le Code MediaCongo de l’utilisateur. Par exemple « Jeanne243 @AB25CDF ». Ce code est unique à chaque utilisateur. Il permet de différencier les utilisateurs.

Poster un commentaire, réagir ?

Les commentaires et réactions sont postés librement, tout en respectant les conditions d’utilisation de la plateforme mediacongo.net. Vous pouvez cliquer sur 2 émojis au maximum.

Merci et excellente expérience sur mediacongo.net, première plateforme congolaise

MediaCongo – Support Utilisateurs


right
Article suivant Edouard Maunick, chantre mauricien de la négritude métisse, est mort
left
Article précédent 36.000 USD pour organiser les assemblées générales ordinaires et électives de la Socoda

Les plus commentés

Politique Primaires à l'Union sacrée : ''Une manière planifiée d'écarter Vital Kamerhe de la course à la tête de l'Assemblée nationale'' (UNC)

22.04.2024, 17 commentaires

Politique Assemblée nationale: Vital Kamerhe remporte la primaire de l’Union Sacrée pour la présidence du perchoir

23.04.2024, 17 commentaires

Politique Moïse Katumbi est un tribaliste (Jacky Ndala)

23.04.2024, 11 commentaires

Politique «Soutenir Tshisekedi pendant la campagne de 2023 ne signifie pas donner un chèque blanc à son entourage des binationaux pour piller le pays »(A-Daniel Shekomba)

22.04.2024, 9 commentaires


Ils nous font confiance

Infos congo - Actualités Congo - confiance