Economie
Dans un pays soumis au durcissement des réglementations internationales sur le commerce des minerais rares, les élites congolaises ont réussi à exploiter les failles du système. Au détriment de la population et des «creuseurs», qui ne goûtent guère à cette juteuse manne financière.
La mine se dessine comme une cicatrice brune sur la colline verdoyante. De plus près, le site de Birambo évoque une fourmilière humaine, où s’activent, dans la boue, des centaines de silhouettes. Armés d’outils rudimentaires, les «creuseurs» s’échinent au travail pour récolter des fragments de pierre grisâtre : le coltan. Ce minerai, principal composant de l’étain, est un excellent conducteur, utilisé dans la fabrication des téléphones portables, ordinateurs et autres objets électroniques.
La république démocratique du Congo possède un des sous-sols les plus riches du monde. L’exploitation du cuivre et de l’or fut l’ossature du système colonial belge, puis du régime kleptocrate de Mobutu Sese Seko. Vinrent ensuite le boom du coltan (le pays détient au moins 60 % des réserves mondiales connues) et celui du cobalt (deux tiers des réserves mondiales)… Le pays abrite aussi des gîtes minéraux inexplorés de terres rares, vecteurs essentiels des nouvelles technologies. Les profits sont importants. Et chacun veut sa part.
Comme à Birambo, dans le territoire de Masisi, dans le Nord-Kivu, l’immense majorité des mines sont exploitées de manière artisanale. «Dans les années 90, l’exploitation artisanale s’est développée sur tout le territoire de l’est du pays, explique Fidel Bafilemba, directeur du Groupe d’appui à la traçabilité et à la transparence dans la gestion des ressources naturelles, à Goma. Avec l’insécurité et l’incapacité de l’Etat de mobiliser les capitaux nécessaires pour gérer les mines, une économie informelle s’est mise en place, abandonnée aux groupes armés et aux militaires congolais.»
Ces derniers s’alimentent en taxant le commerce des ressources naturelles. En réaction, des défenseurs des droits de l’homme et des ONG internationales ont fait pression pour obtenir une réglementation : la loi Dodd-Frank, adoptée en 2010 aux Etats-Unis, oblige les sociétés cotées en Bourse à préciser si leurs produits contiennent des «minerais de conflit» exploités en RDC.
En mars 2017, le Parlement européen a voté une loi similaire, qui vise à stopper le financement de groupes armés et les violations des droits de l’homme via le commerce de minerais à travers le monde. Les sociétés européennes ne devront cependant s’y conformer qu’à partir de 2021. Mais les bonnes intentions du monde occidental ont-elles un impact réel ?
«Ce n’est pas facile, mais je m’en sors, et je peux payer les frais de scolarité de mes enfants», dit Marie-Thérèse Kabuo, la quarantaine, qui passe des sacs de terre et de coltan au tamis, dans l’eau. Mère de huit enfants, elle a déjà travaillé dans plusieurs mines de la région. Elle ne sait pas exactement à quoi sert la poudre grisâtre qu’elle trie chaque jour, courbée, pendant des heures. «On en met dans les téléphones, non ? En tout cas, pour moi, ce qui compte, c’est qu’on l’achète», dit-elle, en riant.
La majorité des mines sont exploitées de manière artisanale. Photo Caroline Thirion
La loi Dodd-Frank, et l’embargo sur les minerais de RDC qui l’a accompagnée, était tombée comme un coup de massue sur les creuseurs congolais. Avec le temps, ils se sont organisés, regroupés en coopératives, et ont appris à maîtriser les mécanismes de la certification. Les coopératives, censées défendre leurs droits, ont créé des caisses d’épargne, avec parfois des retombées positives pour les creuseurs. Certaines sont nées à l’initiative de ces derniers, qui voulaient que leurs intérêts soient pris en compte. Mais, dans la majorité des cas, les coopératives font partie d’un système d’exploitation où seules des élites locales et provinciales, avec les relations politiques et les moyens financiers nécessaires, peuvent s’imposer dans leur gestion, sans considération pour une meilleure répartition des revenus générés. Et c’est aussi un moyen pour l’Etat de contrôler et d’imposer le secteur minier artisanal. «Il y a l’émergence d’une classe moyenne parmi les creuseurs. Les communautés locales commencent à bénéficier de la présence de mines sur leurs terres, assure Landry Mudahera Bahati, géologue et cadre de la Cooperama, une importante coopérative de creuseurs du Nord-Kivu. Avant, il y avait des soldats partout sur les sites, aujourd’hui c’est interdit. Les creuseurs sont aussi munis de cartes qui permettent de les identifier, tout est réglementé.» Le site de Birambo est certifié, l’accès à la mine est surveillé. Lorsqu’un enfant s’approche un peu trop près, un policier le chasse à coups de bâton. «Il vient du village là-bas, dit le géologue, en pointant du doigt quelques maisons de terre en contrebas. Nous allons les relocaliser. Ce n’est pas bon d’avoir des familles à côté de la mine.» Pas bon pour les affaires. Pas question de donner une mauvaise image.
Le monopole de certaines sociétés sur l’achat de coltan, négocié avec les autorités congolaises, a aussi maintenu les prix bas. «Selon les études qui ont été menées, les revenus des mineurs ont été affectés négativement. Parce que ITSCI [le système de traçabilité par lequel transite la quasi-totalité des exportations légales de coltan de RDC, ndlr] jouit d’un monopole. Et parce que la mise en place de ce processus de traçabilité a un coût. Celui-ci pèse sur le bas de la chaîne d’approvisionnement, dit Ben Radley, doctorant à l’Institut international des études sociales (ISS) aux Pays-Bas. Par ailleurs, le fait d’avoir des sites "propres", sans armes, ne veut pas dire automatiquement que les conditions de travail y sont meilleures.» Le chercheur est aussi sceptique quant à l’efficacité des mesures prises pour éviter le travail des enfants. «Il y a des enfants qui travaillent dans les champs, qui mendient dans les rues… La manière de résoudre ce problème n’est pas d’adopter une approche réduite à un secteur en particulier. Il s’agit rarement de travail forcé. L’argent qu’ils gagnent est souvent utilisé pour payer leurs frais de scolarité. Si on les chasse des mines, ils vont probablement s’orienter vers d’autres secteurs.»
Au début de l’année, un nouveau code minier a été adopté en RDC. Il augmente fortement les taxes que l’Etat congolais prélève sur les exportations de minerais pour, officiellement, rapporter davantage de ressources fiscales au pays. Sur le papier, c’est une avancée significative, qui prévoit notamment le paiement direct d’une partie de la rente minière aux communautés locales. Il est peu probable néanmoins que cette nouvelle manne serve à construire les infrastructures de base dont les habitants qui vivent à proximité des mines et dans tout le pays ont besoin. En dépit de ses richesses, la RDC figure en queue de classement de l’indice de développement humain des Nations unies, et plus de 70 % de sa population vit avec moins d’un dollar par jour. Paradoxalement, l’exploitation minière est la source de revenus la plus importante, avec l’agriculture, pour la population. Des millions de personnes en dépendent. Mais elles en sont aussi les victimes.
En cause, notamment, dans les régions minières, l’opacité des contrats et les importants pots-de-vin versés à tour de bras. L’ONG britannique Global Witness avait qualifié le secteur minier congolais de «distributeur automatique de billets» pour le régime de Joseph Kabila, et les proches de l’ancien président. «Dans une région pauvre, la présence d’une mine pourrait contribuer au développement, si les normes sociales et environnementales étaient respectées, estime Isaac Mubere du Réseau pour la conservation et la réhabilitation des écosystèmes forestiers (Cref). Le problème, c’est que c’est rarement le cas. Les populations locales sont expropriées, et ne sont pas compensées équitablement. Il y a aussi des conséquences écologiques - pollution, déforestation - qui auront un impact sur le long terme et peuvent mettre en danger d’autres moyens de subsistance comme l’agriculture ou la pêche.» Certains creuseurs préfèrent passer par les circuits illégaux, ou migrer vers les sites aurifères. Plus de 90 % de l’or - un minerai moins lourd et plus facile à dissimuler - extrait des terres de l’est de la RDC sortirait du pays illégalement. Et, même avec un processus de traçabilité, la richesse incomparable du sous-sol congolais continuera d’attirer investisseurs et prédateurs.
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