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Infos congo - Actualités Congo - Premier-BET - 08 avril 2024
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Science & env.

RDC : Gorilles en danger

2015-01-10
10.01.2015 , Kinshasa
Science & env.
2015-01-10
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En république démocratique du Congo, dans le parc national des Virunga, il ne reste guère plus  de 600 spécimens de cette espèce menacée.

Regard sombre et geste lent, comme les boxeurs endurcis, Kabirizi soigne ses plaies en ­silence. Avec sa salive, nonchalamment, le silverback ­désinfecte la balafre qui entaille sa joue. A près de 30 ans, il arbore ses cicatrices comme ­autant de médailles. Ce sont les séquelles des duels ­féroces qu’il a remportés pour conquérir ou défendre sa harde. La morsure qu’il soigne lui a été infligée par son fils, ­Masibo, celui pour ­lequel les gardes disent qu’il avait un faible, au point de l’avoir gardé près de lui bien après l’adolescence. Masibo est devenu un blackback, un adulte au poil noir. Et, maintenant, il se révolte. Chez les gorilles aussi, les drames œdipiens font souffrir.

«  Le king n’en a plus pour longtemps. Il faut qu’on surveille ça de près », ­explique le chef pisteur. Devant le singe, l’homme prend garde à tenir la tête penchée, en signe d’humilité. « Je le connais bien. Il est ombrageux mais pas méchant. Il faut juste lui montrer qu’on se soumet. » Surtout quand la douleur le rend particulièrement mauvais… « S’il se lève et charge, ne partez surtout pas en courant. »

Capable d’abattre un ennemi à mains nues ou de transformer un tronc d’arbre en bélier, Kabirizi est la star des pisteurs congolais. Comme lui, tous les gorilles du parc national des Virunga sont sous haute protection. Leurs caractères sont répertoriés. Ils ont reçu un nom, et même une sorte de carte d’identité avec leur ­empreinte nasale, le réseau de petites rides autour de leurs narines. Car ils ­appartiennent à l’une des espèces les plus ­menacées : les gorilles des montagnes, ou « Gorilla gorilla », environ 600 spécimens qui vivent en liberté dans les jungles d’altitude à flanc du mont Mikeno, au cœur de l’Afrique. « Ce qu’il y a de merveilleux, avec les gorilles des montagnes, ­assure Emmanuel de Merode, le ­directeur du parc, c’est leur gentillesse. Quand on pénètre dans la jungle pour les rencontrer, on se sent ­accueilli comme dans une famille d’humains. » Emmanuel de Merode a pris la tête du parc en 2008. Ce père de famille de 44 ans, issu d’une lignée princière, cache derrière un sourire presque enfantin une volonté hors du commun. Avant de devenir lieutenant-colonel et de prêter serment au drapeau de la République démocratique du Congo, il était anthropologue.

Loi du profit contre droit international : combien de temps les gorilles vont-ils encore tenir dans le parc des Virunga?

«Nos espèces se sont séparées à l’époque de l’australopithèque », explique-t-il, évoquant nos ancêtres communs qui vivaient ici il y a cinq à huit millions d’années, raison pour laquelle nous partageons encore plus de 98 % de notre ADN. Emmanuel est un intellectuel qui se déplace armé. Car ceux qui viennent à la rencontre des gorilles n’ont pas tous son intelligence et sa sensibilité. Aux ­Virunga, on ne croise pas que des scientifiques et des touristes.

Au printemps 2007, des braconniers en armes ont tenté d’abattre Kabirizi. « La logique, si l’on cherche à massacrer une famille, c’est de commencer par le silverback », explique le sous-directeur Innocent Mburanumwe, responsable du secteur sud du parc. A l’époque, les braconniers ont tué une femelle de son clan, avant d’avoir affaire à lui.

« Aux traces qu’ils ont laissées, se souvient Innocent, on a dénombré au moins trois ou quatre assaillants avec des kalachnikovs. Kabirizi les a affrontés à mains nues. Il a arraché des arbres pour les charger, et a réussi à les faire fuir. Quand on est arrivés, le king avait tout déraciné sur des dizaines de mètres… » Le garde en reste admiratif. Les tueurs se sont alors rabattus sur un chef moins puissant, Senkwekwe, qu’ils ont tué avec tous les siens. C’est lui, le grand mâle porté par une dizaine de villageois sur un brancard de bambou, dont l’image a fait le tour du monde.

Les gorilles ont longtemps été chassés pour leur viande. Puis comme trophées, leurs mains devenant des cendriers géants et leurs crânes des presse-papiers. Certains trafiquants ont aussi mandaté des braconniers pour attraper des bébés qu’ils revendaient aux cirques et aux zoos. Cette chasse a pratiquement conduit l’espèce à l’extinction. Elle ne fut sauvée, dans les années1970 et 1980, que grâce au travail d’une poignée de primatologues, dont Diane Fossey, immortalisée à Hollywood sous les traits de Sigourney Weaver dans « Gorilles dans la brume». Mais, aujourd’hui, ce n’est plus le simple braconnage qui les met en danger. Si les hommes en armes ont massacré des ­gorilles, c’est moins pour rapporter un butin que pour détruire un sanctuaire.

Le royaume des gorilles est un parc naturel, grand comme un département français, situé dans une des zones les plus instables d’Afrique, les Grands Lacs. Plus de vingt ans de guerre y ont fait cinq millions de morts et des millions de déplacés. Ses ressources, interdites, sont de plus en plus désirables. Beaucoup rêvent de pouvoir y cultiver un lopin de terre. Dans ces contrées presque sans électricité, le charbon de bois est le moyen le plus commode pour chauffer l’eau et la nourriture.

Alors, la stratégie est double : s’en prendre aux gorilles, qui sont la raison d’être du parc, ou à ceux qui les protègent, les 600 gardes aux uniformes vert olive. Sous les grands arbres, une guerre se livre depuis vingt ans. Elle a fait plus de 140 morts parmi les gardes, tués par les braconniers ou par les groupes armés qui infestent le Nord-Kivu. En avril dernier, Emmanuel de ­Merode, lui même, est tombé dans une embuscade. Il roulait sur la route de Goma, la capitale de la province. Sa ­voiture a été criblée de balles. Atteint au poumon et au foie, il est parvenu à se traîner dans un sous-bois où il a été laissé pour mort. Après des heures d’opération et deux jours de réanimation, il a été sauvé. Dès la fin de sa convalescence, il reprenait ses fonctions. « Trop de gardes ont donné leur vie en défendant l’idéal de ce parc pour que je me débine au premier problème », affirme-t-il.

L’enquête pour trouver ses agresseurs suit son cours. Beaucoup suspectent les « charbonniers », dont le business clandestin rapporte près de 33 millions d’euros par an. Et même certains éléments de l’armée nationale congolaise, gangrenée par la corruption et des mutineries. La tentative de meurtre a eu lieu sur le territoire du colonel Basile, un officier dont les liens avec le charbonnage clandestin sont notoires. Face à la justice, Basile a nié. Il demeure en fonction. « Mais c’est sûr qu’il est impliqué », affirme Innocent Mburanumwe, en charge de l’enquête côté parc. Pourtant, aux yeux de cet officier de police judiciaire, Basile ne serait qu’un pion. « Derrière lui, il y a le major Farouzi, nettement plus dangereux », avance-t-il. Ce membre des services de renseignement de l’armée est un des plus farouches ennemis du parc. Il a été filmé en caméra cachée dans un documentaire en train d’essayer de corrompre des gardes et des officiers pour qu’ils trahissent le parc ou dénigrent ses dirigeants.

Emmanuel de Merode est le meilleur rempart du parc, et c’est pourquoi on a voulu l’atteindre

Le major Farouzi est également ­accusé de servir les intérêts d’une compagnie pétrolière, Soco, ce que celle-ci dément fermement. La firme a obtenu des autorités de Kinshasa un permis pour ­explorer de possibles nappes pétrolifères dans la zone. Mais, face à la polémique, elle a promis d’épargner le parc, après avoir mené une campagne d’exploration en son cœur, sous les eaux mêmes du lac Edouard, une réserve exceptionnellement poissonneuse. Basée à Londres, Soco a ainsi mis en péril pendant des années ce sanctuaire naturel classé au ­patrimoine mondial de l’humanité. Sous la pression d’une campagne internationale, l’entreprise a quitté le territoire à l’été 2014 et réitéré récemment son engagement de ne faire aucune exploitation dans le parc sauf en cas d’accord de l’Unesco et du gouvernement congolais. Mais beaucoup la suspectent de continuer son activité de lobbying pour tenter de convaincre les autorités que l’activité pétrolière dans le parc ne serait pas incompatible avec son statut de sanctuaire naturel protégé. Interrogé par nous sur ses liens avec Soco, le major ­Farouzi, nous a renvoyés vers la société qui, depuis Londres, a refusé de commenter autrement que par une lettre de menaces judiciaires.

Sur les rives, plusieurs pêcheurs ont déjà été menacés par des éléments de l’armée sous les ordres de Farouzi. Et, sous la garde de ses hommes, deux opposants ont été retrouvés morts cette année. Ils portaient des traces de torture. Joint par ­téléphone, le major Farouzi nie toute implication dans la tentative de meurtre d’Emmanuel de ­Merode. Pour Innocent Mburanumwe, cela ne fait pourtant aucun doute. Emmanuel de Merode est le meilleur rempart du parc, et c’est pourquoi on a voulu l’atteindre. « S’il disparaissait, ce serait une catastrophe », affirme-t-il.

Loi du profit contre droit international : nul ne sait combien de temps encore le havre des Virunga pourra tenir. Pendant que Soco travaille son lobbying à Kinshasa, les défenseurs du parc, à Londres, lui intentent un procès. L’actuel bras de fer est une question de vie ou de mort aux yeux d’Emmanuel de Merode. Pas seulement pour lui et ses gardes, mais pour l’ensemble de la région et des ­espèces menacées, à commencer par les gorilles. « Si l’on cède sur le pétrole, c’est le principe du parc qui s’effondre. On ne peut pas imposer de gros efforts de conservation naturelle à des dizaines de milliers de familles congolaises et laisser une multinationale contourner la loi.»

On sait qu’humains et gorilles sont des espèces si proches qu’elles peuvent facilement se contaminer. Il faut rester éloigné à plus de 7 mètres, porter un masque, être discret. Aux Virunga, seul un tiers des familles de gorilles sont « accoutumées » à l’homme, capables de tolérer sa présence sans partir en courant. Mais que vaut la magie de la rencontre face à l’appétit des hommes ? Pourtant, Emmanuel en est sûr, les gorilles ont beaucoup à nous apprendre. «Quand on les observe, c’est comme regarder dans un miroir qui nous renverrait l’image de ce que nous étions il y a des millions d’années. » Les gorilles des montagnes sont peut-être notre passé. Nous ne sommes pas leur avenir. Celui-ci se joue loin du parc, dans les palais de Kinshasa ou les tribunaux de Londres, dont ils ne connaissent pas les lois. Dans la jungle des hommes.


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