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Infos congo - Actualités Congo - Premier-BET - 05 mars 2024
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Afrique

José Eduardo dos Santos, un héritage controversé

2022-08-24
24.08.2022
2022-08-24
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Décédé le 8 juillet 2022 à l’âge de 80 ans, dont 38 passés à la tête de l’Angola, José Eduardo dos Santos laisse derrière lui un héritage contradictoire. D’un côté, il y a l’homme qui s’est battu pour libérer la région du joug colonial du Portugal et de l’impérialisme raciste de l’Afrique du Sud, et qui a tenté de reconstruire son pays sur les décombres de la guerre. De l’autre, le dirigeant inamovible qui a permis à une petite élite, et notamment à sa famille, de s’accaparer les richesses de l’Angola.

Le 20 septembre 1979, onze jours après le décès pour maladie d’Agostinho Neto, premier président de l’Angola indépendant, José Eduardo dos Santos, 37 ans, est élu à l’unanimité par le bureau politique du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir, afin de lui succéder. Un choix qui n’allait pas de soi : des figures plus charismatiques ou ayant été en première ligne dans la défense du pays depuis la chute du régime fasciste portugais, le 25 avril 1974, auraient pu y prétendre.

Dos Santos, issu d’une modeste famille de Luanda, n’était pas non plus un inconnu et il pouvait faire (comme d’autres) la synthèse entre l’aile politique - notamment ceux qui, comme lui, avaient adhéré dès 1961 au MPLA encore clandestin - et l’aile militaire - les combattants de la guerre de libération dans laquelle il s’est lui-même engagé après des études d’ingénieur en Union Soviétique en rejoignant le front de Cabinda. Les tensions entre ces deux formes d’engagement ont parfois été douloureuses au sein du MPLA, dont la frange « intérieure » estimait ne pas être suffisamment valorisée1. Dos Santos était à l’époque un des jeunes dirigeants les plus en vue, et un des plus studieux du « MPLA-Parti du Travail » d’inspiration marxiste-léniniste, dans lequel s’était mué, en décembre 1977, le mouvement de libération.

Après le traumatisme provoqué par une tentative de coup d’État menée par une fraction du MPLA en mai de cette année-là, qui avait entraîné la mort de plusieurs commandants de l’état-major de l’armée angolaise, la création d’un parti plus structuré avait paru d’autant plus urgente qu’une clarification des objectifs et des priorités du nouvel État paraissait indispensable. À la suite de ces événements dramatiques et des excès commis par les forces chargées de la répression des putschistes, Agostinho Neto avait pris, début 1979, des mesures drastiques en décidant, sans consultation préalable des membres de la direction du parti et de l’État, de dissoudre le département de la sécurité (DISA) et de libérer les prisonniers liés à la tentative de coup d’État - processus qui allait être achevé par dos Santos.

L’Agression Sud-africaine

Candidat choisi par l’aile historique du MPLA, José Eduardo dos Santos semblait destiné à n’être qu’un président de transition, tant il paraissait dénué de toute ambition. Mais très vite, dos Santos s’est émancipé de la tutelle de l’ancienne garde politique et militaire de Neto en se constituant un groupe de fidèles au sein du pouvoir, choisis surtout parmi ses anciens camarades de jeunesse ayant lutté contre la domination coloniale dans les cellules clandestines du MPLA. Ce tournant sensible n’allait pas se traduire dans l’immédiat par un changement de doctrine politique, ni par l’abandon des engagements politiques régionaux, notamment le soutien à l’ANC sud-africain et au mouvement de libération namibien, le Swapo, autorisés à combattre l’armée sud-africaine d’occupation depuis l’Angola. La fidélité à ces objectifs, notamment le droit à l’indépendance du voisin namibien, coûtera un prix très élevé à l’Angola, aussi bien en pertes humaines qu’en destructions de biens et d’infrastructures.

Le retrait d’Angola, en mars 1976, de l’armée régulière de l’Afrique du Sud, scellé par une cérémonie en présence de son chef, le général Constand Viljoen, n’allait pas être le dernier épisode de l’intervention militaire de Pretoria dans ce pays. C’était pourtant à l’issue d’une défaite humiliante que le retrait avait été décidé : l’avancée de la colonne blindée baptisée « Zulu », qui avait envahi l’Angola six mois auparavant et dont le but était d’atteindre la capitale angolaise avant la déclaration d’indépendance le 11 novembre 1975, avait été stoppée à 250 km au sud de Luanda, notamment grâce à l’intervention des premiers contingents cubains auxquels le MPLA avait fait appel in extremis.

Malgré l’abondance des sources disponibles, les treize ans d’agressions sud-africaines ne rencontrent plus aucun écho dans les médias occidentaux, ces derniers se contentant d’inscrire cette période comme une phase de la longue « guerre civile » angolaise, comme en témoignent les nombreux articles parus après le décès de dos Santos le 8 juillet 20222. En réalité, et jusqu’à son entraînement par l’armée sud-africaine, l’Unita, l’ennemi historique du MPLA, n’était pas une menace de poids pour le pouvoir de Luanda. Ses attaques étaient encore sporadiques, et ses hommes mal équipés et peu entraînés – d’autant que les quelque 300 combattants actifs avant l’indépendance avaient davantage collaboré avec l’armée portugaise que combattu contre elle3. La donne changera au cours de la décennie suivante, notamment après l’élection de Ronald Reagan à la Maison-Blanche en 1980.

Un contexte régional tendu 

En assurant la combativité de l’Unita, Pretoria a poursuivi les plans de Henry Kissinger, le secrétaire d’État de Richard Nixon et Gerald Ford, visant à soutenir, en collaboration étroite avec le despote zaïrois Mobutu Sese Seko, l’opposition armée au MPLA : l’Unita de Jonas Savimbi donc, mais aussi le Front national de libération de l’Angola (FNLA) ou ce qui en restait après l’indépendance. Après l’avènement de l’administration Carter en janvier 1977, le Sénat américain adopte un amendement qui interdit le financement des groupes armés agissant contre le gouvernement angolais, et qui met ainsi un terme à l’octroi d’une aide directe américaine officielle au mouvement de Savimbi. Cependant, tout au long de son mandat, le président Jimmy Carter sera inflexible au sujet de la reconnaissance diplomatique de l’Angola, qu’il subordonnera au retrait des forces cubaines - comme le lui suggérait son conseiller à la sécurité Zbigniew Brzezinski, contre l’avis du secrétaire d’État Cyrus Vance et de l’ambassadeur à l’ONU Andrew Young, tous deux favorables (comme le lobby pétrolier) à une normalisation des rapports avec l’Angola4. Il faudra attendre 1993 pour que Bill Clinton franchisse le pas.

En 1983 dans la province de Cunene. Manœuvres de l’armée angolaise face à l’armée sud-africaine. C’est dans ce contexte régional extrêmement tendu que dos Santos accède au pouvoir. Pretoria lui souhaite la bienvenue six jours plus tard, le 26 septembre 1979, en perpétrant une attaque de grande envergure au sud de l’Angola. Six avions Mirage III (de fabrication française) et Impala (de fabrication italienne) pénètrent pour la première fois très en profondeur à l’intérieur de l’Angola, bombardent la ville de Lubango, située à 350 km de la frontière, et ciblent des objectifs civils et militaires (des infrastructures, des ponts et des tunnels ferroviaires, ainsi que la sinueuse route de la Serra da Leba, fierté de la région).

À l’annonce de l’élection de Ronald Reagan, Pretoria monte d’un cran son offensive en Angola. En décembre 1980, l’opération « Smokeshell » est lancée contre les provinces méridionales angolaises de Cunene et de Kuando-Kubango. Les moyens déployés sont comparables à ceux de l’invasion de 1975. Le maintien de la domination de la Namibie, ainsi que l’affaiblissement du pouvoir angolais, demeurent les objectifs prioritaires du régime raciste de l’apartheid. L’Afrique du Sud n’envisageait nullement de se retirer du South West African (la Namibie), qu’elle gérait comme une de ses provinces, et qui était doté de gisements miniers considérables ainsi que d’un port en eaux profondes, Walvis Bay, auquel Pretoria attribuait une importance stratégique. Dans la nouvelle configuration régionale d’après 1975, et l’imminente libération du Zimbabwe, la Namibie représentait aussi aux yeux des dirigeants sud-africains le dernier État tampon du glacis régional longtemps entretenu par l’Afrique du Sud ségrégationniste, en collaboration avec le Portugal colonial, maintenant les pays africains potentiellement hostiles loin de ses frontières.

La question Nmibienne 

En janvier 1981, après l’investiture de Reagan, la délégation sud-africaine claque la porte de la conférence de Genève qui devait annoncer les détails de la mise en place d’une force de l’ONU en Namibie, devant assurer la transition à l’indépendance. Washington conditionne alors tout progrès sur la question de l’auto-détermination de la Namibie au retrait préalable des forces cubaines d’Angola, bloquant ainsi toute issue diplomatique.

Dos Santos et les pays de la « ligne du front », qui s’était constituée contre l’hégémonie sud-africaine après l’indépendance du Zimbabwe en avril 1980, multiplient en vain les initiatives diplomatiques pour réengager les pourparlers sur la Namibie. Inscrite dans l’agenda de l’ONU depuis 19685 et relancée après l’indépendance de l’Angola, la question namibienne mettait à nu l’impuissance coupable des pays occidentaux. Ceux-ci réagissaient mollement aux tentatives répétées de Pretoria d’annihiler la SWAPO abritée par l’Angola, alors que ce mouvement jouissait d’une reconnaissance de facto et de jure par l’ONU.

Le pays de l’apartheid engagera jusqu’à douze opérations militaires majeures contre l’Angola, enverra des commandos (déguisés en combattants de l’Unita6) saboter l’industrie pétrolière à Luanda et à Cabinda, bombardera des infrastructures et tuera, comme au Mozambique, les cadres et les intellectuels de l’ANC exilés dans ce pays.

L’échec des occidentaux

Le président angolais espère trouver en François Mitterrand un interlocuteur plus attentif, mais ce dernier se révèle guère efficace, en dépit des protestations du ministre français des Affaires étrangères Claude Cheysson, au sein du « groupe de contact » pour la Namibie, dont il a régulièrement dénoncé le manque de fermeté vis-à-vis de Pretoria. Lors de la première visite de dos Santos à l’Élysée en octobre 1981, Mitterrand réitère sa position consistant à régler la question namibienne sans la conditionner au retrait des troupes cubaines en Angola, estimées entre 15 000 et 20 000 hommes. Mais il semble croire que les Américains s’apprêtent à convaincre Pretoria d’accepter la mise en œuvre de la résolution 435 de l’ONU, qui prévoit un cessez-le-feu et l’organisation d’élections en Namibie en vue de son indépendance. Une illusion.

Six ans plus tard, dos Santos s’exprimait en ces termes devant l’Assemblée populaire d’Angola :

Malgré des nombreuses résolutions internationales et les déclarations d’intention de personnalités politiques occidentales de premier plan, les pays de la “Ligne de front” n’ont pas vu leurs efforts pour l’isolement diplomatique du régime de Pretoria et l’application de sanctions obligatoires dûment appuyés par les États influents de l’Occident. Ces derniers disposent cependant des moyens pouvant contraindre le régime de la minorité blanche raciste à mettre un terme à sa politique de terreur contre l’Angola et le Mozambique, ses cibles préférées, et de défi envers la communauté internationale7.

La guerre va encore se poursuivre et atteindre son paroxysme fin 1987, avec une offensive sud-africaine de grande portée destinée notamment à contraindre Luanda à lâcher une fois pour toutes la Swapo. Autour du verrou de Cuito-Cuanavale (au sud-est du pays), des batailles d’une portée exceptionnelle ont lieu. Après le renforcement accéléré du contingent cubain et les livraisons d’un armement soviétique plus performant, les confrontations atteignent une intensité sans pareille en Afrique8, certains allant jusqu’à évoquer « la deuxième bataille d’artillerie en importance après El Alamein »9.

Ces dernières confrontations furent les plus meurtrières et les plus intenses depuis le début du conflit en 1975. L’Afrique du Sud n’y jouait pas seulement le maintien de la Namibie sous son contrôle, mais aussi sa propre survie politique, compte tenu des croissantes convulsions internes, de la montée de la contestation populaire, et des divisions au sein du parti au pouvoir. Sous la pression internationale, des négociations sont enfin enclenchées. Elles dureront quelques mois - Angolais et Cubains d’une part, Sud-africains et Américains de l’autre – et aboutiront à la signature d’un accord le 22 décembre 1988 à New York, qui ouvre enfin la voie à l’indépendance de la Namibie.

Une solidarité « Héroique »

Aucun pays africain n’a vécu des agressions d’une telle puissance de feu, et durant un si grand nombre d’années - en témoignent des pertes élevées au sein des forces angolaises et cubaines10, mais aussi le tribut payé par la population angolaise, évalué à quelques centaines de milliers de victimes et des millions de déplacés. Dans les régions méridionales, le fléau des mines antipersonnel a longtemps continué à faire des victimes.

Le retrait des forces cubaines d’Angola est échelonné, en fonction des progrès accomplis dans le processus de l’indépendance de la Namibie. Celle-ci devient une réalité le 9 février 1990. Deux jours plus tard, Nelson Mandela est enfin libéré de sa prison de Robben Island, après plus de 27 ans de détention. L’histoire s’accélère en Afrique australe. La résistance de l’Angola y a grandement contribué, comme Mandela le reconnaîtra lui-même. Devant le parlement angolais, le président sud-africain a déclaré en 1998 :

La solidarité de l’Angola à l’égard des Sud-Africains luttant pour leur liberté a pris des proportions héroïques. Avant même que votre propre liberté soit assurée [...] vous avez osé agir selon le principe que la liberté en Afrique australe était indivisible. […] Sachant que notre victoire était impensable sans votre soutien, nous sommes admiratifs devant les énormes sacrifices que vous avez consentis.

Les médias occidentaux semblent l’ignorer aujourd’hui. L’histoire est laconiquement résumée par la longue « guerre civile », et les relations de Savimbi avec les autorités coloniales portugaises d’abord, puis avec l’Afrique du Sud de l’apartheid, sont minorées. De même, le bilan matériel de cette longue guerre menée par Pretoria est souvent passé sous silence. Or celui-ci est très lourd : il a été évalué par des experts des Nations Unies à 10 milliards de dollars et même à 25 milliards par un cabinet d’étude français11.

Savimbi reprend les armes 

Très aguerrie dans les années 1980, l’Unita a paralysé la vie économique de plusieurs régions du pays, sans pour autant avoir réussi à occuper des centres urbains. Érigé en représentant du monde libre, ce mouvement a reçu de Washington de généreux financements et des équipements militaires. En 1986, après l’abolition de l’amendement Clark, un comité inter-gouvernemental comprenant le Département d’État, la CIA, le Pentagone et le Conseil national de sécurité a considéré que le mouvement était éligible à recevoir des missiles sol-air Stinger, privilège réservé jusqu’alors aux résistants afghans12. Les combattants de l’Unita s’en serviront à deux reprises en 1999, en abattant deux avions des Nations unies qui survolaient le centre et l’est de l’Angola13.

Sans une paix durable, comment relancer la production, envisager des réformes, faire venir des investisseurs ? Dos Santos se déclare donc favorable à un cessez-le-feu, puis à des élections générales sous la supervision des Nations unies, fixées à septembre 1992. Pour nombre d’observateurs, la victoire de l’Unita parait inéluctable face à un pouvoir en place depuis dix-sept ans et incapable de garantir les progrès socio-économiques promis. Mais c’est finalement le MPLA qui l’emporte. Savimbi refuse de reconnaître sa défaite et reprend les armes. Ses meilleures troupes avaient été tenues à l’écart des opérations de désarmement prévues dans les accords de paix et effectuées par les Nations unies. Seules les forces du gouvernement avaient pu être désarmées et démobilisées. Le rapport de force a évolué. Pour la première fois, plusieurs villes et des zones de production de pétrole et de diamants sont occupées par la guérilla. La capitale n’est pas épargnée : de violents combats y sont menés.

Malgré la reprise du conflit, dos Santos se montre tolérant : les députés à peine élus de l’Unita qui se trouvent encore à Luanda malgré l’appel de Savimbi à repartir au combat, siègent au parlement sans être inquiétés. Après un troisième accord de paix signé à Lusaka en 1994 entre le gouvernement angolais et l’Unita – sous l’égide de la communauté internationale et en l’absence de Savimbi -, un processus d’intégration dans l’armée et dans les institutions est lancé. Il se poursuivra malgré l’énième reprise des combats par Savimbi et un groupe de ses fidèles.

Armes contre Diamants 

En avril 1997, l’Unita « légale » intègre le Gouvernement d’unité nationale (GURN)14 qui dirigera le pays jusqu’aux élections de 2008. Cette année-là, un des anciens généraux de l’Unita, Geraldo Sachipengo Nunda, est promu chef d’état-major de la nouvelle armée nationale. Il restera en poste pendant dix ans.

Les moyens dont dispose Savimbi dans son ultime aventure militaire sont sous-estimés par la nouvelle armée nationale, alors embryonnaire. Au cours des premières années de cette phase ultime du conflit, Savimbi peut en effet compter sur d’importantes livraisons d’armements obtenues notamment en échange de diamants qu’il fait livrer à plusieurs chefs d’État africains parmi lesquels, selon des sources au sein de l’Unita, le Togolais Gnassingbé Eyadema, l’Ivoirien Henri Konan Bédié et le Burkinabé Blaise Compaoré. En 1998, l’ONU comptabilise jusqu’à 120 vols nocturnes par mois à destination de Bailundo, le fief de Savimbi situé au centre du pays. Peu à peu, la désertion de plusieurs cadres militaires de l’Unita, notamment ceux attachés aux communications, permet à l’armée nationale de suivre à la trace les déplacements de Savimbi et de son groupe de plus en plus réduit.

Les besoins en armes se font sentir aussi du côté de l’armée angolaise, démantelée dans la confusion avant les élections de 1992, et reconstituée laborieusement par des jeunes officiers avec leurs pairs de l’Unita engagés dans la paix. Le refus de l’ONU de déclarer caduque la clause « zéro » pour les livraisons d’armes aux deux belligérants rend difficile l’achat d’armement, y compris auprès de la Russie.

Dos Santos songe alors à nouveau à Mitterrand, qui se déclare impuissant (il cohabite alors avec la droite qui dirige le gouvernement). Son fils, Jean-Christophe Mitterrand, qui est aussi son conseiller Afrique, suggère à la délégation angolaise de consulter le ministre de l’Intérieur (de droite) Charles Pasqua. Il en résulte une malheureuse affaire connue sous le nom d’« Angolagate », qui donna lieu à d’importants détournements de fonds et à des rétro-commissions et marqua peut-être le début d’une nouvelle ère marquée par des pratiques financières occultes.

Un pays à reconstruire

La mort au combat de Jonas Savimbi le 22 février 2002 marque en tout cas la fin véritable du conflit, 27 ans après l’indépendance. Accusé de déficit démocratique – les tendances autoritaires du pouvoir angolais étaient bien réelles, l’état de guerre étant peu propice à l’avancée de la démocratie -, dos Santos fera encore un geste significatif au nom de la réconciliation : la réintégration en grande pompe et sans aucune condition ou pénalité des dirigeants de l’Unita ayant combattu aux côtés de Savimbi dans les années 1990.

L’héritage du conflit est très lourd. À titre d’exemple, on estime à 124 le nombre de ponts à reconstruire dans le pays. La conférence des donateurs pour la reconstruction du pays, promise en 1995 à Bruxelles par l’Union européenne et le FMI (en présence d’un Savimbi affichant un pacifisme à toute épreuve et d’une délégation angolaise avec les plans des besoins détaillés par région) ne s’est jamais tenue, notamment en raison du blocage du FMI, irrité par la corruption en Angola, incompatible à ses yeux avec une conférence des donateurs. Une posture politique selon Luanda, d’autant qu’à la même époque, d’autres pays réputés pour leur corruption endémique ont bénéficié de l’attention de la communauté financière internationale.

Chaos économique, inflation à trois chiffres, dévaluation de la monnaie nationale, dette élevée, dépendance des importations alimentaires, opacité dans la gestion de la rente pétrolière : le tableau est sombre. En deux ans, le gouvernement réussit cependant à rétablir les grands équilibres macro-économiques en appliquant les recettes du FMI, bien sûr avec des coûts sociaux élevés.

Un pillage généralisé

Depuis la fin du conflit avec l’Afrique du Sud, le MPLA a changé de visage. En 1990, le mouvement jadis marxiste s’est proclamé social-démocrate et a élargi ses assises au point d’inclure dans sa direction des hauts responsables du FNLA. La libéralisation de l’économie, enclenchée de façon chaotique, puis la déclaration de dos Santos au sujet d’une nécessaire « accumulation primitive du capital », censée contribuer à la formation d’une bourgeoisie nationale, vont désinhiber bien des candidats à l’enrichissement. Le parti au pouvoir manquait non seulement de souffle, mais aussi de vision pour affronter les nouveaux défis. Le président dos Santos a géré avec bienveillance la fin du conflit armé, mais il n’a pas cherché à assainir les crises internes dans son parti afin d’en revigorer l’action. Si la fin du socialisme n’avait pas soulevé de contestations au sein du pouvoir - ce d’autant qu’elle correspondait à la chute de l’empire soviétique -, elle n’a pas non plus suscité de véritables débats sur la politique à suivre, ni de garde-fous.

La conjugaison du boom pétrolier et l’irruption de la Chine dès 2004 en tant que partenaire stratégique donnera une forte impulsion à la reconstruction du pays après des années de stagnation ou de déclin économique : grands travaux pour la réfection de milliers de kilomètres de routes et de chemins de fer, construction de barrages hydroélectriques (toujours en cours) et d’infrastructures sociales... Mais ces projets ont eu un impact limité sur le revenu des travailleurs alors que le coût de la vie n’a cessé de progresser.

Gratte-ciels et projets bling-bling destinés à satisfaire une bourgeoisie naissante se multiplient. La nouvelle élite ayant eu accès aux largesses financières tirées de la manne pétrolière, peu encline à la culture du risque pour investir localement, a déversé des milliards de dollars dans des opérations spéculatives à l’étranger, et dans l’acquisition d’actions de groupes financiers, d’assurances ou de banques, d’abord portugaises puis internationales. L’attraction pour l’économie de casino est allée en se transformant en pillage des ressources de l’État. Le président dos Santos ne s’y est pas opposé, et malgré le lancement de la campagne « tolérance zéro » pour lutter contre la corruption, aucune enquête ou procès n’a abouti.

Complice des dérives

Lorsque des investissements se sont enfin tournés vers le marché intérieur angolais - dans les services, le commerce ou quelques rares industries - ils ont encore été réalisés grâce à des financements bancaires garantis par l’État et non honorés15. Depuis l’élection de João Lourenço en 2017, la justice a confisqué une multitude d’entreprises, de biens ou des comptes bancaires résultant de ces procédés illicites. Ces confiscations atteindraient actuellement la valeur de 13,5 milliards de dollars selon le ministère de la Justice. Avec l’aide des juridictions de plusieurs pays, dont les États-Unis, l’État angolais pourrait récupérer des sommes considérables.

Contrairement à d’autres chefs d’État africains, on ne connaît pas l’existence de biens enregistrés au nom de José Eduardo dos Santos. Mais la promotion de « nouveaux capitalistes » dans son entourage proche, notamment parmi ses propres descendants, amplement illustrée par les nominations de sa fille Isabel à la tête de la compagnie pétrolière nationale Sonangol et de son fils José Filomeno (« Zenu ») à la direction du Fond souverain national de 5 milliards de dollars, le rendent responsable, voire complice des détournements et des malversations qui sont désormais quotidiennement révélés par une nouvelle génération de juges angolais.

Ils ne sont pas rares en Angola ceux qui pensent que sa décision de se retirer après 2002, annoncée publiquement à l’époque, l’aurait consacré comme ayant été l’« architecte de la paix » en Afrique australe. Conforté par le succès engrangé lors de la première élection en temps de paix (81 % des suffrages en 2008), il est demeuré à la tête du pays sans réels contrepouvoirs. Comme une pièce de monnaie, la vie publique de dos Santos comporte deux faces : d’un côté, il y a le militant nationaliste puis le président qui s’est battu pour libérer la région du joug colonial et raciste ; de l’autre, le dirigeant qui a permis à une petite élite, et notamment à sa famille, de détourner de considérables ressources économiques et financières, contribuant ainsi à freiner les progrès économiques de l’ensemble de la société angolaise.

 

Augusta Conchiglia
Afrique xxi/MCP, via mediacongo.net
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