Politique
Avec un courage insensé, il a affronté tous les potentats congolais, de Mobutu à Kabila fils, au point de passer pour un éternel opposant.
Celui qui était sans doute l'opposant congolais le plus connu dans le monde s'est éteint d'une embolie pulmonaire, le 1er février, à l'âge de 84 ans, à Bruxelles où il était hospitalisé depuis le 24 janvier dernier. « Un coup de tonnerre dans le ciel congolais. Un coup dur pour la démocratie congolaise », martèle Jean-Jacques Wondo, un politologue congolais. S'il n'avait pas que des amis, en particulier dans la classe politique congolaise, force est de reconnaître qu'Étienne Tshisekedi Wa Mulumba, le leader de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), bénéficiait d'une très forte popularité au sein de la population. Une notoriété qu'il devait à sa longue et tenace opposition à l'ex-président Mobutu et à ses successeurs, ainsi qu'à sa lutte incessante pour la démocratie, qui a commencé dans les années 1970.
C'est en 1960 que ce docteur en droit de l'université Lovanium (actuelle université de Kinshasa), né le 14 décembre 1932 à Luluabourg (actuelle Kananga, chef-lieu du Kasaï central), dans ce qui était alors le Congo belge, fait son entrée dans l'arène politique, en tant que « commissaire général adjoint à la Justice », dans le Collège des commissaires généraux, le gouvernement provisoire mis en place par Joseph-Désiré Mobutu après son putsch du 14 septembre 1960. Après la deuxième prise du pouvoir de Mobutu en novembre 1965, Tshisekedi occupera divers postes ministériels (Intérieur, Justice et Plan). Pendant ce parcours aux côtés de Mobutu Sese Seko, on lui reprochera d'« avoir fermé les yeux » devant l'assassinat du Premier ministre congolais, Patrice Emery Lumumba, en 1961 et ses déclarations sur la nécessité de « prévenir les tentatives de putsch », avalisant ainsi la pendaison, le 2 juin 1966, de quatre personnalités congolaises. Gilbert, un habitant de Kinshasa, soutient, pour sa part, que « Tshisekedi n'a pas eu de responsabilité dans ces événements. Tous les ordres venaient de Mobutu, qui décidait de tout ». En raison de sa proximité avec Mobutu, alors l'homme fort du pays, d'aucuns ont qualifié Tshisekedi de « pilier du régime ». Certes, « il le fut jusqu'en 1969, mais pas après », assure Elvis Mwinyi-Hamza Badjoko, membre du G14, une formation alliée de l'UDPS.
Les premiers signes de désaccord apparaissent, en effet, quand Mobutu crée, le 20 mai 1967, le Mouvement populaire de la révolution (MPR), dont le programme et les grandes options fixés dans le Manifeste de la N'Sele, paru un mois plus tôt, augurent l'instauration du monopartisme. Le MPR aura d'ailleurs le statut de parti unique avec la révision constitutionnelle de décembre 1970. Le bipartisme que prévoyait la Constitution de 1967, dont Tshisekedi fut le père avec Marcel Lihau, est donc aboli. Le fossé entre les deux hommes se creuse en 1969, lors du massacre d'étudiants de l'université de Lovanium qui demandent une amélioration de leurs conditions matérielles et une plus grande autonomie de leur établissement. Cet événement est conjugué aux dérives dictatoriales du régime, autant de faits que Tshisekedi dénonce. En 1969, il est envoyé comme ambassadeur au Maroc, histoire de l'éloigner du pays. La goutte d'eau qui fera déborder le vase est le massacre d'exploitants clandestins de diamant en juillet 1979, au Kasaï oriental, à Katekelayi. Un massacre fortement condamné par la Fédération internationale des droits de l'homme et Amnesty International. Alors député national, Tshisekedi cosigne la lettre au président Mobutu qui dénonce les violations des droits de l'homme à Katekelayi.
Le 1er novembre 1980, le bras de fer engagé avec Mobutu se durcit. Alors qu'il siège à l'Assemblée nationale, Tshisekedi est l'un des treize députés à exiger la démocratisation du pays dans une lettre ouverte adressée au président de la République. Refus de Mobutu, qui les fait arrêter et torturer et les déchoit de leurs mandats parlementaires. Mais Tshisekedi persiste et signe en cofondant l'UDPS, en 1982, en compagnie d'une douzaine de ses collègues. Cette initiative lui vaut des séjours prolongés en prison. Ce parti devra attendre une dizaine d'années, dans la clandestinité, avant d'être autorisé à fonctionner en tant que parti politique. Le courage dont il fait preuve dès cette époque lui vaut toujours aujourd'hui l'admiration de Congolais. « Tshisekedi a été l'un des rares hommes politiques à s'opposer au régime de Mobutu à Kinshasa. La plupart des autres opposants sont partis en exil. Mais lui est resté au pays. Il s'est montré très courageux en osant dire publiquement que Mobutu était un dictateur », témoigne Arnaud, un Kinois. Un point de vue partagé par Elvis Mwinyi-Hamza Badjoko.
La vague de démocratisation qui s'empare de l'Afrique, au début des années 1990, après la chute du mur de Berlin, n'épargne pas le Zaïre. Mobutu lâche du lest en renonçant au monopartisme. Étienne Tshisekedi, longtemps assigné à résidence, recouvre sa liberté. Le 7 août 1991 s'ouvre la Conférence nationale du Zaïre, interrompue en septembre par des pillages. Pour tenter de faire face aux événements, Mobutu nomme Tshisekedi Premier ministre. Ce dernier décline cette nomination. À l'issue des travaux de la Conférence nationale qui avaient repris le 4 août 1992 après une suspension en janvier, Tshisekedi est élu, le 15 août, Premier ministre par la Conférence nationale, dans la liesse populaire. Il sera toutefois limogé en mars 1993 par Mobutu, qui le remplace par Faustin Birindwa, issu de l'UDPS. Mais Tshisekedi se considère comme le Premier ministre légitime, présenté par l'Union sacrée de l'opposition radicale et alliés. Commence alors une période confuse qui voit l'instauration de deux gouvernements et de deux parlements dans le pays.
À l'arrivée de Laurent Désiré Kabila à la tête du pays en mai 1997, soutenu par des armées étrangères, les rapports entre les deux hommes s'enveniment quand Tshisekedi dénonce l'infiltration de soldats rwandais et ougandais dans l'armée congolaise. Du coup, il est arrêté, emprisonné, puis assigné à résidence dans son village natal, Kabeya-Kamwanga. Quand Joseph Kabila est désigné président après l'assassinat de son père en janvier 2001, Tshisekedi, qui ne voit pas dans le fils un grand démocrate, refuse d'entrer au gouvernement. S'il participe au dialogue intercongolais de Sun City (Afrique du Sud), « la caution de Tshisekedi et de l'UDPS étant nécessaire pour légitimer la rencontre et signer l'accord », explique Wondo, c'est toutefois Arthur Z'Ahidi Ngoma qui lui est préféré pour représenter l'opposition non armée au sein du gouvernement de transition dit 1+ 4, mis en place le 30 juin 2003. Point positif, les « dérapages » de la transition n'ont pas pu lui être imputés. Entre 2002 et 2011, on reprochera à Tshisekedi d'être passé à côté de nombreuses opportunités en invitant la population à boycotter des scrutins. Le oui à la nouvelle Constitution (avec plus de 84 % des suffrages exprimés) lors du référendum de décembre 2005, que l'UDPS avait appelé à boycotter, ne l'arrête pas. En 2006, Tshisekedi persiste et signe en refusant de participer aux scrutins, au motif que les conditions ne sont pas réunies pour la tenue d'élections crédibles. Un refus qui désoriente les militants purs et durs de l'UDPS, qui attendent le « grand soir » depuis des lustres.
Au fil des ans, l'UDPS a connu plusieurs crises graves, qui se sont traduites par le départ d'une partie de ses membres, dont Frédéric Kibassa, Marcel Lihau, Faustin Birindwa, qui lui auraient reproché le manque de débats internes. Une désaffection que certains mettent sur le compte de la personnalité du leader de l'UDPS, jugé autoritaire, têtu et manquant de souplesse. Un point de vue que ne partage pas Elvis. « Il écoutait plus qu'il ne parlait et respectait ses interlocuteurs. Il était patient. Mais, quand il n'était pas d'accord, il le disait. Il ne riait pas souvent et avec n'importe qui, mais, quand il riait, c'était de bon cœur. » D'autres attribuent cette désaffection à la difficulté pour certains militants de rester longtemps dans l'opposition. « C'est un problème de résistance psychologique. »
Si on le juge rigide et trop exigeant, on lui reconnaît aussi de grandes qualités. Primo, sa liberté de ton et son franc-parler. « Il n'avait pas un langage diplomatique. Il n'enrobait pas les choses et appelait un chat un chat », insiste Arnaud. Secundo, la constance de son combat pour la justice et la démocratie. Et son honnêteté. Des qualités rares parmi la classe politique congolaise. « Tshisekedi avait le sens du partage et défendait les petits et les pauvres », informe Elvis. « Ce n'était pas un homme d'argent. Il ne vivait pas dans le luxe dans sa maison à Limete », poursuit Arnaud. Tertio, son côté légaliste. Tshisekedi était partisan de la non-violence et refusait la prise du pouvoir par les armes. Ainsi, il n'a pas été impliqué dans les guerres à répétition qui ont déchiré le pays notamment depuis 1998. Et il n'a jamais fait partie ou créé de milices armées. Des avis largement partagés par Raphaël Katebe Katoto, grand ami de Tshisekedi avec qui il a travaillé depuis 2002 : « C'était un homme de principe, loyal, fidèle et droit. Il n'a jamais changé de ligne de conduite et est resté constant. » Enfin, loin d'être austère, Tshisekedi aimait lire et écouter de la musique. « Jeune, il écoutait la musique zaïroise. Il aimait lire également et était éclectique. J'ai vu sur sa table un ouvrage sur l'origine de l'homme », se souvient Elvis.
En 2011, Tshisekedi change de stratégie et se présente à la présidentielle du 28 novembre, un scrutin qui sera émaillé de fraudes et de violence. Il la perd en arrivant second avec 32,3 % des suffrages exprimés, derrière Joseph Kabila (48,9 %). Une défaite que Tshisekedi refusera en se présentant jusqu'à sa mort comme le président légitime de la RD Congo.
Bien que peu présent au pays ces dernières années pour des raisons médicales qui l'ont amené à l'étranger pendant de longs mois, sa cote de popularité n'a pas décliné. Loin s'en faut. « Ya Tshishi » (Tshitshi l'aîné), comme le surnomment respectueusement et affectueusement les Congolais, était apprécié par une grande partie de la population. En témoigne l'affluence sans précédent que connaît son retour à Kinshasa en juillet 2016, où l'accueille une foule nombreuse et enthousiaste.
Ce tribun hors pair était aussi une personnalité politique incontournable, très respectée par les milieux diplomatiques, qui n'hésitaient pas le consulter, et par la classe politique congolaise. Ce sont ses qualités morales et sa capacité à mobiliser la population qui ont amené cette opposition, dont le G7, à se regrouper autour de lui dans le Rassemblement, pour faire front contre Joseph Kabila et les tentatives de la majorité présidentielle de se maintenir au pouvoir.
Oubliés alors ses défauts, notamment ce que d'aucuns qualifient de « reculades » qui lui ont valu le surnom d'« éternel opposant ». Une formule pour le moins dédaigneuse que récuse Annie, une native de Lubumbashi. « C'était un homme de conviction, qui ne s'est jamais laissé happer par l'appât d'un poste ou de l'argent. Il était un garant moral incontestable, le seul qui pouvait mobiliser la population, même après le flottement lié au changement de stratégie politique du Rassemblement en décembre 2016. »
Curieusement, malgré les crises et les désaffections qu'elle a connues, « l'UDPS reste le parti central autour duquel gravitent les autres partis. Elle est une référence, une sorte d'école de formation politique par laquelle les politiciens doivent passer, même s'ils ne l'avouent pas », commente Wondo. Pour preuve, nombre de politiciens, de la majorité présidentielle ou de l'opposition, en ont fait partie, comme Évariste Boshab, le secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), Vital Kamerhe, président de l'Union pour la nation congolaise (UNC), Jean-Bertin Ewanga, ex-secrétaire général de l'UNC, ou Eve Bazaïba, la secrétaire générale du Mouvement de libération du Congo (MLC). Pour preuve également, l'hommage rendu au « sphinx de Limete » par le président de l'Assemblée nationale, Aubin Minaku.
Reste que la disparition du líder maximo va ouvrir une crise de succession au sein de l'UDPS. Et créer « un grand vide parmi la population, qui sera difficile à combler. C'est comme si on était orphelin », déplore Elvis. Beaucoup ne croient pas à la mort « naturelle » du leader. « On pense qu'il a été liquidé pour faire capoter l'accord du 31 décembre », indique Gilbert. Du coup, la profonde tristesse liée à la disparition de Ya Tshitshi se double d'un sentiment de désarroi. En témoignent les scènes de pleurs et de révolte dans les rues de Limete à l'annonce de son décès et les jours suivants. « Dans les rues de Kinshasa, des voitures et des taxis arborent des rameaux de feuilles en guise de deuil. Tout porte à croire que, le jour de l'arrivée du corps de Tshisekedi à Kinshasa, il y aura des millions de personnes dans les rues », prédit Gilbert.
Crainte de l'avenir ? Risque de réactions de violence et de désespoir d'une population qui a « perdu son père et n'a donc plus rien à craindre » ? Sûrement. Reste que, « par la constance de son combat, Tshisekedi, qui a démythifié Mobutu et a su résister même quand il était en résidence surveillée ou emprisonné, a transmis à la population congolaise l'idée qu'elle ne doit pas avoir peur et qu'elle doit prendre son destin en main. Ce sont des acquis non négligeables », soutient Wondo. Difficile de savoir ce qui va se passer dans les mois à venir. En tout cas, plus que jamais 2017 sera l'année de tous les dangers.
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