Politique
Le 27 octobre, le candidat à la présidence, Emmanuel Ramazani Shadary, a été officiellement présenté à des milliers d'électeurs au stade Tata Raphaël de Kinshasa. Étaient présents à la cérémonie un groupe hétéroclite de poids lourds de la politique et des affaires, tous prétendant appartenir à la toute nouvelle plateforme du Front commun pour le Congo (FCC). La plupart d'entre eux s’étaient rendus sur le lieu avec des véhicules fournis par le gouvernement et étaient placés sous une forte protection policière, ce qui a soulevé des allégations selon lesquelles l'événement aurait bénéficié du financement de l'État.
À un moment donné, la haute direction du FCC a, à tour de rôle, remercié le président sortant, Joseph Kabila, et félicité son digne successeur. Leurs discours étaient accompagnés des encouragements de leurs partisans, qui portaient des vêtements avec des images de Kabila et de Shadary, ainsi que des banderoles du parti. Selon certaines allégations, la plupart ont été payés pour être là.
L'événement avait l'air de se dérouler sous les bons auspices pour Shadary. Mais malgré l’image rose véhiculée, la plupart des analystes s’accordent à dire que les chances de l’ancien ministre de l’Intérieur aux prochaines élections du 23 décembre devraient être minces. Il dispose d'une base de pouvoir indépendante très limitée et n'est pas largement connu. Il est sous le coup de sanctions internationales pour son rôle présumé dans la répression des manifestations anti-Kabila en 2016. Dans un récent sondage d'opinion réalisé par le BERCI et GEC ; seulement 16 % des électeurs ont déclaré avoir l'intention de voter pour lui.
Tout cela pose donc la question de savoir pourquoi le président Kabila a choisi Emmanuel Shadary comme son successeur ? Sur la base de nos recherches à ce sujet, nous affirmons qu'une partie de la réponse réside dans la structure et le fonctionnement de l'espace politique de la République démocratique du Congo (RDC).
Comment fonctionne la politique congolaise
Pour comprendre pourquoi Kabila a choisi Shadary, nous devons d’abord comprendre le fonctionnement du système politique du pays. En RDC, le pouvoir est fortement concentré à la présidence. Les pouvoirs exécutif, judiciaire, législatif et parapublic sont totalement ou partiellement soumis au président Kabila, tandis que les institutions censées contrôler son pouvoir interviennent rarement.
Les membres de la « cour » ou du cercle restreint du président exercent quant à eux un pouvoir qui dépasse de loin leurs fonctions. Ce groupe - composé d’un groupe restreint d’alliés formels et informels, comprenant des conseillers juridiques, des officiers militaires et des hommes d’affaires - est souvent utilisé par Joseph Kabila pour contourner les structures formelles de la gouvernance et du contrôle.
Faire partie de la « cour » présidentielle, c'est obtenir une part du gâteau. Cependant, si les membres de ce groupe d’élite ont une influence, ils sont également éphémères. Cela signifie qu'ils doivent se faire concurrence. Beaucoup, en particulier ceux qui n'ont pas de base politique propre, le font donc en défendant les actions du président sans discernement.
Une partie du gâteau est également partagée avec les adversaires du président sous forme de cooptation. En effet, afin de maintenir la stabilité, les anciens alliés mécontents et les opposants opportunistes sont souvent apaisés par l’attribution de postes publics.
La culture politique de la RDC est donc hautement personnalisée, une caractéristique qui filtre également vers les niveaux inférieurs. Les personnes à la recherche d'un poste gouvernemental, par exemple, rechercheront un parrain politique ou un « parrainage ». A travers ce contact, ils essaieront d’établir ou de consolider des liens avec le président ou les membres de son entourage. Cela peut être fait en mettant l'accent sur des affinités provinciales ou tribales les reliant entre eux, leur influence au sein de leurs partis, ou en manifestant leur loyauté envers le président par le biais de flatteries et de louanges.
Une fois le poste attribué, son maintien nécessite également un entretien constant avec les « bienfaiteurs ». Les titulaires en charge doivent entretenir leur fidélité à la fois envers leurs chefs qu’envers leurs solliciteurs. Ils le font en partageant l'accès aux avantages financiers, en faisant preuve de loyauté et en veillant à ce qu'ils ne représentent aucune menace pour leurs supérieurs.
Point important, accéder à une position politique ne signifie pas nécessairement la contrôler. Les domaines stratégiques clés telles que les ressources naturelles et la sécurité sont étroitement contrôlés par la présidence et son cercle. Les ministres ou autres acteurs officiellement responsables de ces secteurs ne sont rien de plus que des ratifications des instructions présidentielles et prennent rarement des décisions clés de manière autonome ; dans de nombreux cas, les décisions sont prises par des canaux et des acteurs informels.
Les problèmes de sécurité, par exemple, sont souvent traités par l'ANR (Agence Nationale de Renseignement), la DGM (Direction Générale de Migration) et une foule de personnalités militaires, rendant compte seulement au président. Des personnalités telles que le Directeur du Cabinet, Néhémie Mwilanya (surnommée le « vice-président ») ; les conseillers juridiques Norbet Nkulu et Jean Mbuyu ; et le conseiller en matière économique et financière, le patron de la FEC et PCA de la Gécamines, Albert Yuma joue un rôle considérable dans toutes les questions politiques et du business.
Avant de se choisir un successeur
Pour le président Kabila, qui se prépare à se retirer après 17 ans au pouvoir, il a été essentiel de façonner le paysage politique avant les élections de décembre. Choisir Shadary comme son successeur faisait certainement partie de ce processus, mais en était la dernière étape.
Premièrement, il a dû veiller à sa sécurité personnelle et à ses vastes intérêts commerciaux.
Il l'a fait de plusieurs manières. Pour commencer, il a demandé au parlement d'adopter une loi donnant aux anciens chefs d'Etats divers avantages, tels que l'immunité de poursuites, un service de sécurité à vie et une maison d'État.
Deuxièmement, il a obtenu que le parti de la Majorité au pouvoir, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD), modifie son statut et crée le poste de président. Cela signifie que s'il choisissait d'occuper ce poste, il conserverait un pouvoir important sur l'orientation future du PPRD et sur ses députés. Son rôle dans la création de la FCC lui confère également une autorité sur cette coalition.
Troisièmement, en juillet, le président a remanié l'armée en nommant plusieurs loyalistes à des postes clés, dont plusieurs qui font toujours l'objet de sanctions pour leur rôle présumé dans des violations des droits de l'homme. Il a également placé des collaborateurs clés, dont Norbert Nkulu, à la Cour constitutionnelle ; qui jouera un rôle décisif en cas de contestation des résultats des élections.
Alors pourquoi Shadary ?
Emmanuel Ramazani Shadary saluant ses partisans lors de son arrivée à la Ceni pour y déposer officiellement sa candidature à l'élection présidentielle.
Se choisir un successeur - face à la pression nationale et internationale grandissante - a été la dernière pièce du puzzle. Le président Kabila a étroitement contrôlé ce processus, mais a dû prendre une décision difficile. De nombreux hommes politiques congolais oscillant entre le soutien du régime et celui de l'opposition. En fait, lors d'une interview, Kabila a affirmé qu'il ne pouvait pas trouver quinze personnes de confiance dans son propre cercle intime.
Néanmoins, dans le but de prouver leur loyauté, de nombreux candidats potentiels se sont engagés dans des batailles discrètes. Il n’a jamais été clair quels étaient les critères retenus par le chef de l’Etat pour choisir un successeur, ni même s’il allait définitivement se retirer pour longtemps. Mais différents individus ont essayé d'augmenter leurs chances en montrant leurs qualifications académiques, leur expérience politique et leurs origines ethniques et provinciales. Certains ont discrètement discrédité leurs rivaux, notamment en divulguant des enregistrements audios privés.
Par peur de paraître trop ambitieux, personne n’a osé lui demander s’il allait lui-même se présenter aux élections en dépit de son inéligibilité. En fait, lorsque le président leur a demandé de suggérer un candidat potentiel à la présidence, de nombreux membres du FCC ont inscrit le nom du président Kabila sur leurs listes respectives.
L'ensemble du processus semblait bloqué jusqu'au 8 août, date limite pour le dépôt des candidatures. Ce n'est qu'à ce moment que le choix du régime a finalement été annoncé. Et beaucoup ont été surpris par le choix de Kabila, mais pas autant que Shadary lui-même. L’ancien ministre de l’Intérieur n’était pas considéré comme l’un des candidats les plus influents ni une personne ayant des ambitions présidentielles imminentes. En fait, il s'était même déjà inscrit pour les élections provinciales.
Alors pourquoi Shadary ? En résumé, le fait pour le candidat du FCC de ne pas posséder de base ; d’avoir une influence relativement faible ; et des ressources maigres ce qui normalement seraient des énormes désavantages électoraux, ce ne fut pas le cas en l’espèce. En effet, au lieu de cela, ces mêmes facteurs - combinés avec la loyauté inconditionnelle de Shadary, aux affinités ethniques et provinciales avec la famille présidentielle et à la dépendance financière - font de lui le candidat idéal pour la continuité et le contrôle du pouvoir du président Kabila.
Kristof Titeca & James Thamani*
*Kristof Titeca est un conférencier à l'Institut de développement Politique et de Management de l'Université d'Anvers. Il travaille sur la gouvernance et le conflit dans la région des Grands Lacs.
James Thamani est un analyste basé à Kinshasa.
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Le choix d’Emmanuel Shadary comme candidat du FCC à la présidence a surpris beaucoup de monde mais pas autant que Shadary lui-même.