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Infos congo - Actualités Congo - Premier-BET - 02 mai 2024
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Culture

Lumumba dans l’art : hagiographie ou distance ?

2022-01-18
18.01.2022
2022-01-18
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Patrice-Emery Lumumba

Lumumba in the Arts (Leuven University Press, 2020, 464 pages, en anglais) est un gros recueil édité par le chercheur (et cinéaste) Matthias de Groof avec 24 contributeurs, au sujet de la représentation de Patrice Lumumba dans divers arts.

Il s’articule en deux parties, une historiographique et une iconique. La première partie, avec cinq essais (p.24-105), concerne l’historiographie de Lumumba : n’étant ni particulièrement compétent dans ce domaine, ni particulièrement connaisseur de l’histoire de Lumumba, ni du Congo / Zaïre / RDC, je ne vous en parlerai pas, sinon pour brièvement rappeler l’histoire de Patrice Lumumba. Né en 1925, il passe en 1954 l’examen-enquête pour être reconnu comme « évolué », la catégorie où de rares Congolais (200 sur 13 millions) étaient distingués comme conformes au mode de vie des Blancs. Il chante alors les louanges de Léopold II, est invité à plusieurs reprises en Belgique par le gouvernement, et devient président du Club des évolués de Stanleyville. Condamné et emprisonné pour avoir détourné à son profit des fonds des chèques postaux, il se lance dans l’action politique, crée un parti indépendantiste et rencontre Frantz Fanon et Nkrumah fin 1958. Il est alors poursuivi par les autorités coloniales belges contre lesquelles il appelle à la révolte (mais pas de guérilla).

En février 1960, la Belgique décide précipitamment de donner son indépendance au Congo cinq mois plus tard, le 30 juin. Le parti de Lumumba gagne les élections, il est nommé Premier Ministre à 35 ans (le Président est Kasa-Vubu) et, le jour de l’indépendance, il prononce, en présence du jeune roi Baudouin, un discours anti-colonialiste véhément qui est resté dans les mémoires; mais le même jour, lors du dîner (ou déjeuner ?) officiel, en présence du Roi, il adoucit sa position et prononce un autre discours bien plus conciliant.

Pendant ses 80 jours comme Premier Ministre, il mène une politique de décolonisation radicale, trop radicale pour le Président qui le démet de ses fonctions. Mobutu prend le pouvoir, fait arrêter Lumumba en fuite, et le transfère au Katanga sécessionniste de Moïse Tschombé. Ce dernier fait exécuter Lumumba le 17 janvier 1961 avec l’aide d’officiers belges; son corps est enseveli puis déterré, et sans doute dissous dans l’acide sulfurique. Plus de cadavre, pas de tombe. Lumumba est, depuis, célébré comme un héros de la décolonisation.


Robert Lebeck, A Congolese snatching the sword away from King Baudouin of Belgium, Leopoldsville, 29 juin 1960

La seconde partie du livre, la plus importante (282 pages) traite donc de l’iconographie de Lumumba, au sens large; elle est précédée d’une « galerie » (p.106-141) avec photos de presse, caricatures et tableaux. Cette seconde partie couvre le cinéma (cinq essais, 73 pages), le théâtre, la poésie, les bandes dessinées, la musique, dont le rap (le petit-fils de Lumumba, Tony L., est rappeur), le photojournalisme (beaucoup d’images reproduites au fil des pages, mais seulement une analyse iconologique par Mark Sealy d’une photographie de presse de Robert Lebeck montrant Lumumba avant le dîner ou déjeuner officiel du 30 juin 1960; la photographie ci-dessus du vol de l’épée royale par Ambroise Boimbo, aussi de Lebeck, est montrée dans cet essai, mais non commentée spécifiquement, alors qu’elle me semble bien plus intéressante, tant visuellement que politiquement), les miniatures, timbres, badges et breloques à son effigie (une analyse originale de Pierre Petit sur ce sujet souvent négligé), les caricatures coloniales (seule représentation « à charge »), la topographie (mais, curieusement, l’auteur, Robbert Jacobs, ne mentionne à aucun moment le travail de Guy Tillim, totalement absent de ce recueil), et enfin les arts plastiques, presque uniquement la peinture, dont je vais vous parler un peu plus. On a donc là une recension importante, sinon exhaustive, de la représentation de Lumumba en héros de la lutte anti-coloniale (à l’exception des caricatures coloniales belges).


Eddy Masumbuku, Malgré l’acide, 2015, huile sur toile et collage

En fait de peinture, deux des articles s’attachent à des tableaux d’histoire de deux peintres congolais, Dominique Bwalya Mwando et Tshibumba Kanda Matulu (ce dernier commentant profusément dans un entretien de 1973/74 18 de ses toiles, p.339-360) : ces tableaux ont un intérêt historique et politique indubitable, mais, même en appréciant ce style « naïf-africain », ici dénué de la fraîcheur d’un Chéri Samba, on peut être quelque peu dubitatif sur leur intérêt artistique propre, tant leur facture est convenue, purement représentative et dénuée de toute distance. Idem pour le tableau symbolique de Sam-Ilus, dont un détail, l’ange Lumumba, est reproduit en couverture du livre et longuement commenté en introduction.

Le livre analyse fort bien la dimension héroïque, martyrologique, parfois christique, qui a été conférée à Lumumba après son assassinat; mais, on le sait depuis les bondieuseries saint-sulpiciennes, le réalisme socialiste, et les photographies sportives propagandistes, l’art a toujours eu du mal à accommoder cette dimension hagiographique. La seule exception dans ce contexte serait le tableau ci-dessus de Eddy Masumbuku (p.134) évoquant la dissolution du cadavre de Lumumba dans l’acide de manière symbolique, violente, irréelle et frisant l’abstration.

Heureusement, il y a deux peintres qui sauvent la mise (p.361-372) : Marlene Dumas et Luc Tuymans dialoguent sur leurs travaux autour de Lumumba. J’avais vu (mais n’avais pu commenter) cette série de toiles de Tuymans à Bruxelles il y a neuf ans, et je me souviens de manière vivace des portraits du Roi en blanc et de Lumumba en noir (1ère fois, dit Tuymans, que je peignais un non-Blanc), et surtout de la dimension évocatrice de ces toiles, du fait que Tuymans prenait ses distances par rapport au récit, l’interprétait pictorialement et, en un mot, faisait oeuvre d’artiste et non d’illustrateur.

Il est frappant que la toile ci-dessus sur l’exécution présumée de Lumumba (inspirée par une image d’un film flamand filmé à Cuba) où l’arbre, poteau d’exécution en forme de croix, est éclairé par les phares des voitures des assassins, se nomme Reconstruction. Le peintre, célébrant lui aussi la dimension martyrologique de Lumumba, le fait par allusion, par reconstruction, le contraire du réalisme symbolique d’un Matulu. Idem pour Chalk qui représente deux mains gantées de noir tenant deux morceaux de craie symbolisant deux dents de Lumumba, seul vestige de son cadavre, conservées par un des exécutants, Gerard Soete. Avec un peintre réaliste-naïf, ce serait un tableau sinistre et macabre (« a sick image », dit Marlene Dumas); peint ainsi par Tuymans, c’est excellent.

Marlene Dumas, elle, a peint Pauline, la 3ème épouse de Lumumba (épousée à 14 ans et mère de quatre de ses six enfants), éplorée, le crâne rasé et la poitrine dénudée en signe de deuil. Dumas avait découvert la photo de cette scène à 25 ans dans un livre titré « Assassinations in our Time». Elle fit d’abord, en 1982, un collage incluant cette photographie de Pauline Lumumba, et deux autres, de Winnie Mandela et de Betty Shabazz, trois femmes dont le mari a été assassiné ou emprisonné, plus son propre autoportrait sur le billot en bois devant le tryptique vertical. 31 ans plus tard, elle reprend cette image de Pauline, en la peignant, désormais seule, en deux tableaux au cadrage différent, tout deux titrés, génériquement, La Veuve. Cette nudité de deuil, de combat, l’attire, d’autant plus que ce deuil est impossible, faute de corps, de tombe, et est perpétuel (« I’ll mourn him forever » aurait pu être le titre de ces tableaux).

Cette absence du corps de Lumumba, cette non-sépulture, se rencontre incidemment tout au fil du livre, mais ne fait pas l’objet d’un essai particulier, qui aurait pourtant été fort intéressant. Ainsi le film Spectres de Sven Augustijnen est-il à peine mentionné, alors qu’il est, de tous les films cités, le plus actuel, car, au lieu d’être un film historique, mémoriel, il révèle une histoire non digérée, un passé non accepté et qui nous hante encore (absence d’autant plus surprenante que de Groof lui a consacré un article – en flamand). Je me souviens l’avoir vu en 2011 à Wiels et avoir été fasciné par cette quête absurde de L‘arbre même contre lequel Lumumba fut fusillé, et par la revisite critique du rôle des Belges dans son exécution. Ceci dit, tout un essai est consacré à une autre oeuvre d’Augustijnen, sa bicyclette chargée de sacs de charbon (p.415-423).

Ce vide mémoriel est aussi l’objet d’une photographie de Sammy Baloji, montrant le site supposé de l’exécution et du premier ensevelissement, marqué de quelques briques empilées, et à côté duquel se tient un vieil homme, témoin peut-être, indicateur ou guide. Enfin, la conclusion du livre témoigne de l’effort mémoriel fait aujourd’hui pour combler ce vide : c’est le récit (p.424-431) par de Groof de sa visite à Shilatembo où un mémorial Lumumba était en construction et est aujourd’hui ouvert, sur le lieu de son meurtre.

Plus de traces de l’arbre de Tuymans ou d’Augustijnen, mais un projet de monument, avec le cénotaphe photographié par Baloji désormais magnifié, et, dit de Groof, une statue de Lumumba aux proportions étranges. Pas sûr que ce site touristique de pélerinage soit des plus heureux. En tout cas, cette problématique du vide, de l’absence est, me semble-t-il, celle qui se prêterait le mieux à une recherche artistique allant au-delà d’un discours historique hagiographique. C’est bien là toute la question que pose ce livre.


Le Monde / MCP, via mediacongo.net
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