Politique
Le célèbre historien Isidore Ndaywel fait la une depuis sa dernière conférence, avec son nouveau projet constitutionnel. Très tôt après son adoption, l’actuelle Constitution de la RDC avait déjà fait l’objet d'âpres discussions, jusqu’à connaitre des modifications en 2011. En dépit de celles-ci, la controverse sur l’avènement de la 4ᵉ République ne s’est pas estompée. Cette énième proposition s’y loge facilement. A contrario, elle est loin de faire l’unanimité.
Cette Constitution à la Isidore Ndaywel, intellectuel congolais de premier plan, chamboule complètement l’actuelle Constitution, en y apportant beaucoup de modifications. Parmi les modifications vedettes, il y a la durée des mandants. Précisément, le mandat présidentiel durera 9 ans non renouvelables, correspondant mutatis mutandis au double quinquennat actuel ; le législatif national sept ans renouvelables une seule fois et le législatif régional cinq ans renouvelables une seule fois. Les élections se dérouleraient à des périodes différentes, tous les deux ans, pour éviter qu'une crise électorale malencontreuse ne bloque toute la machine institutionnelle de l'État.
Il tombe sous le sens que l’historien fait fausse route. Pas plus, pas moins. Pour saisir la non-pertinence de sa démarche, il sied de faire appel notamment à la political economy – branche scientifique qui met en relation la science économique et la science politique. Plusieurs arguments peuvent aider à comprendre la position qui est mienne. Considérons seulement six pour ne pas ennuyer le lecteur.
Primo, la pétition de principe. On ne peut pas vouloir décaler les échéances électorales en supposant une crise électorale malencontreuse. C’est un secret de Polichinelle que tous les cycles électoraux depuis 2006 ont été entachés d’irrégularités. Pourtant, en aucun cas, la machine institutionnelle de l'État ne s’est rouillée parce que dans les échelons présidentiel et législatif, le pays aurait connu des problèmes. Cet argument qui justifierait les périodes différentes reste à démontrer. L’histoire récente ne va pas dans le sens de l’historien.
Secundo, le coût électoral de chaque deux ans. À chaque cycle électoral, il se pose généralement le défi de la mobilisation des ressources. Il est certes vrai que ce défi n’échappe pas à des considérations politiques, mais l’on ne peut pas non plus négliger que réduire l’échéance électorale à deux ans est une préparation à la violation constitutionnelle. Les institutions ont un coût, notamment économique. Faute de ne pas avoir compris cette réalité, l’actuelle Constitution peine à être respectée scrupuleusement, ne serait-ce dans sa dimension décentralisation. En sus, l’argument 5 va élucider la crainte d’un crash lié à ces élections à répétition, faute de ressources qui résulteraient de mauvaises performances économiques. Bref, ce que l’on compte gagner en rallongeant le mandat présidentiel (une prétendue stabilité des institutions), on pourrait la perdre avec ces échéances raccourcies.
Tertio, une réflexion inachevée. La dangerosité de la réflexion de l’historien tient notamment à son infinitude. Les neuf ans sont déterminés de manière non systématique. Car, 9 ans ne sont pas le double du mandat actuel. Il justifie également ce choix au motif de la non-maitrise de la gestion de la res publica par celui qui est supposé gérer le pays. Sa démonstration : la première année (et une bonne partie de la deuxième année car il suppose que c’est au courant de cette année qu’il peut commencer à « monter en puissance » pour reprendre son expression) serait celle où le Président élu tâtonnerait. Cette façon de présenter les choses consacre l’incompétence des futurs présidents. Il est inacceptable que les candidats à la présidentielle doivent apprendre à gérer le pays, mieux à connaitre leur pays une fois Président. Enfin, la preuve culminante de cette infinitude est brandie lorsque le conférencier tâtonne sur un probable contrôle mi-mandat, avec une forme imprécise, laissant aux autres la possibilité de circonscrire le format.
Quarto, une durée de mandat atypique. La comparaison constitutionnelle de tous les États africains fait ressortir qu’aucun pays africain actuel n’a un mandat de neuf ans. Quatre pays seulement ont un mandat de sept ans (ils sont loin d’être des modèles) et trois pays ont constitutionnalisé une limite de six ans. Tous les autres pays ont un mandat présidentiel inférieur ou égal à cinq ans. Évidemment, on peut objecter facilement que comparaison n’est pas raison. Cette aporie n’a aucun sens d’autant plus qu’elle ne justifie pas une durée aussi longue pour la RDC. Pourquoi la RDC devrait avoir un mandat aussi long ? La pertinence de cette question s’amplifie dès lors que l’on retient l’argument contextuel. La RDC n’est pas si atypique comparée à ses pairs africains pour prétendre à une telle durée.
Quinto, un long mandat est nuisible au développement. La littérature scientifique est claire : de longues années de mandat ont un impact sur la croissance économique (qui diminue), l’inflation (qui augmente) et la qualité des institutions (qui se détériore). L’effet négatif de longues années de mandat (c’est-à-dire « l’effet dictateur ») est particulièrement fort dans les jeunes États ainsi qu’en Afrique. La RDC remplit le critère de la « jeunesse » et de la localisation géographique (État africain). En sus, dans une recherche publiée en 2023, les auteurs trouvent, dans leur spécification de référence, qu’au-delà de 12 ans, la durée de mandat nuit au développement économique. Or, 12 ans équivalent à un mandat de 6 ans renouvelables. À en juger, la RDC est dans la limite normale avec possibilité d’un deuxième mandat.
Ces deux études nous ramènent à l’argument 2. Moins de croissance, plus d’inflation et détérioration institutionnelle constituent une bonne sauce pour ne pas organiser les élections « ndayweliennes ». Moins de croissance conduirait à moins de ressources publiques. Et donc, impossibilité matérielle de tenir le rythme. Moins de croissance et plus d’inflation conduiront à coup sûr à plus de tensions, lesquelles ne pourront pas être bien gérées dans une situation de détérioration institutionnelle. Parallèlement, des institutions de mauvaise qualité ne peuvent pas garantir l’organisation des élections à ce rythme.
Sexto, l’élection est une institution utile. Ce qui compte pour de bonnes performances d’un pays n’est pas seulement la démocratie lato sensu, mais également un système électoral compétitif. Telle est la conclusion d’une nouvelle étude. Les auteurs de ladite étude ont montré de manière causale, au travers de 2 500 élections présidentielles et législatives tenues dans le monde depuis 1945 et dans plus de 200 pays, qu’une alternance électorale augmente la probabilité qu’un pays s’engage sur une bonne trajectoire dans les années suivantes (embellissement de la situation économique, baisse de l’inflation et du taux de chômage, amélioration de la qualité des institutions, etc.).
Ceci nous ramène à la problématique d’une durée de 9 ans non-stop à la tête du pays. Sans challenge, les institutions peuvent se scléroser pour de multiples raisons. Premièrement, la littérature académique montre que les dirigeants de pays qui ne se présentent pas à la réélection en raison des règles de jure (constitutionnelle à la Isidore Ndaywel par rexemple) sont moins incités à bien performer dans leur mandat. Cette conclusion a été documentée dans plusieurs cas. Incentive matter ! Deuxièmement, il est aussi connu, dans cette littérature, que les responsables politiques en place depuis longtemps ont moins intérêt à mener des réformes importantes, car leur réputation n’est plus à faire ou ils sont dans leur dernier mandat ou encore à cause de l’érosion de la discipline de parti après un certain temps passé au pouvoir ainsi qu’un apprentissage de la corruption. Ils peuvent aussi simplement avoir perdu une partie de leur motivation initiale. Bref, l’usure du pouvoir (érosion du pouvoir) existe bel et bien.
Que retenir ? Le cadre d’analyse de l’historien s’avère étroit. Il existe un éventail de raisons pour que ses réformes se révèlent in fine sous-optimal pour la société. À côté de mes six raisons évoquées, on peut en multiplier à l’infini. Néanmoins, le résultat restera le même : oublions une élection présidentielle à un mandat unique de neuf ans.
*Oasis KodilaTedika est un économiste et auteur récemment du livre Financement du développement en RDC : diagnostic, opportunités et perspectives.
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