Pourquoi le Rwanda veut-il consolider sa position au sein de l'OIF ?
Bruno Bernard : Le monde anglo-saxon et les États-Unis, particulièrement Monsieur Trump, ont violemment frappé de taxes certains petits pays d'Afrique. Concernant le Rwanda : le gouvernement a basé sa stratégie sur un développement économique du pays et sur sa croissance. Mais aujourd'hui, ils arrivent à la fin de leurs possibilités et ils doivent nécessairement exporter. Le gouvernement s'est rendu compte que le pays était en compétition avec les Sud-africains et les Éthiopiens, et les marchés sont déjà saturés. L'univers francophone, lui, paraît plus "gentil" concernant les affaires, moins aggressif. Et le Rwanda s'est rappelé qu'il était francophone.
Le Rwanda vise-t-il donc les marchés des pays francophones africains ?
Bruno Bernard : Le Rwanda a développé chez lui des infrastructures de services assez performantes comme des solutions informatiques, le système bancaire, les télécommunications. Le système de santé est aussi très compétitif, les routes, la gestion des déchets... et ils peuvent vendre leur savoir-faire aux pays voisins. Un savoir-faire que les Africains peuvent accepter de leurs "compatriotes". Il y a une nouvelle génération qui n'accepte plus le diktat européen sur le savoir-faire et ses propositions hors de prix car aux normes européennes. Par contre avec un voisin qui a ce savoir-faire aux normes plus "africaines" et avec des interlocuteurs plus "africains", le courant passe mieux. Le Rwanda a donc un boulevard devant lui.
La candidature rwandaise à la tête de l'OIF peut-elle être fédératrice en Afrique ? Rappelons que Paul Kagame est aussi le président en exercice de l'Union africaine...
Bruno Bernard : L'OIF ne peut qu'être gagnante quel que soit le changement. Elle doit être dirigée par un ou une Africaine. La langue française est africaine. Même le Président Macron l'a dit clairement aux Africains.
En mettant le Rwanda à la tête de l'OIF, Monsieur Macron jouerait un coup de maître et il serait tranquille pour cinq ans
Quel est l'intérêt pour la France de soutenir la candidature rwandaise ? Il y a des visées diplomatiques, on s'en doute, et géostratégiques certainement ?
Bruno Bernard : D'abord, il y a un contexte de réconciliation. Emmanuel Macron est un jeune président et il n'a pas vécu beaucoup de soubressauts de l'Histoire. Il pourrait remettre les choses à plat, tendre la main en proposant un pardon. Ce serait un signal assez fort.
Deuxièmement, en raison des tensions dans la région des Grands lacs, surtout le grand voisin (la République démocratique du Congo, ndlr), avoir un rwandais francophone pour défendre la francophonie au Rwanda, c'est évidemment mettre un frein et un veto aux velléités anglophones dans la région. Mais aussi faire en sorte que le plus grand pays francophone de la planète, la RDC, reste bien francophone. Les anglo-saxons verraient bien la RDC basculer dans le monde anglo-saxon avec pour cheval de Troie, le Rwanda. Alors, en mettant le Rwanda à la tête de l'OIF, Monsieur Macron jouerait un coup de maître et il serait tranquille pour cinq ans.
Le Canada, lui, ne voit les choses ainsi. Pourquoi ?
Bruno Bernard : Pour des raisons de politique intérieure : le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a besoin des voix francophones. Sur le plan économique, les Canadiens ont tout à gagner dans la francophonie. Jusqu'à présent, ils misaient sur les relations avec leur voisin américain mais, elles se sont tendues ces derniers mois. Si les Canadiens s'étaient plus tournés vers la francophonie, ils seraient moins dépendants des États-Unis.