Economie
Apparemment, la sextape est très à la mode en RDC. La dernière en date est la polémique autour d’un homme de pouvoir. À ce sujet, l’émoi semble passé. Le choc caractérise sans doute la famille. Les perspectives ne sont pas encore claires. Mais au-delà de tout, ce n’est pas seulement la moralité ou la vie privée d’une personne qui est en cause. C’est plutôt, à mon sens, toute la société qui doit s’interroger. C’est à ce niveau-là que la réflexion doit être menée notamment.
La RDC est un pays extrêmement pauvre. Le différentiel de développement entre un Congolais moyen et un africain moyen au sud du Sahara est important : en 2022, le PIB par habitant en dollars constant de 2011 (en PPA) est de 1133 en RDC contre 3 759 pour un africain sub-saharien. La faute à la productivité du travail en partie. En effet, en termes de productivité, un travailleur congolais est 3,1 fois inférieur à un travailleur africain sub-saharien (ASS). Le taux d’emploi y est faible (15-24 ans), soit 42,9 % en 2020, selon les estimations de l’Organisation internationale du travail. On travaille moins en RDC.
Dans l'entre-temps, il y a un arbitrage entre le travail et le loisir (plaisir). Certes, la faiblesse du travail n’est pas tant la faute de la population, mais cet arbitrage avec visiblement une préférence pour le loisir n’est pas anodin, même pour ceux qui sont déjà employés. Cependant, une précaution doit être fixée : on ne dispose pas de chiffres précis pour nous fixer sur ledit arbitrage. Deux informations peuvent aider à se faire grossièrement l’idée de l’étendue de la préférence pour le loisir : l’économie du sexe et l’alcool.
L’économie du sexe. Nul n’ignore la multiplication de maisons de passe, particulièrement dans la ville de Kinshasa. Selon les données de MICS-Palu 2018, l’âge sexuel est de plus en plus jeune en RDC : 32,8 % des filles de 15-17 ans ont déjà eu des rapports sexuels contre 33,5 % des garçons du même âge. Et si on considère les jeunes de 15-24 ans qui ont connu les actes sexuels avant 15 ans, le chiffre tombe à 13,4 % pour les filles et 16,9 % pour les garçons. De plus, le phénomène n’est pas que rural – où le pourcentage de jeunes de 15-24 ans qui ont connu des rapports sexuels avant l’âge de 15 ans est de 25 % pour les filles et 18,3 % pour les garçons – pour prétendre que c’est lié au mariage précoce. En ville, ce pourcentage est respectivement de 13,5 % pour les filles et 16,5 % pour les garçons. En plus, on est loin des arguments de type : « c’est l’amour seulement. » « C’est la jeunesse. » Pour preuve, 22,4 % des femmes de 15-24 ans ont eu des rapports sexuels avec un homme de 10 ans ou plus âgé qu’elles. Cette proportion est de 14,2 % pour les filles de 15-17 ans.
Au-delà de ces éléments qui attestent de la bonne tenue du marché du sexe, un autre élément s’est imposé : la sextape. De plus en plus, les Congolais passent leur temps dans ce type de plaisir. Ce qui suppose qu’il y a une offre et une demande entre les partenaires, mais aussi apparemment, il y a ceux qui offrent (tournent les images) et ceux qui consomment (regardent). Visiblement, ce marché fonctionne très bien, car la tendance des recherches de ce produit sur l’Internet est nettement à la hausse (si on considère la ligne pointilleuse du graphique ci-dessous). En des termes différents, il y a de plus en plus un problème moral et une forte demande de loisir.
Note : Les données sur ce graphique sont calculées par nous-même en regardant la tendance des mots « nudes, nude, sextape, sextap (en supposant que certains écrivent au pluriel ou écrivent mal). » Évidemment, cette restriction sur les mots qui se rapportent aux différents scandales affecte naturellement le graphique. Tout porte à croire que cet effet diminue plutôt les chiffres. Mais ce qui importe pour nous, ce sont les grandes tendances. Une autre chose susceptible d’affecter ce graphique, c'est le faible accès à l'internet et sa répartition inégale sur le territoire national. Rien n’indique que la correction de ce problème changera la tendance. Par ailleurs, ce graphique traduit donc la fréquence des recherches de ces mots sur l’espace congolais pour avoir une série annuelle relative aux scandales spécifiquement congolais.
L’alcool. La production des boissons est en nette augmentation. Cependant, il existe une différence entre les boissons alcoolisées et les boissons gazeuses. Il se dégage clairement que la production alcoolisée est la plus importante. Dans le temps, on constate que l'écart est présent : les boissons gazeuses représentaient en 1996 29,2 % des boissons alcoolisées contre 55,4 % en 2020. Du côté de la demande, la consommation a plus que doublé entre 2000 et 2018, en quittant de 0,9 consommation moyenne d’alcool par habitant (litres d’alcool pur pour une population de 15 ans et plus) pour une consommation de près de 2. En fait, on constate que la RDC explose par rapport aux pays comparables avec son taux de croissance de 110,5 %. La consommation baisse partout (ou presque) mais dans le pays de Lumumba, ça explose. Inquiétant ! Viva la distraction ! Évidemment, il y a plusieurs explications, mais l'amour de la distraction (plaisir) en fait aussi partie.
Pour clore, Jacques Attali écrivait récemment à propos de l’économie du sexe : « … Quand il est si facile, par l’un (sexe) ou par l’autre (drogue), de gagner beaucoup d’argent…, pourquoi faire des études ? Pourquoi travailler ? Pourquoi chercher à s’élever honnêtement ? Pourquoi être utile à la société ?... » Ces questions tombent à pic pour la RDC. Elles questionnent le 6ᵉ pays le moins développé au monde sur 199 comptés en 2020 pour lesquels les données du PIB per capita (en USD constant de 2015) sont disponibles. On ne peut pas développer ce pays si la demande du plaisir ne fait qu'augmenter. On ne peut pas s’élever honnêtement pour réclamer notre place en travaillant moins et en gagnant facilement pour dépenser dans le plaisir. Ce choix doit être fait par la société. Quel arbitrage nous convient ?
*Oasis KodilaTedika est un économiste et auteur récemment du livre Financement du développement en RDC : diagnostic, opportunités et perspectives.
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