Afrique
Le moins que l’on puisse dire, c’est que Didier Reynders, le ministre belge des affaires étrangères, connait bien les réalités sociopolitiques du continent. Entre la visite officielle qui l’a conduit récemment en Angola et république démocratique du Congo, d’une part, et le séjour qu’il a effectué en Tanzanie et au Rwanda début juin, d’autre part, il a accepté de se poser quelques minutes pour répondre aux questions du mensuel Panafricain « Notre Afrik ». Alors que la région des grands lacs traverse actuellement une période électorale troublée, c’est avec recul et gravité que le chef de la diplomatie belge jette un regard avisé sur la situation sociopolitique en RD Congo (RDC), le, Burundi et Congo, entre autres…
Notre afrik : lors de votre récent déplacement à Kinshasa, vous avez eu l’occasion de discuter avec le président congolais, joseph Kabila pendant deux heures. Vous a-t-il donné des signes satisfaisants concernant la tenue de l’élection présidentielle prévue au mois de novembre 2016 ?
Didier REYNDERS (DR): Le mois de novembre sera difficilement tenable, c’est ce que tous les responsables politiques disent, pas seulement le président Kabila. J’ai rencontré beaucoup de membres du gouvernement, de la majorité présidentielle et à peu près tous les représentants de l’opposition sur place : Tout le monde se rend compte que ce qu’il faut maintenant, c’est démarrer le processus. Ce sera difficile de tenir l’élection présidentielle en novembre, simplement parce que chacun souhaite que le fichier électoral soit revu. Il y a six à huit millions de nouveaux électeurs.
Mon problème est surtout que l’on revoit cette liste et que l’on lance le processus électoral, et donc que la commission électorale nationale indépendante puisse convoquer les élections. S’il y’avait un décalage de quelques mois par rapport à la date des élections initialement prévue, cela ne serait pas un problème tant que le calendrier est lancé.
Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas de signe très clair du démarrage du processus électoral en dehors de la révision de la liste électorale. J’en ai parlé avec le président Kabila, qui renvoie évidement vers plusieurs problèmes: la liste électorale, le financement des élections - mais le budget congolais prévoit déjà une partie du financement - je lui ai confirmé que la communauté internationale était prête à contribuer, que la MONUSCO, surtout, pouvait jouer un rôle important sur le plan logistique. J’attends donc que dans les prochaines semaines, il y ait une confirmation du lancement du processus.
Un tête à tête entre le président Kabila et Didier Reynders, le ministre belge des Affaires étrangères
La Cour Constitutionnelle congolaise vient d’assurer que « suivant le principe de la continuité de l’Etat et pour éviter le vide à la tète de l’Etat, le président actuel reste en fonction jusqu'à l’installation du nouveau président élu ». Pour vous, joseph Kabila sera-t-il toujours président le 21 décembre prochain ?
DR: L’article en cause de la constitution, l’article 70, vise en fait une situation que l’on connait par exemple aussi aux Etats-Unis. Quand il y a des élections, le président sortant reste en place jusqu’à l’installation de son successeur, mais cet article n’est évidement pas prévu pour une situation sans élection. Donc, ce que nous espérons, c’est que des élections seront réellement programmées et que l’on pourra installer un président élu. Il ne s’agit pas de dire qu’un président peut rester en place pendant des années parce que l’on n’organise pas de scrutin.
Dans ce cas-ci, les observateurs estiment que le glissement pourrait nous amener jusqu’en 2018…
DR: Je lis beaucoup d’observations et de commentaires. Mais ma préoccupation est de faire en sorte que l’on utilise tous les moyens à notre disposition pour que le processus électoral se déclenche, que la CENI travaille concrètement à la révision du fichier électoral, ce qui est demandé par la majorité présidentielle comme par l’opposition.
Je crois que la communauté internationale doit se concentrer sur cela: comment respecter les engagements constitutionnels qui ont été pris et comment aider à ce que ces engagements soient réellement mis en œuvre. Aider peut signifier un soutient logistique à l’organisation des élections et éventuellement un soutient financier.
La Belgique a notamment prévu dans son budget d’aide au développement un soutien aux élections locales par exemple. On peut mobiliser ce soutient pour des élections qui, à mes yeux, doivent d’abord et avant tout être présidentielle et législatives, probablement aussi provinciales puisque c’est la seule façon de renouveler le sénat. Si elles sont décalées dans le temps, ce ne sera pas non plus dramatique. Elles n’ont encore jamais eu lieu au Congo.
A Kinshasa, vous avez précisé que la responsabilité individuelle des personnes chargées de l’ordre public serait engagée en cas de dérapage dans l’encadrement de manifestations par exemple. C’est une menace à peine voilée, non ?
DR: C’est la deuxième préoccupation. Comment garantir que l’espace public, démocratique, soit ouvert, que l’on puisse avoir une liberté de presse, de manifestation, qu’il n y ait pas d’arrestation arbitraire et que l’on puisse voir une véritable opposition présenter des candidats et organiser des manifestations ? J’ai simplement mis l’accent sur un point.
Il est évident que dans cette période, tout responsable public a une attention particulière à accorder à cet espace public. C’est vrai de la part des membres d’un gouvernement, d’une majorité, c’est vrai de la part des membres d’un gouvernement, d’une majorité, c’est de la part de l’opposition, il faut également éviter de recourir à la violence quand on est dans l’opposition. Mais c’est surtout vrai pour tous les responsables directs de la sécurité.
Lors d’une rencontre avec le ministre de l’intérieur et l’ensemble de ses services j’ai attiré l’attention sur la responsabilité individuelle de tout un chacun. Je crois que rappeler ces principes ne constitue pas une menace, c’est simplement un fait. Je crois que chacun est conscient que lorsqu’on exerce des fonctions importantes, on assume une responsabilité et il faut éviter que cela entraine un rétrécissement de l’espace public et n’entraine des déviances, comme des arrestations arbitraires ou des situations qui empêcheraient des candidats de l’opposition de se présenter ou de participer correctement au débat politique.
Didier Reynders avec le ministre congolais de l'Intérieur, Evariste Boshab (© Belga)
Avez-vous abordé ces questions avec les autorités congolaises ?
DR: Avec des membres du gouvernement congolais, nous avons abordé toute une série de cas individuels: comment cela se fait que de telles arrestations sont intervenues ? Quelles sont les raisons qui poussent certain nombres d’opposants et de membres de la société civile à s’inquiéter concernant cet espace démocratique ? J’ai aussi salué les évolutions positives. Je crois que, Kinshasa n’y est pas étranger-, des manifestations ont pu se tenir sans qu’il n’y ait d’incidents violents importants et avec des forces de l’ordre qui ont pu maitriser la situation sans commettre d’excès. Cela est aussi à saluer.
La première responsabilité est toujours, dans tous les Etas, entre les mains des autorités. Ce sont celles-ci qui doivent d’abord éviter un recours excessif à la violence, mais l’on doit aussi lancer un appel à toute force d’opposition pour éviter la provocation et l’utilisation de la violence. J’essaie toujours de le faire de manière équilibrée. L’appel concerne tous les acteurs.
Les Etats-Unis se sont dits prêts à sanctionner en cas de besoin. La Belgique et l’union européenne le sont-elles également ?
DR: Sanctionner ne veut pas dire grand-chose. Ce qu’il faut regarder à un moment donné, c’est si des faits sont avérés. Si c’est le cas, nous devons prendre nous aussi nos responsabilités. Lorsque des dérapages interviennent, il y a d’autres mesures à prendre. On en a pris à l’égard du Burundi, mais on n’est pas dans la même situation. Au Burundi, il y a maintenant plus de 250.000 refugiés, peut-être même près de 300.000 qui sont partis vers le Congo, le Rwanda et la Tanzanie.
Je crois qu’il faut d’abord rester dans une logique de dialogue, essayer de faire en sorte que l’on pousse à la mise en place des outils nécessaires pour respecter les engagements constitutionnels. Ce n’est qu’en cas de dérapage que ‘on peut imaginer d’autres formules. Il ne faut pas précipiter les choses, nous sommes encore dans une période où l’on peut tenter de forcer la mise en œuvre du processus avec électoral avec révision de fichier électoral.
Craignez-vous en RDC un scenario à la burundaise ?
DR: Je crois que l’on ne doit pas comparer les deux situations. Ce qu’il faut surtout, c’est se focaliser sur ce que l’on peut réellement organiser. Par ailleurs ; il faut également se préoccuper de la situation économique. Il est évident que la chute des prix des produits pétroliers, mais aussi de toute une série d’autres matières premiers, a des conséquences budgétaires lourdes. On voit bien qu’il y a des difficultés majeures, qui se traduisent par des situations très compliquées à l’intérieur du pays en termes d’emplois, de perspective de développement et notamment pour beaucoup de jeunes.
Vu d’Europe, on à des préoccupations souvent tournées vers la sécurité, l’afflux migratoire, mais il faut bien se rendre compte que la baisse de prix pétroliers, dont nous bénéficions, pose problème à de très nombreux pays à travers le monde ; et particulièrement en Afrique. Notamment dans la région des grands lacs. Cela peut avoir un impact très lourd sur le budget de l’Etat et sur la vie économique et sociale dans le pays ; et ce la peut provoquer des tentions sociales fortes à plusieurs endroits à travers la région.
« Les élections ne veulent pas nécessairement dire une opposition vainqueur des élections »
Didier Reynders recevant des représentants de l’opposition congolaise du conclave de Genval au mois de juin. (@dreynders,Twitter)
Tension en République Démocratique du Congo, tensions et répression au Burundi, au Congo-Brazza, en Ouganda… Avez-vous l’impression que c’est un nouveau période de troubles politiques et sociaux qui s’ouvre en Afrique centrale ?
DR: C’est d’abord une période d’élections. On sait très bien que dans ces périodes, il ya des risques de turbulences surtout dans des pays qui n’ont pas encore installé de manière définitive la logique de transition démocratique qui peuvent provoquer ou non des alternances.
Je tiens d’ailleurs à préciser que beaucoup de personnes confondent souvent système démocratique et alternance. On demande toujours que des élections aient lieu dans des conditions, mais cela ne veut pas dire que l’on doit nécessairement observer une opposition gagner les élections. comme si l’opposition devait automatiquement prendre la place de la majorité… je l’ai beaucoup entendu au Congo.
Mais lorsque l’on parle de l’Afrique des grands lacs, ce que nous nous essayons de faires du point de vue belge, c’est d’avoir une analyse commune de la situation avec nos partenaires européens. Et la démarche est de voir comment l’Union européenne peut adopter une position proche en négociations, en partenariat avec l’Union africaine. « Il ne s’agit pas de dire qu’un président peut rester en place pendant des années parce que l’on n’organise pas de scrutin. »
Je constate que dans la plupart des dossiers récents concernant des pays, en particulier d’Afrique centrale, nous avons réussi à émettre un message fort proche de l’union européenne, de l’union africaine. Mais il faut aussi que le pays de la région concernée joue leur rôle. L’union européenne n’a pas de leçon à donner, l’Europe a connu des drames bien pires que ce l’on vit à travers le monde, notamment au cours du siècle passé. Mais ce qui a fait que l'union européenne est devenue une zone de démocratie, de paix…, même si l’on connait pas mal de problèmes, c’est l’intégration régionale. On trouvé des modes de réconciliation nationale et puis de réconciliation entre pays.
Mais les intégrations régionales peinent à se constituer en Afrique…
DR: Il faut trouver des moyens de mener des dialogues nationaux, c’est ce que l’on dit pour le Burundi : comment revenir à l’esprit d’Arucha ? Comment faire vivre des communautés ensemble ? et puis, l’espoir c’est de faire en sorte que des pays se parlent, et donc que des ensembles sous régionaux puissent vraiment fonctionner. C’est l’enjeu majeur si l’on veut garantir une stabilité dans la région.
Un pays comme la Belgique, qui sort de sa sixième reformez de l’Etat, a essentiellement une demande, c’est que les pays respectent leur constitution. Maintenant, on n’a jamais interdit à une personne de changer une constitution ; on serait mal vu venant d’Europe, en raison de nos nombreux traités.
Concernant l’importance de la région, vous avez rencontré le président angolais Eduardo dos Santos. Il a annoncé qu’il ne se représenterait pas à la prochaine élection présidentielle. L’Angola assure en ce moment la présidence de la conférence des grands lacs. Quel rôle peut jouer dos Santos dans les années à venir ?
DR: Je crois qu’il y a d’abord un rôle d’influence très important. Je pense qu’il est un des responsables politiques dans la région qui est écouté. Il a une capacité d’intervenir en donnant, si ce ne sont des conseils, des avis qui sont écoutés par un certain nombre de responsable dans la région. On a besoin des personnalités comme celles-là. Je n’ai pas eu de discussion avec lui sur la suite de son parcours, mais c’est une personnalité qui peut peser pour demander que l’on sorte de situation de conflit.
Revenons à la situation burundaise. En janvier dernier, l’union africaine a choisi de ne pas envoyer de mission d’interposition, cette décision vous a-t-elle déçu ?
DR: Déçu, non. Je crois simplement qu’il y a un moment où l’union africaine ou une attitude qui permettra d’aller un pas plus loin. Ce n’est pas nécessairement une force d’interposition militaire qui doit intervenir, il peut aussi s’agir d’une force de police pour protéger les populations. Je l’avais d’ailleurs dit à mon collègue burundais, cela peut se faire en dehors de Bujumbura.
On pense toujours à la capitale, car il y a des incidents qui s’y produisent, mais les autorités s’inquiètent également d’influence venant de camps de refugiés au Rwanda ou au Congo ! Alors pourquoi ne pas avoir une force de police qui pourrait protéger certains quartiers de Bujumbura, mais aussi surveiller ce qui se passe aux frontière pour éviter des entres drames ou de groupes armés vers le pays ?
Et c’est là quelque chose qui devra, a un moment donné, faire partie d’un processus. Comment garantir que l’espace public, démocratique, soit ouvert, que l’on puisse avoir une liberté de presse, de manifestation, qu’il n y ait pas d’arrestation arbitraire et que l’on puisse voir une veritable opposition présenter des candidats et organiser des manifestations ?
Si les violences continuent, je pense que l’on ne peut pas imaginer un dialogue sans que la région n’assume une certaine responsabilité. Jusqu’à présent, l’union africaine ne l a pas fiat parce qu’elle voulait le faire à la demande des autorités burundaises, mais celles-ci, ne l’ont pas souhaité. Je pense que l’on est maintenant en train d’évoluer. Il y a une mission d’observation qui est en place, venant de l’union africaine, et l’idée serait de protéger ces observateurs avec une mission plutôt de police. J’espère que l’on pourra avancer dans ce sens.
Début février, sur le plateau de la télévision France 24, vous disiez que la Belgique était prête à participer à une force d’interposition. Vous maintenez ?
DR: J’ai toujours dit que nous étions prêts à venir en soutien logistique si c’était nécessaire. Pour cela, il faudrait qu’il y ait une demande soit de l’union africaine soit de la sous région, mais il n ya jamais eu de demande de cette nature. Et évident qu’à la demande de la communauté internationale, à travers les nations unie sous d’autres instances, on doit toujours être prêt à aider, ce qui me surprend toujours, c’est que lorsqu’on confirme une position traditionnelle de la Belgique, cela parait comme un élément nouveau.
Les missions de L’ONU, notamment celles de maintien de la paix, sont fortement décriées en ce moment à cause de ce qui se passe en Centrafrique et depuis plusieurs années dans l’est de la RDC. Il y a un peu plus d’un an, on a énoncé les « principes de Kigali » auxquels la Belgique a adhéré. Que manque-t-il pour une mise en œuvre de ces principes ?
DR: Il faut une volonté de tous les pays qui participent à ces opérations. Il y a des mandats qui sont donnés et ensuite il y a des règles qui sont prises par les différents pays qui contribuent à des forces. Donc, on doit continuer à demander à tous ces pays qui contribuent de pouvoir respecter maintenant des principes que l’on vient de définir. Au delà de cela, il faut ne pas se leurrer, il faut poursuivre le travail politique.
Dans les régions que vous citez, la première des solutions possibles est l’ordre politique. C’est de remettre des dialogues en places en place. La première des forces d’interposition, de force de quelque nature que ce soit, c’est un accompagnement. Je suis toujours très frappé que cet accompagnement puisse être de longue durée. Si je prends le cas de la Cote d'Ivoire, beaucoup d’européens ne se rendent plus compte qu’il y a encore une force très importante dans ce pays, je pense que c’est la deuxième en Afrique. on n’est pas loin d’une dizaine de milliers de personnes, militaires, policiers et civils sur place. Il y a un moment où l’on doit pouvoir céder le relais à une situation locale qui se met en place.
Propos Recueillis par Damien Roulette
Retranscription pour MCN, Ch. Katanga
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