Bruxelles: David-Minor Ilunga déballe avec humour la survie à la kinoise

Euro 2016. Eden Hazard étincelle et emmène la Belgique en quart de finale de la compétition. Les bars bruxellois sont "noirs de culs blancs". Le peuple exulte, la liesse est collective, sauf pour qui tente d'y participer sans papiers dans cette Europe sous tension, défigurée par une vague d'attentats et gagnée par la paranoïa et la suspicion.  

Maman kinoise et flics typiques

© Yves Kerstius.

Dans ce contexte, l'enthousiasme prive tout hors-la-loi de liberté. Au lieu de fêter la victoire d'un pays d'accueil dans le quartier Matonge, le jeune homme se retrouve interrogé par deux policiers tiraillés entre leur devoir de gardiens de la paix zélés et leur coeur de supporters. Pour eux, son appartenance à la mouvance jihadiste est aussi évidente que la qualification prochaine des Diables Rouges face aux Dragons. Ils se tromperont sur toute la ligne; dans un état en crise de panique, on condamne avant même de juger.

Le décor (une chaise sous un faisceau de lumière) est planté. David-Minor Ilunga, auteur et comédien, surprend, ironise et, surtout, jongle avec les personnages, tantôt en maman kinoise, tantôt en flic (typique) de Belgique. Mais c'est dans la peau du clandestin en centre fermé qu'il parvient à confronter le public à la facette la plus déshumanisée de notre société emmurée dans ses problèmes et hermétique à la détresse de toute personne venue de contrées désolées.

Avec distance et justesse, David-Minor Ilunga, dans une mise en scène de Roland Mahauden, dresse un tableau divisé en deux mondes d'une même planète, le royaume des enfants gâtés devenus inconscients de leurs acquis et celui de la débrouille forcée.

Un Kinshasa que certains reconnaîtront, que beaucoup découvriront. Cette ville dans laquelle les 12 millions d'habitants recensés vivent en alternance: un jour, on mange, l'autre pas. Une année, les garçons vont à l'école, la suivante, ils cèdent la place à leurs soeurs. Dans un certain Congo, on ne cherche plus à comprendre, on s'accommode, notamment de ces coupures intempestives d'électricité - auxquelles le titre "Délestage" fait référence- qui plongent des milliers de foyers dans l'obscurité. 

Multiculturalité

Délestage, de et avec David-Minor Ilunga. Mise en scène: Roland Mahauden. Théâtre de Poche de Bruxelles du 28 novembre au 23 décembre 2017. (© Yves Kerstius)

Durant plus d'une heure, l'auteur évite le piège du jugement, il truffe ses observations -menées au gré de nombreux voyages- de "kinoiseries", cet art singulier de détourner les complications de la vie par le rire et la dérision. Sans jamais tomber dans le pathos, il éveille l'émotion et la réflexion en réussissant le tour de force de rassembler un public multiculturel, trop rare dans les théâtres bruxellois. Si l'humour est une arme pour éviter de sortir les fusils, David-Minor Ilunga se révèle être une munition efficace. À voir si vous êtes en Belgique.