Science & env.
Le projet « Transaqua », un projet titanesque, basé sur la construction d’un canal de 2.600 km, qui partirait de la RDC et passerait par la Centrafrique pour alimenter le bassin du lac Tchad, en voie d’assèchement, fait aujourd’hui son retour. Une entreprise qui laisse géographes et experts perplexes sur les possibles conséquences d’un tel projet. À cette entreprise s’ajoute celui du fleuve Nil qui veut agrandir son bassin en se servant des eaux du fleuve Congo. Un danger pour la République.
Au début des années 80, pour faire face à la peur d’un assèchement du lac Tchad découlant des sécheresses et famines qui avaient frappé la région une décennie plus tôt, la société italienne « Bonifica » avance l’idée d’un remplissage du lac par transfert des eaux du bassin du Congo vers le fleuve Oubangui jusqu’au Chari qui alimente le lac Tchad. Un projet pharaonique évalué à plusieurs milliards de dollars.
Pour les autorités tchadiennes, ce transfert inter-bassins n’est pas une option mais une nécessité parce que le pays est confronté à la possibilité d’une disparition du lac Tchad. Ce qui serait catastrophique pour tout le continent africain.
« Nous prendrons les eaux du fleuve Congo, de gré ou de force », avait déclaré le président tchadien, Idriss Déby, en 2016.
Une étude de faisabilité du projet était en cours, mais ses conclusions n’ont jamais été finalisées.
Et voilà qu’aujourd’hui, alors qu’on a cru le projet « Transaqua » enterré, il refait surface. Plusieurs pays africains, dont le Cameroun, le Nigéria, le Niger, l’Égypte, le Soudan, l’Éthiopie, La Libye, le Djibouti, et aussi les milieux d’affaires internationaux tiennent des réunions et discutent des eaux du bassin du Congo, une richesse à partager, mais sans que la RDC, principal pays concerné, ne soit convié.
On sait aussi que le partage des eaux du Nil (6.671 km, c’est avec le fleuve Amazone, le plus long fleuve du monde) est au centre d’une vive controverse qui oppose les dix pays riverains, dont L’Égypte, le Soudan, l’Éthiopie, le Tchad, la Libye, le Djibouti… depuis de nombreuses années. Jamais un fleuve n’aura suscité autant de tensions. La vie des gens en dépend. L’accroissement démographique avec les besoins grandissants de l’agriculture pour nourrir des populations en rapide augmentation sont des éléments essentiels à prendre en compte. Avoir un débit stable des eaux du Nil est une question de survie dans ces pays où l’eau est rare.
Et pour régler les différends qui les opposent, il faut un partage équitable de l’eau entre tous ces pays. Pour y parvenir, il est pressant d’agrandir le bassin du fleuve Nil. Cela n’est possible qu’en se servant des eaux du fleuve Congo. Il semblerait que les discussions seraient en cours. Mais avec qui ? La question se pose avec acuité parce que l’examen d’un tel dossier relève de la compétence du Parlement. A-t-il été saisi? Rien n'est moins sûr.
« Complot international »
Comment ne pas parler des projets aux allures de « complot international » ? Comment peut-on parler du Congo sans les Congolais ?
Une chose curieuse est qu’aucune autorité congolaise ne pipe mot. Aucune réaction. Motus et bouche cousue. Circulez y a rien à voir. Sont-elles (les autorités congolaises) hypnotisées ou sont-elles simplement consentantes ? Cette question mérite d’être posée, car on y perd son latin.
A-t-on imaginé les conséquences environnementales et économico-politiques à long terme, les enjeux cachés, les dangers sous-estimés de ces projets funestes ? Renflouer le lit du lac Tchad et agrandir le bassin du fleuve Nil par les eaux du fleuve Congo n’est pas dans l’intérêt de la RDC et des Congolais, qu'on se le dise. Il représente plutôt un danger pour la République, voire une atteinte à la souveraineté du pays.
Alors que les trois quarts de la population (51 millions de personnes, selon une étude du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, PNUE), n’ont pas accès à l’eau potable, on veut contraindre les Congolais à partager cette denrée précieuse. Incroyable !
Conséquences
Ces projets sont inacceptables pour plusieurs raisons. Citons-en deux que les géographes et experts de l’écologie, voire de l'économie ont toujours martelé.
Primo : ils compromettent le plus grand projet du pays, Grand Inga ou Inga 3, qui doit compléter et moderniser les deux centrales vieillissantes entrées en service entre 1972 et 1982 sur les chutes Inga à 260 km en aval de Kinshasa.
Avec de tels projets, le barrage d’Inga, qui constitue la principale source d’électricité du pays, n’aura plus assez d’eau pour alimenter ses turbines. Et le Grand Inga, destiné à fournir de l’électricité à la moitié du continent, devra être abandonné.
En effet, la stabilité du débit du fleuve Congo (80. 832m3/s au maximum, après l’Amazone) est assurée par le mode de fonctionnement de son système hydrographique. Or, le Congo a besoin de toute la force des eaux du fleuve. Dans cette optique, les projets « Transaqua » et d'agrandissement du bassin du fleuve Nil, par la voie des eaux du fleuve Congo, risquent d’impacter le débit du fleuve. Cela va donc avoir des conséquences sur la réalisation de ce grand projet d’Inga. Les études qui ont été réalisées pour le projet Inga ont été faites sur la base de la régularité du débit du fleuve Congo et de ses deux affluents principaux, l’Oubangui et le Kasaï.
On ne doit pas chercher à résoudre un problème dans un coin en Afrique et en créer un autre au Congo !
Secundo : sur le plan de navigabilité, le trafic fluvial entre les villes de Kinshasa et de Kisangani, qui sert de pont entre l’Ouest, le Centre et l’Est du Congo, sera durement affecté parce qu’il n’y aura pas assez d’eau dans le lit du fleuve. La pêche, qui nourrit plusieurs dizaines de millions de Congolais, devra, elle aussi, être affectée parce que plusieurs espèces vont disparaitre ou diminuer drastiquement. Et des communautés vivant aux abords du fleuve pourront basculer dans des conflits violents pour se disputer de peu de ressources résiduelles du fleuve ainsi diminué en eau et en faune.
Pour rappel, en 2009, déjà, c’est le genre de conflit –sur les droits de pêche- opposant les communautés Enyele et Monzaya qui avait mis l’ancienne province de l’Équateur, dans le Nord-Ouest du pays, à feu et à sang.
Les initiateurs et investisseurs des projets « Transaqua » doivent chercher à résoudre le problème au niveau du lac Tchad : l’usage abusif de l’eau par des éleveurs tchadiens, accroître l’hydraulicité des rivières qui alimentent ce lac en eau par l’entretien des berges. Et ceux de l'agrandissement du bassin du fleuve Nil, notamment l’Égypte, le Soudan et l’Éthiopie, en conflit à cause de la construction du méga-barrage « Renaissance » (commencée en 2011 par les Éthiopiens), doivent continuer leurs négociations entamées sous l’égide des États-Unis pour régler leurs différends sur le partage équitable de l'eau. Ce n’est pas le Congo, qui n'est pas concerné, qui leur trouvera une solution.
Le fleuve Congo et ses affluents sont un château d’eau convoité. Les autorités congolaises doivent donc y veiller jalousement et œuvrer pour le bien commun.
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