Politique
Avec l'Afrique, Emmanuel Macron veut tourner la page du néo-colonialisme et de la Françafrique… Il veut renouveler les postures et les pratiques. C'est ce message celui d'un nouveau départ qu'il a entendu faire passer à l'occasion de sa première tournée africaine qui l'a conduit de Ouagadougou à Accra, en passant par Abidjan, lieu du 5e Sommet Union africaine-Union européenne.
Une première pour ce jeune président né après les indépendances africaines et qui s'est employé, à cette occasion, à faire comprendre à son auditoire qu'il n'y avait plus de politique africaine de la France. Ce qui la remplace désormais, ce sont des politiques africaines dont la ligne, par définition, diffère d'un pays à l'autre, en fonction du contexte politique et de la personnalité du dirigeant.
Fini le menu, l'heure est à des politiques à la carte
Emmanuel Macron lors de son discours à l'université de Ouagadougou, le 28 novembre 2017. (© Ludovic Marin/AFP)
C'est clairement ce qui ressort de l'interview donnée par Emmanuel Macron à RFI et France 24 ce mardi 28 novembre depuis l'ambassade de France de Ouagadougou. « Hier, vous avez souligné dans votre discours que, dans beaucoup de pays africains, le combat pour la démocratie n'est toujours pas gagné. À quel pays pensiez-vous ? » lui a demandé notre confrère de RFI, Christophe Boisbouvier.
À cette question, le président français a répondu : « Je suis toujours très vigilant sur ce sujet et en même temps très précautionneux, car expliquer depuis Paris ce que doivent être les systèmes de gouvernance, le respect de la pluralité en donnant des leçons, c'est un peu ce avec quoi nous devons terminer. Ça n'a souvent que peu d'efficacité. Moi, je souhaite que l'Union africaine soit la plateforme qui permette de porter cela avec plus de vigueur […] Il faut que les États africains se saisissent du sujet. Ça n'est pas au président de la République française d'aller expliquer à tel ou tel endroit tu ne dois pas faire comme ça ou pas faire comme-ci. »
Une réponse qui, dans son esprit, vaut notamment dans le cas du Congo-Brazzaville ou de celui du Gabon, dont les élections ont eu lieu respectivement en février et en août 2016 ; des cas sur lesquels il n'est plus question pour lui de revenir, en dépit de quelques saillies du Parlement européen. Mais une réponse qui vaut aussi pour le Togo. Prié il y a quelque temps par l'opposition togolaise – pourtant nouvelle génération – de jouer les médiateurs dans le conflit qui l'oppose au président Faure Gnassingbé, Emmanuel Macron n'a pas donné suite et a préféré laisser la main au président en exercice de l'Union africaine et chef de l'État guinéen, Alpha Condé, qui s'est chargé il y a quelques jours de faire les bons offices (à… Paris, malgré tout).
L'exception RD congolaise
Le Premier ministre, Bruno Tshibala, visitant le Senat français lors de son passage à Paris, le 10 septembre 2017. (© Primature)
Mais « en même temps », il est un pays en Afrique où le président français épouse une ligne diplomatique sensiblement différente. Plus volontariste. Il s'agit de la République démocratique du Congo. Dans cette même interview à RFI et à France 24, Emmanuel Macron déclare en effet : « Je vous confirme que [sur la RDC], nous avons eu des interactions […] J'ai conduit plusieurs démarches. J'ai demandé au président [Joseph Kabila] de procéder aux élections comme il s'y était engagé et comme c'était prévu […] afin que nous ayons en 2018 des élections dans le cadre constitutionnellement prévu [comprendre, sans Joseph Kabila]. »
Certes, sur la RDC également, la France avance à couvert, officiellement par le truchement de l'Union africaine (dans cette même interview, Emmanuel Macron reconnaît d'ailleurs avoir des contacts répétés à ce sujet avec l'actuel et le futur président de l'UA, Alpha Condé et Paul Kagamé).
Mais elle est, en réalité, en pointe aux côtés des autres nations (les États-Unis et la Belgique notamment) pour « faire bouger les lignes ». Pour en juger, il n'est qu'à voir son implication sur le dossier RD congolais à l'ONU, l'envoi discret d'émissaires qui le sont tout autant au Congo-Kinshasa (Franck Paris, Aurélien Lechevallier) ou encore – ce que reconnaît d'ailleurs Emmanuel Macron dans l'interview à RFI et France 24 – les échanges étroits avec le président angolais Joao Lourenço (qui partage les mêmes vues et les mêmes craintes que Paris sur le dossier RD congolais, à savoir que le maintien au pouvoir de Joseph Kabila et l'absence d'élections crédibles sont des facteurs de déstabilisation non seulement pour la RDC mais pour l'ensemble de la sous-région).
Tentatives d'explications
Pourquoi le Congo-Kinshasa est-il, de ce point de vue, logé à meilleure enseigne que d'autres pays en Afrique ? À cela, il y a, selon cet ambassadeur en poste à Kinshasa, plusieurs explications. « La RDC est un pays vaste, peuplé de 80 millions d'habitants, le plus grand d'Afrique francophone, une donnée qu'il faut prendre en compte. C'est aussi un pays-pivot en Afrique centrale.
L'instabilité de la RDC risque de faire basculer la sous-région dans son ensemble. On ne peut en dire autant d'autres pays. Qui plus est, la RDC est une ancienne colonie belge. Sans faire injure à la Belgique, son influence est moindre que celle d'autres États qui, du coup, viennent en appui. C'est le cas notamment des États-Unis ou encore de la France, pour ne citer que ces deux-là », explique le diplomate.
Et celui-ci de conclure : « Enfin, sans être exhaustif, il faut mentionner l'efficacité du lobbying d'une partie de l'opposition congolaise et de certains mouvements citoyens. Sans leur implication, Joseph Kabila aurait eu les coudées plus franches, à l'instar de ce qui s'est passé ailleurs dans la région où les exemples ne manquent pas. »
Kabila sous pression ?
Le président congolais Joseph Kabila en déplacement à Tshikapa, dans une province du Kasaï, le 13 juin. (© Twitter/ Présidence)
Il est vrai que la pression diplomatique qui pèse sur les épaules de Joseph Kabila (de la part de l'ONU, des États-Unis, de l'Union européenne, de la Belgique, de la France, de la Grande-Bretagne, mais aussi de l'UA, de la CIRGL, de l'Angola, etc.) est sans équivalent ailleurs sur le continent. « C'est pour cela, que bon an mal an, le dossier avance dans la bonne direction », conclut cet ambassadeur (comprendre, l'organisation des élections sans Joseph Kabila prévues pour le 23 décembre 2018).
« Tactiquement, le président Macron a raison de s'intéresser à la RDC », dit ce professeur de l'UniKin. « C'est un dossier sur lequel la communauté internationale joue collectif, y compris avec sa composante africaine. » Et de poursuivre : « C'est aussi un pays francophone qui n'est pas une ancienne colonie française. »
Il y a donc, pour la France, moins de handicaps politiques liés à l'Histoire, contrairement à ce qui se passe pour la Belgique. La voix de cette dernière est très écoutée dès lors qu'il s'agit de la RDC au sein de la communauté internationale, mais le pouvoir congolais instrumentalise le passé colonial pour attaquer les prises de position des autorités belges, ce qu'il peut plus difficilement faire avec les États-Unis ou même la France. Enfin, en s'impliquant ainsi dans le dossier RD congolais, le président Macron gagne incontestablement des points au sein de cette jeunesse congolaise, très connectée et mobilisée, qui a soif de démocratie. »
Dans l'action diplomatique à géométrie variable d'Emmanuel Macron sur le continent africain, certains y verront peut-être un deux poids, deux mesures ; d'autres, la marque d'un pragmatisme assumé et décomplexé. Quoi qu'il en soit, en Afrique comme ailleurs, Emmanuel Macron semble fidèle à sa maxime fétiche : cet « en même temps », symbole d'une pensée complexe qui se veut avant tout réaliste. Désormais, il faudra donc s'y faire, la France n'a plus une mais bel et bien des politiques africaines.
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